Vu la procédure suivante :
La société FG Investissements a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2013 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1901645 du 26 mai 2021, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21PA04120 du 14 février 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société FG Investissements contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 avril et 10 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société FG Investissements demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société FG Investissements ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société FG Investissements, qui exerçait en France une activité de conseil et de gestion au bénéfice d'entreprises et de particuliers, a adopté lors de ses assemblées générales extraordinaires des 28 novembre et 20 décembre 2012 des résolutions décidant le transfert de son siège social au Luxembourg à compter de cette dernière date. A la suite d'une vérification de comptabilité portant sur la période correspondant aux années 2013 et 2014, l'administration fiscale a estimé que le transfert du siège au Luxembourg ne lui était devenu opposable qu'à compter du 3 avril 2013, date de publication de la radiation de cette société du registre français du commerce et des sociétés. En conséquence, après avoir mis la société FG Investissements en demeure de déposer une déclaration d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice qu'elle a regardé comme clos le 30 avril 2013, l'administration l'a assujettie, par voie de taxation d'office, à cet impôt, en application du 2 de l'article 221 du code général des impôts, à raison des bénéfices non encore imposés à la date du 30 avril 2013 ainsi que des plus-values latentes constatées, pour un montant de 5 230 900 euros, sur les éléments de l'actif immobilisé transférés avec son siège. Après avoir vainement réclamé contre ces impositions et la majoration de 40 % dont elles étaient assorties en application du b du 1 de l'article 1728 du code général des impôts, la société FG Investissement a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande en décharge, que celui-ci a rejetée par un jugement du 26 mai 2021. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 février 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
2. En premier lieu, aux termes du I de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45,53 A à 57,237 ter A et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, de ceux mentionnés aux a, e, e bis et e ter du I de l'article 164 B ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ".
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 201 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " 1. Dans le cas de cession ou de cessation, en totalité ou en partie, d'une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou minière, ou d'une exploitation agricole dont les résultats sont imposés d'après le régime du bénéfice réel, l'impôt sur le revenu dû en raison des bénéfices réalisés dans cette entreprise ou exploitation et qui n'ont pas encore été imposés est immédiatement établi. / Les contribuables doivent, dans un délai de quarante-cinq jours déterminé comme il est indiqué ci-après, aviser l'administration de la cession ou de la cessation et lui faire connaître la date à laquelle elle a été ou sera effective, ainsi que, s'il y a lieu, les nom, prénoms, et adresse du cessionnaire. / (...) 3. Les contribuables assujettis à un régime réel d'imposition sont tenus de faire parvenir à l'administration, dans un délai de soixante jours déterminé comme indiqué au 1, la déclaration de leur bénéfice réel accompagnée d'un résumé de leur compte de résultat. / (...) Si les contribuables imposés d'après leur bénéfice réel ne produisent pas les déclarations ou renseignements visés au 1 et au premier alinéa du présent paragraphe, ou, si invités à fournir à l'appui de la déclaration de leur bénéfice réel les justifications nécessaires, ils s'abstiennent de les donner dans les trente jours qui suivent la réception de l'avis qui leur est adressé à cet effet, les bases d'imposition sont arrêtées d'office ". Aux termes du 2 de l'article 221 de ce code, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : "En cas (...) de transfert du siège ou d'un établissement dans un Etat étranger autre qu'un Etat membre de l'Union européenne ou qu'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ainsi qu'une convention d'assistance mutuelle en matière de recouvrement ayant une portée similaire à celle prévue par la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures, l'impôt sur les sociétés est établi dans les conditions prévues aux 1 et 3 de l'article 201. / Il en est de même, sous réserve des dispositions de l'article 221 bis, lorsque les sociétés ou organismes mentionnés aux articles 206 à 208 quinquies...cessent totalement ou partiellement d'être soumis à l'impôt sur les sociétés au taux prévu au deuxième alinéa du I de l'article 219. / Lorsque le transfert du siège ou d'un établissement s'effectue dans un autre Etat membre de l'Union européenne ... et qu'il s'accompagne du transfert d'éléments d'actifs, l'impôt sur les sociétés calculé à raison des plus-values latentes constatées sur les éléments de l'actif immobilisé transférés et des plus-values en report ou en sursis d'imposition est acquitté dans les deux mois suivant le transfert des actifs : / a) Soit pour la totalité de son montant / b) Soit, sur demande expresse de la société, pour le cinquième de son montant. Le solde est acquitté par fractions égales au plus tard à la date anniversaire du premier paiement au cours des quatre années suivantes. (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 dont elles sont issues, que si le transfert du siège social d'une entreprise dans un autre État membre de l'Union européenne n'emporte pas, par lui-même, la mise en œuvre de la procédure d'imposition immédiate de l'ensemble des bénéfices réalisés de l'entreprise qui n'ont pas encore été imposés et l'obligation de déclaration de ses résultats à l'administration fiscale prévues à l'article 201 du code général des impôts, cette procédure d'imposition immédiate s'applique, conformément au deuxième alinéa du 2 de l'article 221 de ce code, lorsque ce transfert, indépendamment de la date à laquelle l'administration en a eu connaissance, s'accompagne de la cessation totale ou partielle de son assujettissement à l'impôt sur les sociétés en France.
5. Lorsque la société poursuit l'exploitation d'une entreprise en France après le transfert de son siège dans un autre Etat membre de l'Union européenne, il y a seulement lieu, en application du troisième alinéa du 2 de l'article 221 précité, de procéder le cas échéant, dans les conditions prévues par ces dispositions, à l'imposition à la date de ce transfert des plus-values en report ou en sursis et des plus-values latentes constatées sur les éléments de l'actif immobilisé transférés en même temps que le siège. En revanche, les dispositions du troisième alinéa du 2 de l'article 221 ne sauraient trouver application à une date postérieure à celle à laquelle la société a totalement cessé d'être soumise à l'impôt sur les sociétés en France.
6. Pour juger que la société FG Investissements avait poursuivi l'exploitation d'une entreprise en France jusqu'au 30 avril 2013 et n'avait, par suite, cessé d'être soumise à l'impôt sur les sociétés qu'à cette date, la cour s'est fondée, d'une part, sur ce que cette société n'avait rendu la clé des bureaux qu'elle louait à Paris que le 11 avril 2013, à l'expiration du préavis qu'elle avait adressé le 11 janvier en vue de la résiliation de son bail et, d'autre part, sur ce qu'elle n'avait clôturé son compte bancaire français que le 13 octobre 2015. En statuant au regard de ces seules circonstances, qui étaient insuffisantes pour caractériser la poursuite d'une exploitation en France, au sens des dispositions précitées de l'article 209 du code général des impôts, la cour a commis une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que ce moyen justifie l'annulation de la totalité de l'arrêt attaqué, y compris en ce qu'il s'est prononcé sur l'imposition de la plus-value latente constatée sur les titres de la société Photoweb. Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, la société FG Investissements est donc fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros, à verser à la société FG Investissements au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 14 février 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à la société FG Investissements une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société FG Investissements et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 29 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mahé
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle