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16/12/2024 | FRANCE | N°486315

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 16 décembre 2024, 486315


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 8 août 2023 et le 29 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association franco-belge pour la protection de la nature demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le courriel adressé le 11 avril 2023 par le directeur de l'eau et de la biodiversité aux services déconcentrés de l'Etat et de l'office français de la biodiversité relatif au champ d'application de l'arrêté du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire du

14 mars 2023 relatif aux règles de bonnes conditions agricoles et environnem...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 8 août 2023 et le 29 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association franco-belge pour la protection de la nature demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le courriel adressé le 11 avril 2023 par le directeur de l'eau et de la biodiversité aux services déconcentrés de l'Etat et de l'office français de la biodiversité relatif au champ d'application de l'arrêté du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire du 14 mars 2023 relatif aux règles de bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE).

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;

- le règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêté du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire du 14 mars 2023 relatif aux règles de bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article 12 du règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 établissant des règles régissant l'aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (plans stratégiques relevant de la PAC) et financés par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), et abrogeant les règlements (UE) no 1305/2013 et (UE) no 1307/2013, dans sa version applicable au litige, dispose que " les États membres incluent dans leurs plans stratégiques relevant de la PAC un système de conditionnalité, en vertu duquel les agriculteurs et les autres bénéficiaires recevant des paiements directs au titre du chapitre II ou les paiements annuels prévus aux articles 70, 71 et 72 sont passibles d'une sanction administrative s'ils ne satisfont pas aux exigences réglementaires en matière de gestion prévues par le droit de l'Union ni aux normes relatives aux BCAE [Bonnes conditions agricoles et environnementales] établies dans les plans stratégiques relevant de la PAC, énumérées à l'annexe III, portant sur les domaines spécifiques suivants : / a) le climat et l'environnement, y compris l'eau, les sols et la biodiversité des écosystèmes ; / b) la santé publique et la santé végétale; / c) le bien-être animal ". Aux termes de l'article 13 du même règlement, dans sa version applicable au litige : " Les États membres veillent à ce que toutes les surfaces agricoles, y compris les terres qui ne sont plus exploitées à des fins de production, soient maintenues dans de bonnes conditions agricoles et environnementales. Les États membres fixent, au niveau national ou régional, des normes minimales à appliquer par les agriculteurs et les autres bénéficiaires pour chaque norme relative aux BCAE figurant à l'annexe III conformément au principal objectif de ces normes visé dans ladite annexe (...) ". Il résulte clairement de ces dispositions qu'il appartient aux Etats-membres de mettre en place un système de conditionnalité applicable aux bénéficiaires de paiements directs au titre du chapitre II du règlement du 2 décembre 2021 précité et des paiements annuels prévus aux articles 70, 71 et 72 du même règlement, lequel implique notamment que les surfaces agricoles soient maintenues dans de bonnes conditions agricoles et environnementales, telles que définies par les Etats-membres au niveau national ou régional.

2. En application de ces dispositions, les dispositions des articles D. 614-45 à D. 614-54 du code rural et de la pêche maritime définissent les normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales. L'article D. 614-52 dispose notamment que : " III. - La taille des haies et des arbres est interdite pendant la période de nidification et de reproduction des oiseaux entre le 16 mars et le 15 août ". L'article 5 de l'arrêté du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire du 14 mars 2023 relatif aux règles de bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) dispose que : " En application du dernier alinéa de l'article D. 614-52 du code rural et de la pêche maritime, pour la métropole, il est interdit de tailler les haies et les arbres entre le 16 mars et le 15 août ". Il résulte de ces dispositions que, sur les surfaces agricoles détenues par des bénéficiaires des paiements de la politique agricole commune mentionnés au point 1, la taille des haies et la coupe des arbres sont interdites entre le 16 mars et le 15 août.

3. Par un courriel en date du 11 avril 2023, le directeur de l'eau et de la biodiversité du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires s'est adressé à ses services déconcentrés afin de leur rappeler le champ d'application de l'arrêté du 14 mars 2023, en indiquant notamment que cet arrêté " vise exclusivement la conditionnalité imposée aux agriculteurs pour l'entretien des haies et arbres isolés " et que " les périodes d'interdiction de taille des haies et de coupe des arbres prévus (sic) à l'article 5 ne sont pas opposables aux travaux sylvicoles et d'exploitation forestière ". Par cette même instruction, le directeur de l'eau et de la biodiversité a invité ses services à relayer cette interprétation aux exploitants forestiers, en veillant à ce que les agents " prennent les précautions de langage nécessaires pour ne pas entraîner de sur interprétation (sic) abusive dans ce domaine ". L'association franco-belge pour la protection de la nature demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce courriel.

4. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le courriel litigieux se borne à rappeler aux services placés sous l'autorité du directeur de l'eau et de la biodiversité le champ d'application des dispositions de l'arrêté du 14 mars 2023. Par suite, les requérants ne sauraient utilement soutenir, d'une part, qu'il méconnaît l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme et, d'autre part, qu'il méconnaît l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement, relatif à la participation du public aux décisions ayant une incidence sur l'environnement et l'article L. 421-1-A du code de l'environnement, relatif à la consultation du conseil national de la chasse et de la faune sauvage, dès lors qu'il ne constitue pas une décision ou un texte au sens de ces dispositions.

5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le courriel litigieux contient uniquement, ainsi qu'il a été dit aux points précédents, des indications du directeur de l'eau et de la biodiversité à destination des services sur lesquels il a autorité, relatives à la mise en œuvre du système de conditionnalité des aides de la politique agricole commune. Contrairement à ce que soutient la requérante, ce courriel est, par lui-même, sans incidence, d'une part, sur les conditions et limites dans lesquelles sont accordées les dérogations aux interdictions de destructions des espèces protégées dont l'aire de répartition excède le territoire d'un département, d'autre part, sur la politique pénale. Il suit de là que l'association requérante n'est pas fondée à soutenir qu'il devait être cosigné par le ministre chargé de l'agriculture, en application de l'article R. 411-13 du code de l'environnement, ni par le garde des sceaux, ministre de la justice, en application des articles 30 et 41 du code de procédure pénale.

6. En quatrième lieu, la circonstance que le courriel litigieux n'ait pas été publié au sur un site relevant du Premier ministre, comme le prévoit l'article R. 312-8 du code des relations entre le public et l'administration, est sans incidence sur sa légalité.

7. En cinquième lieu, par le courriel contesté, le directeur de l'eau et de la biodiversité s'est borné à rappeler que l'interdiction de taille des haies et de coupe des arbres prévue par l'arrêté du 14 mars 2023, qui fait partie des bonnes conditions agricoles et environnementales, ne s'applique qu'aux exploitants agricoles, et non aux exploitants forestiers. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le directeur de l'eau et de la biodiversité n'a pas, en tout état de cause, indiqué que de tels travaux seraient, lorsqu'ils sont réalisés par des forestiers, exemptés du respect, d'une part, du régime de protection des espèces prévu aux articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement, d'autre part, de l'interdiction de destruction, d'enlèvement ou d'endommagement intentionnel des nids et œufs d'oiseaux, ainsi que des portées de mammifères, dont la chasse est autorisée, prévue à l'article L. 424-10 du même code, enfin, de l'obligation de mettre en œuvre une évaluation des incidences sur les sites Natura 2000, prévue par les articles L. 414-4 et R. 414-19 du même code lorsque les travaux en cause sont susceptibles d'affecter de manière significative un tel site. Par ailleurs, le courriel litigieux n'a pas pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet de priver les préfets des prérogatives qu'ils tiennent de l'article R. 411-17 du code de l'environnement, qui leur permettent d'interdire les actions pouvant porter atteinte à l'équilibre biologique des milieux. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de la méconnaissance de ces différentes dispositions ne peuvent qu'être écartés.

8. Il résulte de tout ce qui précède que l'association franco-belge pour la protection de la nature n'est pas fondée à demander l'annulation du courriel qu'elle attaque.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'association franco-belge pour la protection de la nature est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association franco-belge pour la protection de la nature et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 novembre 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.

Rendu le 16 décembre 2024.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

Le rapporteur :

Signé : M. Antoine Berger

La secrétaire :

Signé : Mme Laïla Kouas


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 486315
Date de la décision : 16/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 16 déc. 2024, n° 486315
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Antoine Berger
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:486315.20241216
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