Vu la procédure suivante :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Paris de lui accorder le bénéfice d'un complément de crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement (CIMR) à raison de ses revenus de l'année 2018, à hauteur d'un montant de 214 479 euros. Par un jugement n° 2007212 du 21 février 2022, ce tribunal a rejeté ses demandes.
Par un arrêt n° 22PA01859 du 31 mai 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. C... et son épouse, Mme B..., contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 juillet et 20 octobre 2023 et le 9 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, notamment son article 60 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat de M. C... et de Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique :
1. L'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, modifié par l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative au décalage d'un an de l'entrée en vigueur du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, instaure, à compter des revenus de l'année 2018 et pour ceux qui entrent dans son champ d'application, le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Les dispositions du paragraphe I de l'article 60 déterminent les modalités de ce prélèvement. Les dispositions de son paragraphe II fixent les modalités de la transition entre les règles antérieures de paiement de l'impôt sur le revenu et le prélèvement à la source, afin que les contribuables ne paient pas, en 2019, l'impôt sur le revenu dû à la fois sur les revenus de l'année 2018 et sur ceux de l'année 2019, en instituant un crédit d'impôt dit de modernisation du recouvrement (CIMR) ayant pour objet d'effacer le montant de l'impôt dû au titre de 2018 correspondant aux revenus non exceptionnels de cette année.
2. Aux termes du E du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 : " 1. Le montant net imposable des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles et des bénéfices non commerciaux à retenir au numérateur du rapport prévu au B du présent II pour le calcul du crédit d'impôt prévu au A est déterminé, pour chaque membre du foyer fiscal et pour chacune de ces catégories de revenus, dans les conditions prévues à l'article 204 G du code général des impôts, à l'exception du 6° du 2 et du 4 du même article 204 G. / 2. Le montant défini au 1 du présent E, le cas échéant après application des abattements prévus aux articles 44 sexies à 44 septdecies du code général des impôts, est retenu dans la limite du plus faible des deux montants suivants : 1° Le bénéfice imposable au titre de l'année 2018, déterminé selon les règles prévues au 1 du présent E, avant application des éventuels abattements prévus aux mêmes articles 44 sexies à 44 septdecies ; 2° Le plus élevé des bénéfices imposables au titre des années 2015, 2016 ou 2017, déterminé selon les règles prévues au 1 du présent E, avant application des éventuels abattements prévus audits articles 44 sexies à 44 septdecies. (...) / 3. En cas d'application du 2° du 2 du présent E, le contribuable peut obtenir un crédit d'impôt complémentaire dans les conditions suivantes : / 1° Lorsque le bénéfice imposable au titre de l'année 2019, déterminé selon les règles prévues au 1, est supérieur ou égal au bénéfice imposable au titre de l'année 2018, déterminé selon les mêmes règles, le contribuable bénéficie d'un crédit d'impôt complémentaire, lors de la liquidation du solde de l'impôt sur le revenu dû au titre de 2019, égal à la fraction du crédit d'impôt dont il n'a pas pu bénéficier en application du 2 ; / 2° Lorsque le bénéfice imposable au titre de l'année 2019, déterminé selon les règles prévues au 1, est inférieur au bénéfice imposable au titre de l'année 2018, déterminé selon les mêmes règles, mais supérieur au plus élevé des bénéfices imposables au titre des années 2015, 2016 ou 2017 retenus en application du 2° du 2, le contribuable bénéficie, lors de la liquidation du solde de l'impôt sur le revenu au titre de 2019, d'un crédit d'impôt complémentaire égal à la différence entre : / a) Le crédit d'impôt calculé en retenant au numérateur du rapport prévu au B du présent II le bénéfice imposable au titre de l'année 2019, déterminé selon les règles prévues au 1 du présent E ; / b) Et le crédit d'impôt déjà obtenu en application du 2 du présent E ; / 3° Lorsque le bénéfice imposable au titre de l'année 2019, déterminé selon les règles prévues au 1, est inférieur au bénéfice imposable au titre de l'année 2018, déterminé selon les mêmes règles, le contribuable peut bénéficier, par voie de réclamation, d'un crédit d'impôt complémentaire égal à la fraction du crédit d'impôt dont il n'a pas pu bénéficier en application du 2 ou du 2° du présent 3, s'il justifie que la hausse de son bénéfice déclaré en 2018 par rapport aux trois années précédentes et à l'année 2019 résulte uniquement d'un surcroît d'activité en 2018 (...) ". Aux termes du H du II du même article, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " Le crédit d'impôt prévu au A et le crédit d'impôt complémentaire prévu au 3 du E du présent II accordés au titre de l'impôt sur le revenu dû au titre de l'année 2018 s'imputent sur l'impôt sur le revenu dû, respectivement, au titre des revenus 2018 ou 2019, après imputation de toutes les réductions d'impôt, de tous les crédits d'impôt et de tous les prélèvements ou retenues non libératoires. "
