Vu la procédure suivante :
L'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (ARPE) a, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris de procéder à la liquidation de l'astreinte dont l'ordonnance n° 2401617 du 7 février 2024 de la juge des référés de ce même tribunal a assorti l'injonction adressée à la société par actions simplifiée unipersonnelle Centrale B... VTC de lui communiquer, au plus tard le 10 février 2024, un fichier comportant les données personnelles des travailleurs exerçant leur activité par son intermédiaire et qui remplissent les conditions fixées par l'article L. 7343-7 du code du travail, en vue de l'établissement des listes électorales pour l'organisation du scrutin destiné à mesurer l'audience des organisations dans chacun des secteurs mentionnés à l'article L. 7343-1 du même code. Par une ordonnance n° 2404955 du 2 avril 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a condamné la société Centrale B... VTC à verser à l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi une somme de 25 000 euros au titre de la liquidation définitive de l'astreinte prononcée par l'ordonnance du 7 février 2024.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 29 mai, 12 juin, 14 août et 16 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Centrale B... VTC demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) réglant l'affaire au fond, de juger qu'il n'y a pas lieu à liquidation de l'astreinte ;
3°) de mettre à la charge de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 ;
- la loi n° 95-125 du 8 février 1995 ;
- l'arrêté du 8 janvier 2024 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel prévu à l'article R. 7343-3 du code du travail aux fins de préparer et de permettre le scrutin destiné à mesurer l'audience des organisations de travailleurs recourant pour leur activité aux plateformes et au délai de transmission, par ces plateformes à l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi, des données nécessaires à ces fins ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thomas Godmez, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la société Centrale B... VTC ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Paris que l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi a demandé à la société Centrale B... VTC de lui communiquer les données nécessaires à la constitution de la liste électorale pour l'organisation du scrutin, prévu à l'article L. 7343-5 du code du travail, destiné à mesurer l'audience des organisations dans le secteur des activités de conduite d'une voiture de transport avec chauffeur et celui des activités de livraison de marchandises au moyen d'un véhicule à deux ou trois roues, motorisé ou non. En l'absence de réponse de cette société, elle a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'enjoindre à cette société de lui communiquer, au plus tard le 9 février 2024, un fichier comportant les données personnelles des travailleurs exerçant leur activité par son intermédiaire et qui remplissent les conditions de l'article L. 7343-7 du code du travail, en vue de l'établissement des listes électorales, sous astreinte. Par une ordonnance du 7 février 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint à la société Centrale B... VTC de communiquer à l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi les documents sollicités au plus tard le 10 février 2024, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard. Par une nouvelle ordonnance du 2 avril 2024 contre laquelle la société Centrale B... VTC se pourvoit en cassation, la juge des référés du tribunal administratif de Paris, constatant que la société Centrale B... VTC n'avait communiqué à l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi les documents qu'elle devait lui transmettre au plus tard le 10 février 2024 que le 6 mars 2024, soit avec vingt-cinq jours de retard, a procédé à la liquidation définitive de l'astreinte prononcée par cette ordonnance et, après avoir ramené le taux de l'astreinte à 1 000 euros, a condamné la société Centrale B... VTC à verser à l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi la somme 25 000 euros.
Sur le cadre juridique du litige :
2. D'une part, aux termes des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ". Ces dispositions permettent à l'administration de s'adresser au juge administratif des référés pour obtenir, lorsqu'elle n'a pas elle-même le pouvoir de les prendre, des mesures à caractère coercitif à l'encontre de personnes privées afin de lui permettre de remplir normalement les missions de service public dont elle est investie.
3. Les dispositions du livre IX du code de justice administrative ne s'appliquent qu'aux injonctions et astreintes que, depuis la loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public et la loi du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, les juridictions administratives peuvent prononcer à l'encontre d'une personne morale de droit public ou d'un organisme privé chargé de la gestion d'un service public. Elles ne sont, en revanche, pas applicables lorsque le juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, fait application du principe général selon lequel les juges ont la faculté de prononcer une injonction assortie d'une astreinte en vue de l'exécution de leurs décisions.
4. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article L. 7343-5 du code du travail, l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi organise tous les quatre ans un scrutin destiné à mesurer l'audience des organisations dans le secteur des activités de conduite d'une voiture de transport avec chauffeur et celui des activités de livraison de marchandises au moyen d'un véhicule à deux ou trois roues, motorisé ou non. Aux termes des dispositions de l'article L. 7343-7 de ce code : " Sont électeurs les travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique mentionnée à l'article L. 7342-1 qui justifient d'une ancienneté de trois mois d'exercice de leur activité dans le secteur économique considéré (...) ". L'article L. 7343-8 du même code prévoit que : " Pour l'établissement de la liste électorale, les plateformes (...) transmettent à l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi les données nécessaires à la constitution de la liste électorale (...) selon des modalités définies par décret en Conseil d'Etat ". L'article L. 7345-3 de ce code dispose que : " Pour l'accomplissement des missions qui lui sont confiées, l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi peut : / 1° Demander à se faire communiquer tout document en possession des plateformes, nécessaire à l'exercice de ses missions, notamment pour l'examen des demandes mentionnées à l'article L. 7343-14 ; / 2° Demander l'audition de toute personne susceptible de contribuer à son information ". Aux termes des dispositions de l'article R. 7343-3 de ce code : " I. - Afin de préparer et de permettre le vote électronique prévu à l'article L. 7343-9, il est créé un traitement automatisé de données à caractère personnel placé sous la responsabilité de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi. (...) II. - Le traitement mentionné au I est constitué sur la base des informations transmises par l'ensemble des plateformes mentionnées à l'article L. 7343-1, par les mandataires des organisations candidates, et par l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (...) ". L'article R. 7343-8 du même code dispose que : " Une liste électorale est établie pour chaque secteur d'activité par le directeur général de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi ". Enfin, le I de l'article 2 de l'arrêté du 8 janvier 2024 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel prévu à l'article R. 7343-3 du code du travail aux fins de préparer et de permettre le scrutin destiné à mesurer l'audience des organisations de travailleurs recourant pour leur activité aux plateformes et au délai de transmission, par ces plateformes à l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi, des données nécessaires à ces fins prévoit que " Les données à caractère personnel mentionnées au 1° de l'article 1er sont transmises à l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi, par les plateformes mentionnées à l'article L. 7343-1 du code du travail, dans un délai maximal de quatorze jours calendaires à compter de la date mentionnée à la seconde phrase de l'article L. 7343-7 du code du travail ". Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi ne dispose d'aucun pouvoir de contrainte pour obtenir des plateformes la transmission des données permettant l'établissement des listes électorales pour le scrutin destiné à mesurer l'audience des organisations de travailleurs recourant pour leur activité aux plateformes.
Sur les moyens du pourvoi :
5. Il résulte des points 2 et 3 et de l'article L. 9 du code de justice administrative, qui dispose que " Les jugements sont motivés ", que la décision par laquelle la juridiction ayant prononcé une astreinte provisoire statue sur sa liquidation définitive présente un caractère juridictionnel et doit par suite être motivée. En particulier, il appartient à la juridiction d'énoncer les motifs qui la conduisent, soit à ne pas faire droit aux moyens dont elle est saisie en vue d'une modulation de l'astreinte, soit à procéder d'office à une telle modulation.
6. Par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Paris, après avoir constaté que la société Centrale B... VTC avait communiqué à l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi avec vingt-cinq jours de retard les documents qu'elle devait lui transmettre, s'est bornée à énoncer qu'il y avait " lieu, dans les circonstances de l'espèce, de minorer le taux de l'astreinte à 1 000 euros et de condamner la société Centrale B... VTC à verser à l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi la somme 25 000 euros ". En statuant ainsi, sans justifier, même succinctement, sa décision de maintenir le taux de l'astreinte à un niveau élevé, alors qu'elle était saisie d'une argumentation sur la situation économique de l'entreprise concernée, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a insuffisamment motivé son ordonnance.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Centrale B... VTC est fondée à demander, pour ce motif, l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur le règlement au titre de la procédure de référé :
9. Par une ordonnance du 7 février 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Paris, saisie sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, a enjoint à la société Centrale B... VTC de communiquer à l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi, au plus tard le 10 février 2024 et sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard, un fichier comportant les données personnelles des travailleurs exerçant leur activité par son intermédiaire et qui remplissent les conditions fixées par l'article L. 7343-7 du code du travail, en vue de l'établissement des listes électorales pour le scrutin destiné à mesurer l'audience des organisations de travailleurs recourant pour leur activité aux plateformes.
10. Il résulte de l'instruction que la société Centrale B... VTC n'a communiqué que le 6 mars 2024 à l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi les documents qu'elle devait lui transmettre au plus tard le 10 février 2024 en vertu de l'injonction prononcée par l'ordonnance du 7 février 2024, soit avec vingt-cinq jours de retard. Il y a lieu, par suite, de procéder à la liquidation définitive de l'astreinte prononcée par cette ordonnance pour la période du 10 février au 6 mars 2024.
11. A cet égard, si le retard pris par la société Centrale B... VTC pour transmettre les documents demandés a pu être de nature à contrarier la constitution de la liste électorale par l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi, en l'absence de tout autre moyen par celle-ci d'obtenir les informations requises, il y a lieu de tenir compte, d'une part, de ce que les documents en cause ne concernaient qu'une dizaine de chauffeurs et lui ont en définitive été transmis alors que la liste électorale était encore en cours d'établissement et, d'autre part, de la situation économique de la société Centrale B... VTC, dont le résultat était négatif en 2023, et, en conséquence de ramener le taux de l'astreinte à 30 euros par jour de retard et de condamner en conséquence la société Centrale B... VTC à verser à l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi la somme 750 euros au titre de sa liquidation définitive.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi, partie perdante pour l'essentiel, la somme de 3 000 euros à verser à la société Centrale B... VTC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 2 avril 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : Le montant définitif de l'astreinte prononcée par l'ordonnance du 2 avril 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Paris que la société Centrale B... VTC est condamnée à payer à l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi est fixé à 750 euros.
Article 3 : L'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi versera une somme de 3 000 euros à la société Centrale B... VTC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., liquidateur de la société par actions simplifiée unipersonnelle Centrale B... VTC et à l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi.
Copie en sera adressée à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré à l'issue de la séance du 21 novembre 2024 où siégeaient : M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat, présidant ; M. Edouard Geffray, conseiller d'Etat et M. Thomas Godmez, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 6 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jean-Luc Nevache
Le rapporteur :
Signé : M. Thomas Godmez
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly