Vu la procédure suivante :
Le médecin-conseil, chef de service de l'échelon local du service médical de Haute-Savoie et la directrice générale de la caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) de Haute-Savoie ont formé une plainte à l'encontre de Mme A... B..., masseur-kinésithérapeute, devant la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance du conseil régional de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes Auvergne-Rhône-Alpes. Par une décision n° 2019-01 du 15 octobre 2020, la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance a infligé à Mme B... la sanction de l'interdiction temporaire du droit de dispenser des soins aux assurés sociaux pendant une durée de quatre mois, dont deux mois assortis du sursis, et l'a condamnée à reverser à la CPAM de Haute-Savoie la somme de 29 854,31 euros.
Par une décision du 6 janvier 2023, la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, sur appel de Mme B..., a ramené à 13 248,77 euros la somme mise à sa charge au titre d'honoraires abusifs.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 mars et 12 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la CPAM de Haute-Savoie demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête de Mme B... ;
3°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Hortense Naudascher, auditrice,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. A l'occasion du contrôle de l'activité de Mme B..., masseur-kinésithérapeute, plusieurs anomalies ont été relevées dans la facturation de ses actes, au cours de la période du 7 janvier 2016 au 4 juillet 2018. Par une décision du 15 octobre 2020, la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance a infligé à Mme B... la sanction de l'interdiction temporaire du droit de dispenser des soins aux assurés sociaux pendant une durée de quatre mois, dont deux mois assortis du sursis et l'a condamnée à reverser à la CPAM de Haute-Savoie la somme de 29 854,31 euros. Par une décision du 6 janvier 2023, la section des assurances sociales du conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a ramené à 13 248,77 euros la somme mise à sa charge au titre des honoraires abusifs. La CPAM de Haute Savoie se pourvoit en cassation contre cette décision.
2. En premier lieu, pour écarter le grief tiré de facturations réalisées en méconnaissance des dispositions applicables de la nomenclature générale des actes professionnels s'agissant de trois patients atteints de " fibromyalgie ", la section des assurances sociales a jugé que la cotation " AMS 9,5 " pouvait être admise. En retenant cette cotation, correspondant nécessairement en l'espèce à l'indemnité forfaitaire orthopédique et rhumatologique pour un acte de " rééducation de tout ou partie de plusieurs membres ou du tronc et d'un ou plusieurs membres ", conformément à l'article 1er du titre XIV de la nomenclature, pour une pathologie constituée de douleurs diffuses qui atteint le plus souvent plusieurs membres, la section des assurances sociales a suffisamment motivé sa décision.
3. En deuxième lieu, la section des assurances sociales a jugé que la surcotation de plusieurs actes, recensés par le point 18 de la décision attaquée, a donné lieu à la perception par Mme B... d'honoraires abusifs d'un montant de 8 308,77 euros. En permettant d'identifier avec précision les actes concernés, la section des assurances sociales, qui n'avait pas à donner le détail des éléments qu'elle a retenus pour déterminer le montant de l'indu au titre des facturations réalisées en méconnaissance de la nomenclature générale des actes professionnels, a suffisamment motivé sa décision.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 4321-7 du code de la santé publique : " Pour la mise en œuvre des traitements mentionnés à l'article R. 4321-5, le masseur-kinésithérapeute est habilité à utiliser les techniques et à réaliser les actes suivants : (...) 8° Electro-physiothérapie : (...) b) Utilisation des ondes mécaniques, infrasons, vibrations sonores, ultrasons ; (...) ". Aux termes de l'article L. 162-7 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige : " La prise en charge ou le remboursement par l'assurance maladie de tout acte ou prestation réalisé par un professionnel de santé, dans le cadre d'un exercice libéral (...), à l'exception des prestations mentionnées à l'article L. 165-11, est subordonné à leur inscription sur une liste établie dans les conditions fixées au présent article (...) ". Si le traitement par ondes de choc, prodigué par Mme B... à deux de ses patients, ne figure pas sur la liste des actes éligibles à la prise en charge ou au remboursement par la sécurité sociale prévue par l'article L. 162-7 du code de la sécurité sociale, il résulte toutefois des dispositions précitées du code de la santé publique que les masseurs-kinésithérapeutes sont habilités à réaliser de tels actes. Ils peuvent notamment mettre en œuvre ces traitements à l'occasion de séances comportant la réalisation d'actes remboursés par la nomenclature, pour autant que le médecin les ait prescrits. Par suite la section des assurances sociales, dont il ne résulte pas de la décision qu'elle aurait fait reposer sur l'assurance-maladie le remboursement de traitements par ondes de choc, n'a pas commis d'erreur de droit en écartant le grief tiré de la facturation par Mme B... d'actes hors nomenclature, sur la base d'ordonnances prescrivant de tels traitements.
5. En quatrième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 145-5-2 du code de la sécurité sociale : " Les sanctions susceptibles d'être prononcées par la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance et par la section des assurances sociales du conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes (...) sont : (...) 4° Dans le cas d'abus d'honoraires, le remboursement à l'assuré du trop-remboursé (...) ". Constituent des honoraires abusifs au sens du 4° de l'article L. 145-2- du code de la sécurité sociale ceux qui sont réclamés pour un acte facturé sans avoir jamais été réalisé, pour un acte surcoté, pour un acte réalisé dans des conditions telles qu'alors même qu'il a été effectivement pratiqué il équivaut à une absence de soins, ou encore ceux dont le montant est établi sans tact ni mesure. D'autre part, aux termes de l'article 2 du chapitre III de la nomenclature générale des actes professionnels applicable : " Si le praticien choisit d'accueillir deux ou trois patients (le nombre de malades pris en charge simultanément ne peut excéder trois), le temps consacré individuellement à chaque patient par le praticien doit être de l'ordre de trente minutes, par période continue ou fractionnée ".
6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B... a prodigué à seize de ses patients des soins de balnéothérapie dans le cadre de séances de groupe rassemblant en moyenne cinq personnes. En jugeant, d'une part, que seuls les soins d'une durée inférieure à vingt minutes par patient peuvent être regardés comme équivalant à une absence de soins, alors que la nomenclature générale des actes professionnels prévoit qu'une séance de masso-kinésithérapie est d'une durée de l'ordre de trente minutes, la section des assurances sociales, qui n'a pas commis d'erreur de droit, a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine, exempte de dénaturation. En retenant, d'autre part, que, dans l'ignorance de la répartition de l'attention de la praticienne entre chacun de ses patients, seules les séances effectuées pour les patients au-delà de trois présents dans le bassin pour une séance d'une heure équivalent à une absence de soins et condamné Mme B... à rembourser les deux cinquièmes des honoraires perçus à l'occasion de ces séances litigieuses, la section des assurances sociales a suffisamment motivé sa décision et porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine, exempte de dénaturation.
7. En cinquième lieu, en déduisant du montant des honoraires indus réclamés par la CPAM le montant des sur-cotations d'actes pratiqués par Mme B..., la section des assurances sociales, qui n'avait pas à donner le détail des éléments qu'elle a retenus pour déterminer le montant de l'indu à reverser, a suffisamment motivé sa décision. Le moyen tiré de ce qu'elle a commis une erreur de droit en procédant à une telle déduction est dépourvu des précisions nécessaires pour en apprécier le bienfondé.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la caisse requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CPAM de Haute-Savoie la somme de 3 500 euros à verser à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce que la somme demandée par la CPAM de Haute-Savoie soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la CPAM de Haute-Savoie est rejeté.
Article 2 : La CPAM de Haute-Savoie versera à Mme B... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la CPAM de Haute-Savoie et à Mme A... B....
Copie en sera adressée au médecin-conseil, chef de service de l'échelon local du service médical de Haute-Savoie et à la ministre de la santé et de l'accès aux soins.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 novembre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Laurence Helmlinger, conseillères d'Etat ; M. Alain Seban, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Hortense Naudascher, auditrice-rapporteure.
Rendu le 4 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Hortense Naudascher
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras