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29/11/2024 | FRANCE | N°491594

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 29 novembre 2024, 491594


Vu les procédures suivantes :



1° Sous le n° 491594, la société anonyme (SA) Société du Port de Plaisance de Cap-d'Ail a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des rappels de retenue à la source qui lui ont été réclamés sur le fondement de l'article 182 B du code général des impôts au titre des années 2010 à 2012, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement nos 1703993, 1803879 du 27 septembre 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.



Par un arrêt n° 19MA05087 du 7 décembre 2

023, la cour administrative d'appel de Marseille a réduit les bases des rappels de retenue à la ...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 491594, la société anonyme (SA) Société du Port de Plaisance de Cap-d'Ail a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des rappels de retenue à la source qui lui ont été réclamés sur le fondement de l'article 182 B du code général des impôts au titre des années 2010 à 2012, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement nos 1703993, 1803879 du 27 septembre 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19MA05087 du 7 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a réduit les bases des rappels de retenue à la source réclamés à la société du Port de Plaisance de Cap-d'Ail à hauteur de 780 euros au titre de l'année 2010, 4 484 euros au titre de l'année 2011 et 5 264 euros au titre de l'année 2012, prononcé la décharge correspondante des impositions et pénalités en litige, réformé le jugement du tribunal administratif de Nice en ce qu'il avait de contraire et rejeté le surplus des conclusions de l'appel formé par la société du Port de Plaisance de Cap-d'Ail contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 8 février, 7 mai et 2 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société du Port de Plaisance de Cap-d'Ail demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 491596, la société anonyme (SA) Société du Port de Plaisance de Cap-d'Ail a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la restitution des retenues à la source qu'elle a acquittées sur le fondement des dispositions de l'article 182 B du code général des impôts au titre des années 2016 à 2018. Par un jugement nos 1901265, 2000605 du 30 décembre 2020, ce tribunal a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 21MA00319 du 7 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a réduit les bases des retenues à la source dues par la société du Port de Plaisance de Cap-d'Ail à hauteur de 31 676 euros au titre de l'année 2016, 23 380 euros au titre de l'année 2017 et 10 657 euros au titre de l'année 2018, prononcé la décharge correspondante des impositions en litige, réformé le jugement du tribunal administratif de Nice en ce qu'il avait de contraire et rejeté le surplus des conclusions de l'appel formé par la société du Port de Plaisance de Cap-d'Ail contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 8 février, 7 mai et 2 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société du Port de Plaisance de Cap-d'Ail demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment ses articles 56 et 57 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société du Port de Plaisance de Cap-d'Ail ;

Vu les notes en délibéré, enregistrée le 6 novembre 2024, présentées sous les deux numéros par la société du Port de Plaisance de Cap-d'Ail ;

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois formés par la société du Port de plaisance de Cap-d'Ail présentent à juger les mêmes questions et demandent de transmettre au Conseil constitutionnel la même question prioritaire de constitutionnalité. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur les questions prioritaires de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes du I de l'article 182 B du code général des impôts : " Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : / a. Les sommes versées en rémunération d'une activité déployée en France dans l'exercice de l'une des professions mentionnées à l'article 92 (...) ". Il résulte de ces dispositions que la retenue à la source qu'elles prévoient est assise sur le montant brut des sommes versées en rémunération des activités déployées et s'applique indépendamment de la situation bénéficiaire ou déficitaire de la personne ou de la société qui les perçoit.

4. Toutefois, les stipulations des articles 56 et 57 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dont l'objet est de garantir la libre prestation de services au sein de l'Union européenne, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, s'opposent, d'une part, à une législation nationale qui exclut que le débiteur de la rémunération versée à un prestataire de services non résident, déduise, lorsqu'il procède à la retenue à la source de l'impôt, les frais professionnels que ce prestataire lui a communiqués et qui sont directement liés à ses activités dans l'Etat membre où est effectuée la prestation, alors qu'un prestataire de services résident de cet Etat ne serait soumis à l'impôt que sur ses revenus nets, c'est-à-dire sur ceux obtenus après déduction des frais professionnels. Ces mêmes stipulations s'opposent, d'autre part, à une législation nationale en vertu de laquelle la rémunération d'une prestation de services fait l'objet d'une retenue à la source lorsqu'elle est perçue par une société non-résidente, alors que, lorsqu'elle est perçue par une société résidente, son imposition selon le régime de droit commun de l'impôt sur les sociétés ne se réalise à la fin de l'exercice au cours duquel elle été perçue qu'à la condition que le résultat de cette société ait été bénéficiaire durant cet exercice. Il en découle que la retenue à la source mentionnée au point 3 ne saurait être immédiatement prélevée au titre de la rémunération d'activités déployées par une entreprise déficitaire établie dans un autre état membre de l'Union européenne, ni sur des recettes couvertes par le montant des frais professionnels qui sont directement liés à la délivrance de la prestation rendue et dont cette entreprise a communiqué le montant au débiteur de cette imposition.

