Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 5 mai et 28 juillet 2023 et les 30 janvier et 15 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société La Chaîne Info (LCI) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2023-197 du 8 mars 2023 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a mise en demeure de se conformer à ses obligations en matière d'honnêteté et de rigueur dans le traitement de l'information ;
2°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel n° 2018-11 du 18 avril 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 novembre 2024, présentée par l'Arcom ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, Bonichot et associés, avocat de la société La Chaîne Info.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1. "
2. Il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 8 mars 2023, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), qui a succédé au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) à compter du 1er janvier 2022, a mis en demeure la société LCI de respecter ses obligations en matière d'honnêteté et de rigueur dans le traitement de l'information à la suite de la diffusion de deux séquences, l'une lors de l'émission " Un œil sur le monde " du 5 septembre 2022, l'autre lors de l'émission " 24h Pujadas " du 12 septembre 2022. La société LCI demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette mise en demeure.
Sur la légalité externe :
3. Aux termes de l'article 4 de la loi du 30 septembre 1986 visée ci-dessus : " I. - L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique comprend neuf membres (...) VI. - L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique ne peut délibérer que si au moins six de ses membres sont présents. Elle délibère à la majorité des membres présents. Le président a voix prépondérante en cas de partage égal des voix. (...) "
4. Il ressort du procès-verbal de la séance du 8 mars 2023 de l'Arcom que huit des neuf membres de cette autorité étaient présents lorsqu'a été délibérée la décision litigieuse. Le moyen tiré de la violation de la règle de quorum prévue par le VI de l'article 4 de la loi du 30 septembre 1986 doit dès lors être écarté.
Sur la légalité interne :
5. Aux termes de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 : " L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique garantit l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent, sous réserve de l'article 1er de la présente loi. (...) " Aux termes de l'article 2-3-7 de la convention du service LCI du 20 mai 2019 : " L'exigence d'honnêteté s'applique à l'ensemble des programmes. L'éditeur respecte la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent. " Aux termes de l'article 1er de la délibération du CSA du 18 avril 2018 relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent : " L'éditeur d'un service de communication audiovisuelle doit assurer l'honnêteté de l'information et des programmes qui y concourent. (...) / Il fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information. (...) "
6. D'une part, pour mettre la société LCI en demeure de se conformer à l'avenir à ses obligations d'honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information, la décision attaquée relève qu'au cours d'une séquence de l'émission " L'Œil sur le monde " du lundi 5 septembre 2022, la journaliste qui présentait l'émission a commenté le reportage d'une chaîne de télévision russe qui montrait notamment les images d'une manifestation parisienne, présentée comme protestant contre les sanctions internationales imposées à la Russie, en affirmant que cette manifestation n'avait pas eu lieu. Or, il ressort des pièces du dossier que la manifestation en cause s'était bien déroulée à Paris le samedi 3 septembre précédent, et qu'elle avait notamment pour objet de dénoncer le renchérissement du prix de l'énergie que les manifestants rattachaient aux sanctions contre la Russie, ce que la chaîne LCI était en mesure de vérifier. En considérant que la présentation de ces faits, sans la moindre précaution, constituait, alors même que la chaîne a rectifié son erreur dès le lendemain, un manquement aux obligations résultant des dispositions citées au point 5, l'Arcom n'a ni commis d'erreur de droit, ni procédé à une appréciation erronée des faits de l'espèce.
7. D'autre part, il ressort des énonciations de la décision attaquée que la chaîne LCI a diffusé, le 12 septembre 2022, lors d'une séquence de l'émission " 24h Pujadas ", une infographie faisant apparaître de manière erronée qu'un couple au chômage avec deux enfants pouvait bénéficier d'un revenu supérieur à celui d'un couple dont les deux conjoints travaillent, grâce à un cumul des allocations de retour à l'emploi et du revenu de solidarité active qui était en réalité rendu impossible par les dispositions applicables en l'espèce. En estimant que ces faits constituaient un manquement de la chaîne à l'obligation d'honnêteté et de rigueur qui lui incombe en vertu des dispositions rappelées au point précédent, alors qu'il ressort des pièces du dossier que les auteurs de la séquence en cause avaient établi cette infographie sur le fondement d'informations fournies par le simulateur mis en ligne sur le site internet des caisses d'allocations familiales, qui comportaient la même erreur, laquelle n'a été corrigée qu'à la suite de la diffusion de cette séquence, qu'ils avaient cherché à faire confirmer ces informations par le service chargé de la communication de Pôle emploi et qu'ils avaient ainsi accompli les diligences de vérification des informations qui pouvaient raisonnablement être attendues de leur part, l'Arcom a commis une erreur d'appréciation.
8. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'Arcom aurait pris la même décision si elle s'était uniquement fondée sur le motif rappelé au point 6. La société LCI n'est, dès lors, pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société La Chaîne Info est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société La Chaîne Info et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
Copie en sera adressée à la ministre de la culture.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 novembre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Laurence Helmlinger, conseillères d'Etat ; M. Alain Seban, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 4 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Cyrille Beaufils
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras