Vu la procédure suivante :
Par un déféré, le préfet des Pyrénées-Orientales a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, sur le fondement du troisième alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, de suspendre l'exécution du permis de construire délivré tacitement le 17 mars 2021 par le maire d'Elne à la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Domaine des Deux Tours pour la réalisation d'un hangar agricole avec couverture de production photovoltaïque.
Par une ordonnance n° 2307570 du 26 janvier 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté son déféré.
Par une ordonnance n° 24TL00324 du 28 février 2024, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Toulouse a rejeté l'appel formé par le préfet des Pyrénées-Orientales contre l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 mars et 28 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande au Conseil d'Etat d'annuler cette ordonnance.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gury et Maître, avocat de la société Domaine des Deux Tours et à la SCP Krivine, Viaud, avocat de la commune d'Elne ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés de la cour administrative d'appel de Toulouse que la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Domaine des Deux Tours a déposé une demande de permis de construire un hangar agricole avec une couverture de production photovoltaïque en mairie d'Elne le 17 juillet 2020. En l'absence de réponse expresse à l'expiration du délai d'instruction, un permis de construire a été tacitement délivré le 17 mars 2021 à cette SCEA. Après avoir obtenu transmission, à la demande de ses services, du dossier complet de demande de permis de construire par le maire de la commune d'Elne en vue du contrôle de légalité le 14 novembre 2023, le préfet des Pyrénées-Orientales a demandé la suspension de l'exécution de ce permis sur le fondement de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, par une requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Montpellier le 22 décembre 2023. Par une ordonnance du 26 janvier 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande pour tardiveté. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande au Conseil d'Etat d'annuler l'ordonnance du 28 février 2024 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d'appel de Toulouse a rejeté l'appel formé par le préfet des Pyrénées-Orientales contre cette ordonnance.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. (...) / Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. (...) ". En vertu du 6° du I de l'article L. 2131-2 du même code, doivent être transmis au représentant de l'Etat dans le département : " Le permis de construire et les autres autorisations d'utilisation du sol et le certificat d'urbanisme délivrés par le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale, lorsqu'il a reçu compétence dans les conditions prévues aux articles L. 422-1 et L. 422-3 du code de l'urbanisme ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R* 423-7 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Lorsque l'autorité compétente pour délivrer le permis ou pour se prononcer sur un projet faisant l'objet d'une déclaration préalable est le maire au nom de la commune, celui-ci transmet un exemplaire de la demande ou de la déclaration préalable au préfet dans la semaine qui suit le dépôt ". L'article L. 424-7 du même code dispose : " Lorsque l'autorité compétente est le maire au nom de la commune ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale, le permis est exécutoire, lorsqu'il s'agit d'un arrêté, à compter de sa notification au demandeur et de sa transmission au préfet dans les conditions définies aux articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales ". Toutefois, par dérogation, l'article L. 424-8 du même code dispose que : " Le permis tacite et la décision de non-opposition à une déclaration préalable sont exécutoires à compter de la date à laquelle ils sont acquis ".
4. Enfin, selon l'article L. 121-8 du même code, l'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants, dans les communes littorales définies à l'article L. 321-2 du code de l'environnement. L'article L. 121-10 du même code dispose : " Par dérogation à l'article L. 121-8, les constructions ou installations nécessaires aux activités agricoles ou forestières ou aux cultures marines peuvent être autorisées avec l'accord de l'autorité administrative compétente de l'Etat, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites et de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (...) / L'accord de l'autorité administrative est refusé si les constructions ou installations sont de nature à porter atteinte à l'environnement ou aux paysages ".
5. S'il résulte des dispositions de l'article L. 424-8 du code de l'urbanisme citées au point 3 qu'un permis de construire tacite est exécutoire dès qu'il est acquis, sans qu'il y ait lieu de rechercher s'il a été transmis au représentant de l'Etat, les dispositions de cet article ne dérogent pas à celles de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, en vertu desquelles le préfet défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 de ce code qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. Figurent au nombre de ces actes les permis de construire tacites. Une commune doit être réputée avoir satisfait à l'obligation de transmission dans le cas d'un permis de construire tacite, si elle a transmis au préfet l'entier dossier de demande, en application de l'article R* 423-7 du code de l'urbanisme. Le délai du déféré court alors à compter de la date à laquelle le permis est acquis ou, dans l'hypothèse où la commune ne satisfait à l'obligation de transmission que postérieurement à cette date, à compter de la date de cette transmission.
6. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que le juge des référés de la cour administrative d'appel a considéré que la commune d'Elne avait satisfait à l'obligation de transmission au préfet prévue à l'article R* 423-7 précité du code de l'urbanisme dès le 25 septembre 2020, soit à la date à laquelle les services de l'Etat ont été rendus destinataires du dossier de demande de permis de construire en vue d'une demande de dérogation au principe de l'extension de l'urbanisation en continuité avec les agglomérations et villages existants au titre de l'article L. 121-10 du code de l'urbanisme. Le juge des référés en a déduit que le délai du déféré avait commencé à courir à compter du 17 mars 2021, soit à la date à laquelle le permis de construire avait été acquis. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 5 que la demande de dérogation présentée au titre de l'article L. 121-10 du code de l'urbanisme ne constituait pas, en l'absence de toute mention expresse en ce sens, une transmission au préfet au sens et pour l'application de l'article R* 423-7 précité du code de l'urbanisme, et que, dès lors, le délai du déféré n'avait commencé à courir qu'à compter de la date à laquelle la commune avait transmis aux services de l'Etat l'entier dossier en vue du contrôle de légalité, soit le 14 novembre 2023. Par suite, en estimant que c'était à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier avait rejeté comme tardif le déféré du préfet des Pyrénées-Orientales présenté le 22 décembre 2023, alors que celui-ci avait été formé dans le délai de deux mois, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Toulouse a commis une erreur de droit.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Toulouse du 28 février 2024 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Toulouse.
Article 3 : Les conclusions de la SCEA Domaine des Deux Tours et de la commune d'Elne présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et à la SCEA Domaine des Deux Tours.