5. A l'appui de chacun de ses pourvois, la société du Port de Plaisance de Cap-d'Ail demande que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du a du I de l'article 182 B du code général des impôts citées au point 3. Elle soutient d'une part que ces dispositions méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques dès lors que l'imposition des rémunérations des activités déployées en France dans l'exercice des professions mentionnées à l'article 92 du code général des impôts par une entreprise déficitaire établie à l'étranger, à tout le moins dans un pays tiers à l'Union européenne, et ne disposant pas en France d'une installation professionnelle permanente, est immédiatement et définitivement prélevée, par la voie de la retenue à la source qu'elles instituent, soumettant par là-même ce contribuable à une charge fiscale excessive, alors que les entreprises déficitaires qui disposent d'une telle installation, dont celles qui sont établies en France, ne sont pas soumises à l'impôt sur ces revenus au titre de l'année ou de l'exercice de perception de ces sommes. Elle soutient, d'autre part, que ces mêmes dispositions, telles qu'interprétées ainsi qu'il est dit au point 4, en conformité avec le droit de l'Union européenne, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi dès lors que les prestataires établis en dehors de l'Union européenne ne bénéficient pas de la possibilité, accordée aux entreprises établies dans un Etat membre, de déduire les frais exposés pour la délivrance des prestations qui sont l'objet de cette retenue à la source.

6. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

7. En prévoyant, par les dispositions contestées, des modalités d'imposition différentes pour les entreprises qui ne sont pas établies en France et n'y disposent pas d'installation professionnelle permanente, le législateur a entendu garantir le montant et le recouvrement de l'imposition due, à raison de leurs revenus de source française, par des personnes à l'égard desquelles l'administration fiscale française ne dispose pas du pouvoir de vérifier et de contrôler la réalité des charges déductibles qu'elles ont éventuellement engagées, ni celle de leurs éventuels déficits.

8. Dès lors, en faisant peser l'imposition des revenus des personnes qui ne disposent pas d'installation professionnelle permanente en France sur les sommes brutes qu'elles reçoivent en rémunération de leurs prestations, sans tenir compte des résultats tirés des autres activités de ces personnes pouvant aboutir à des situations globales déficitaires, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi et n'a pas institué une différence de traitement injustifiée. En appliquant à cette assiette brute le taux prévu par le 1 de l'article 219 du code général des impôts, qui était de 33 1/3 % pour les années en litige, les dispositions contestées ne font en outre pas peser sur ces personnes une imposition confiscatoire.

9. Par ailleurs, le mode de calcul ou la dispense de retenue à la source qui s'appliquent, en vertu de l'interprétation de ces dispositions donnée au point 4 et dans les situations qu'il vise, aux entreprises établies dans l'Union européenne, ne constituent qu'une adaptation des modalités de mise en œuvre de cette imposition dans le respect du droit de l'Union européenne, lequel n'impose pas que son bénéfice soit étendu aux entreprises établies dans des états tiers.

10. Or, d'une part, il ne résulte pas de cette prise en compte des exigences découlant du droit de l'Union européenne une dénaturation de l'objet initial de la loi. D'autre part, au regard de l'objet de la loi, telle que désormais interprétée, il existe une différence de situation entre les sociétés non résidentes, selon qu'elles ont établies dans l'Union européenne ou dans un pays tiers. La différence de traitement découlant des dispositions contestées est ainsi fondée sur une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi.

11. Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques doivent être écartés.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées, qui ne sont pas nouvelles, ne présentent pas de caractère sérieux. Il n'y a dès lors pas lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les pourvois :

13. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

14. Pour demander l'annulation des arrêts qu'elle attaque, la société du Port de Plaisance de Cap-d'Ail soutient que la cour administrative d'appel de Marseille a :

- commis une erreur de droit en ne recherchant pas si les sommes qu'elle a versées en rémunération de l'activité de sous-amodiation d'anneaux d'amarrage n'avaient pas, à raison des prestations dont pouvaient bénéficier les bateaux de passage jouissant de la mise à disposition de ces anneaux, le caractère de bénéfices industriels et commerciaux ;

- commis une erreur de droit en jugeant que l'administration avait pu à bon droit assujettir ces sommes à la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts, sans vérifier si l'application des dispositions de cet article portait atteinte à la liberté de prestation de services garantie par les articles 56 et 57 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

15. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission des pourvois.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la société du Port de Plaisance de Cap-d'Ail.

Article 2 : Les pourvois de la société du Port de Plaisance de Cap-d'Ail ne sont pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme Société du Port de Plaisance de Cap-d'Ail et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 6 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 29 novembre 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Vincent Mahé

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 491594
Date de la décision : 29/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 29 nov. 2024, n° 491594
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Vincent Mahé
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:491594.20241129
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