3. Il résulte des dispositions citées au point 2, éclairées par leurs travaux préparatoires, que, pour tenir compte de la possibilité qu'ont les travailleurs indépendants de procéder à des arbitrages sur les recettes et les charges servant à la détermination de leur bénéfice et ainsi maximiser leur bénéfice en 2018, le caractère non exceptionnel du bénéfice de 2018 est apprécié sur une période pluriannuelle. Ainsi, si un contribuable imposé à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles ou des bénéfices non commerciaux réalise, au titre de l'année 2018 et pour une même catégorie de revenus, un bénéfice supérieur au plus élevé des montants de ses bénéfices de 2015, 2016 ou 2017, le crédit d'impôt de modernisation du recouvrement dont il peut bénéficier est calculé sur la base du bénéfice le plus élevé de ces trois années, la différence étant réputée constituer un revenu exceptionnel. Si son bénéfice au titre de 2019 est plus élevé que celui de 2018, le bénéfice de 2018 est réputé ne plus être exceptionnel de sorte qu'il est octroyé de plein droit au contribuable un crédit d'impôt complémentaire effaçant l'intégralité de l'impôt qu'il a acquitté au titre de 2018 sur ce bénéfice. Si son bénéfice de 2019 est inférieur à son bénéfice de 2018 mais supérieur au plus élevé des bénéfices réalisés en 2015, 2016 et 2017, il lui est également octroyé de plein droit un crédit d'impôt complémentaire, limité à la différence entre celui correspondant au bénéfice le plus élevé des trois années de référence et celui correspondant au bénéfice réalisé en 2019. Il peut en outre, dans tous les cas où le bénéfice imposable dans une catégorie de revenus donnée est, en 2019, inférieur à celui de 2018, y compris lorsqu'il est nul, former auprès de l'administration fiscale une réclamation tendant au bénéfice d'un complément de crédit d'impôt permettant d'éliminer la totalité de l'impôt sur le revenu dû au titre de 2018 à raison de cette catégorie de revenus, sous réserve qu'il établisse que la part du bénéfice de cette année excédant celui des quatre années de référence correspond à un surcroît d'activité en 2018 et non, notamment, à un report ou une anticipation de bénéfices afférents à une activité réalisée en 2017 ou 2019.
Sur le pourvoi :
4. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C... ayant réalisé, au titre de l'année 2018, un bénéfice non commercial supérieur au plus élevé des montants de ses bénéfices imposables dans cette catégorie au titre des années 2015, 2016 ou 2017, l'administration fiscale a calculé, en application du 2 du E du II de l'article 60 de la loi de finances pour 2017 cité ci-dessus, le crédit d'impôt de modernisation du recouvrement (CIMR) prévu au A du II de cet article dû à M. C... à partir du montant le plus élevé de ces trois années, soit celui de 2017. M. C... et Mme B... ont formé, le 20 décembre 2019, une réclamation tendant à ce que l'administration fiscale calcule à nouveau le montant du CIMR qui leur avait été octroyé en prenant en compte le montant total des bénéfices non commerciaux réalisés en 2018, et non celui des bénéfices réalisés en 2017. Ils ont sollicité, en conséquence, l'octroi d'un montant complémentaire de crédit d'impôt de 214 749 euros correspondant à la correction de ce calcul. Après le rejet de cette réclamation, M. C... a porté le litige devant le tribunal administratif de Paris, qui a rejeté sa demande par un jugement du 21 février 2022. M. C... et son épouse, Mme B..., se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 31 mai 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'ils avaient formé contre ce jugement.
En ce qui concerne la mise en œuvre des dispositions du 2 du E du II de l'article 60 de la loi de finances pour 2017 :
5. M. C... et Mme B... soutenaient devant la cour qu'eu égard à l'objet du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement et compte tenu de l'objectif poursuivi par le législateur en limitant le bénéfice de ce crédit d'impôt au seul revenu non exceptionnel de l'année 2018, la règle de calcul du montant net imposable des bénéfices non commerciaux à retenir au numérateur pour le calcul du crédit d'impôt prévu au A du II de l'article 60 de la loi de finances pour 2017, énoncée au 2 du E du II du même article, ne pouvait s'appliquer sans prendre en considération la nature de l'activité exercée et la faculté effective de procéder à des arbitrages sur les recettes et les charges correspondantes. Faisant valoir que M. C... n'avait eu, dans l'exercice de sa profession de notaire, aucune faculté d'arbitrage sur la perception de ses bénéfices en 2018, ils en déduisaient que l'administration fiscale ne pouvait lui appliquer la règle énoncée par les dispositions du 2 du E du II de l'article 60 conduisant à retenir au numérateur le montant, plus faible, du bénéfice imposable qu'il avait réalisé en 2017, mais aurait dû retenir à ce numérateur la totalité de son bénéfice réalisé en 2018.
6. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 3, il résulte des dispositions législatives précitées que, lorsqu'un contribuable soumis à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux réalise, au titre de l'année 2018, un bénéfice supérieur au plus élevé des montants de ses bénéfices de 2015, 2016 ou 2017, le crédit d'impôt de modernisation du recouvrement prévu au A du II de l'article 60 dont il peut bénéficier de plein droit est calculé, conformément aux 1 et 2 du E du II du même article, sur la base du bénéfice le plus élevé de ces trois années, la différence étant réputée constituer un revenu exceptionnel. Ce n'est qu'en application et dans les conditions énoncées au 3 du même E que le caractère de revenu exceptionnel de l'excédent de bénéfice perçu en 2018 est ultérieurement susceptible d'être exclu, permettant alors l'octroi au contribuable du CIMR complémentaire prévu par ce 3. Par suite, en jugeant que l'administration avait pu limiter au montant prévu par les dispositions du 2 du E du II de l'article 60 de la loi de finances pour 2017 le montant du CIMR octroyé à M. C... et Mme B... au titre de leurs revenus perçus en 2018, la cour n'a pas commis d'erreur de droit. Le moyen tiré de ce qu'elle aurait à tort écarté, pour interpréter la loi, le recours à ses travaux préparatoires, est en tout état de cause sans incidence sur le bien-fondé de son arrêt et ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la mise en œuvre des dispositions du 3 du E du II de l'article 60 de la loi de finances pour 2017 :
7. En premier lieu, pour soutenir que devait leur être accordé le bénéfice d'un crédit d'impôt complémentaire en application du 2° du 3 du E du II de l'article 60 de la loi de finances pour 2017, les requérants se prévalaient devant la cour de ce que, d'une part, la circonstance que M. C... n'avait, au cours de l'année 2019, perçu aucun bénéfice non commercial, qui n'était que la conséquence de la transformation de la société civile dans laquelle il exerçait en société commerciale soumise à l'impôt sur les sociétés, était indépendante de sa volonté, et d'autre part, le chiffre d'affaires réalisé en 2019 par cette société commerciale, en augmentation par rapport aux résultats de la société civile, permettait d'évaluer un montant théorique de bénéfices non commerciaux supérieur au bénéfice imposable en 2017, les rendant éligibles à ce crédit complémentaire. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 3 ci-dessus qu'en jugeant, pour écarter cette argumentation, que l'absence de tout bénéfice non commercial imposable en 2019 faisait obstacle à l'application des dispositions du 2° du 3 du E du II de l'article 60, sans que puisse être invoquée la reconstitution d'un montant théorique de bénéfices non commerciaux imposables au titre de l'année 2019, la cour n'a pas entaché sa décision d'erreur de droit.
8. En second lieu, les requérants soutiennent que la cour a commis une erreur de droit, fait peser sur eux des exigences de preuve excessives et entaché son arrêt de dénaturation des pièces du dossier et d'erreur de qualification juridique des faits, en se fondant, pour leur refuser le bénéfice du crédit d'impôt complémentaire en litige sur le fondement du 3° du 3 du même E, sur ce que les éléments qu'ils avaient produits ne distinguaient pas, dans les causes de l'augmentation de la rémunération perçue par M. C... en 2018, celles liées à l'augmentation des prix de l'immobilier d'entreprise et celles liées à l'augmentation du nombre des transactions.
9. En refusant ainsi de regarder une hausse des bénéfices non commerciaux résultant de l'exercice d'une activité de la nature de celle exercée, notamment, par les notaires, comme résultant d'un surcroît d'activité, au sens et pour l'application du 3° du 3 du E du II de l'article 60 de la loi de finances pour 2017, et non comme ayant la nature d'un revenu exceptionnel au seul motif que cette hausse procèderait non d'une augmentation du nombre de transactions mais d'un autre facteur tel que l'augmentation du prix moyen de ces transactions, sur lequel est assis le revenu, la cour a commis une erreur de droit.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... et Mme B... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 31 mai 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à M. C... et Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. D... C..., à Mme A... B... et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et Mme Ophélie Champeaux maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 29 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Ophélie Champeaux
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle