Vu la procédure suivante :
Mme B... et M. A... C... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du maire de la commune de Lassay-sur-Croisne (Loir-et-Cher) du 11 décembre 2018 portant alignement de la " voie roulante n° 7 " et la décision implicite par laquelle le maire a refusé d'acquérir une bande de terrain d'une superficie de 221 m2 leur appartenant et, à défaut, de condamner la commune à leur verser la somme de 773,50 euros en réparation du préjudice subi par eux du fait de la privation de jouissance perpétuelle de cette partie de leur propriété. Par un jugement n° 1902937 du 7 octobre 2021, ce tribunal a annulé cet arrêté et rejeté le surplus des conclusions de M. et Mme C....
Par un arrêt n° 21VE03271 du 13 octobre 2023, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la commune de Lassay-sur-Croisne.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 décembre 2023, 8 mars et 16 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Lassay-sur-Croisne demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant dans cette mesure l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de M. et Mme C... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de la voirie routière ;
- l'ordonnance n° 59-115 du 7 janvier 1959 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la commune de Lassay-sur-Croisne et à la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat de M. et Mme C... ;
Vu la note en délibéré présentée le 21 novembre 2024 par M. et Mme C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B... C... et M. A... C... sont propriétaires d'une maison d'habitation au 7, rue Fleur de Lys à Lassay-sur-Croisne (Loir-et-Cher), lieu-dit " Le Bourg ", implantée sur la parcelle cadastrée section B n° 40 qui est desservie par la " voie roulante n° 7 ". Le maire de Lassay-sur-Croisne a, par un arrêté du 11 décembre 2018, procédé à l'alignement individuel de cette voie au droit de leur propriété. M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler cet arrêté, ainsi que la décision implicite par laquelle le maire a refusé d'acquérir une bande de terrain leur appartenant et faisant partie, selon l'arrêté, de l'emprise de la voie communale et, enfin, de condamner la commune à les indemniser du préjudice né de la privation de jouissance perpétuelle de cette partie de leur propriété. Par un jugement du 7 octobre 2021, le tribunal administratif d'Orléans a annulé l'arrêté du 11 décembre 2018 et rejeté le surplus de leurs conclusions. La commune de Lassay-sur-Croisne se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 13 octobre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 141-1 du code de la voirie routière : " " Les voies qui font partie du domaine public routier communal sont dénommées voies communales. ". Aux termes de l'article L. 141-4 du même code : " " Le classement et le déclassement des voies communales sont prononcés par le conseil municipal. Ce dernier est également compétent pour l'établissement des plans d'alignement et de nivellement, l'ouverture, le redressement et l'élargissement des voies. / Les délibérations concernant le classement ou le déclassement sont dispensées d'enquête publique préalable sauf lorsque l'opération envisagée a pour conséquence de porter atteinte aux fonctions de desserte ou de circulation assurées par la voie ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 112-3 du code de la voirie routière : " L'alignement individuel est délivré par le représentant de l'État dans le département, le président du conseil départemental ou le maire, selon qu'il s'agit d'une route nationale, d'une route départementale ou d'une voie communale (...) ". L'article L. 112-1 du même code dispose que : " L'alignement est la détermination par l'autorité administrative de la limite du domaine public routier au droit des propriétés riveraines. Il est fixé soit par un plan d'alignement, soit par un alignement individuel. / Le plan d'alignement, auquel est joint un plan parcellaire, détermine après enquête publique ouverte par l'autorité exécutive de la collectivité territoriale ou de l'établissement public de coopération intercommunale, propriétaire de la voie, et organisée conformément aux dispositions du code des relations entre le public et l'administration la limite entre voie publique et propriétés riveraines. / L'alignement individuel est délivré au propriétaire conformément au plan d'alignement s'il en existe un. En l'absence d'un tel plan, il constate la limite de la voie publique au droit de la propriété riveraine ".
4. Il résulte des dispositions de l'article L. 112-1 du code de la voirie routière précité qu'un arrêté d'alignement, qui, en l'absence de plan d'alignement, se borne à constater les limites d'une voie publique en bordure des propriétés riveraines, et constitue ainsi un acte dépourvu d'effet sur le droit de propriété des riverains, ne peut être fixé qu'en fonction des limites actuelles de la voie publique en bordure des propriétés riveraines éventuels, empiètements inclus. Un arrêté d'alignement se bornant à constater les limites d'une voie publique en bordure des propriétés riveraines, une contestation relative à la propriété des immeubles riverains de la voie publique sur laquelle il n'appartiendrait qu'à l'autorité judiciaire de statuer, ne peut, dès lors, être utilement soulevée à l'appui de conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'un tel arrêté. En revanche, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'un arrêté d'alignement, de vérifier si l'arrêté d'alignement attaqué se borne ou non à constater les limites actuelles de la voie publique en bordure des propriétés riveraines.
5. Pour juger que l'arrêté d'alignement litigieux était entaché d'illégalité, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que la " voie roulante n° 7 " n'était pas ouverte à la circulation publique en 1959 et ne pouvait, par conséquent, être regardée, en application des dispositions de l'article 9 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative à la voirie des collectivités locales comme une " voie urbaine " appartenant de plein droit au domaine public de la commune, dont l'arrêté d'alignement contesté se bornait ainsi à constater la limite. En statuant ainsi, alors que la commune soutenait devant elle qu'en tout état de cause, par une délibération du 22 décembre 2016, le conseil municipal avait expressément classé cette voie comme voie communale sur le fondement de l'article L. 141-4 du code de la voirie routière, cité au point 2, la cour a omis de répondre à un moyen qui n'était pas inopérant, méconnu son office et entaché son arrêt d'erreur de droit. Il résulte de ce qui précède que la commune de Lassay-sur-Croisne est fondée à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme C... la somme de 3 000 euros à verser à la commune de Lassay-sur-Croisne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Lassay-sur-Croisne qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 13 octobre 2023 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : M. et Mme C... verseront à la commune de Lassay-sur-Crosne une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. et Mme. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Lassay-sur-Croisne et à Mme B... et M. A... C....
Délibéré à l'issue de la séance du 21 novembre 2024 où siégeaient : M. Thomas Andrieu, président de chambre, présidant ; M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat et Mme Ophélie Champeaux, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 10 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Thomas Andrieu
La rapporteure :
Signé : Mme Ophélie Champeaux
Le secrétaire :
Signé : M. Aurélien Engasser