Vu la procédure suivante :
Le Conseil national de l'ordre des médecins a porté plainte contre M. B... A... devant la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France de l'ordre des médecins. Par une décision du 5 mars 2021, la chambre disciplinaire de première instance a rejeté sa plainte.
Par une décision du 11 mars 2022, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté l'appel du Conseil national contre cette décision.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 10 mai, 11 et 16 août 2022 ainsi que les 6 mars et 1er août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins ;
2°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 84-135 du 24 février 1984 ;
- le décret n° 2017-105 du 27 janvier 2017 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aurélien Gloux-Saliou, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins, et à la SCP Richard, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'en 2020, le Conseil national de l'ordre des médecins a porté plainte contre M. A..., médecin spécialiste, qualifié en pathologie cardio-vasculaire, professeur des universités-praticien hospitalier, chef du service de gérontologie de l'hôpital Broca à Paris, en particulier pour méconnaissance de son obligation de ne pas aliéner son indépendance professionnelle, à raison de la conclusion, en 2017, de plusieurs conventions avec des entreprises du secteur pharmaceutique et de la perception à ce titre d'avantages en nature et en espèces ou encore d'avantages d'hospitalité. Par une décision du 5 mars 2021, la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France de l'ordre des médecins a rejeté sa plainte. Le Conseil national de l'ordre des médecins se pourvoit en cassation contre la décision du 11 mars 2022 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté son appel contre cette décision.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes de l'article L. 4121-2 du code de la santé publique : " L'ordre des médecins, celui des chirurgiens-dentistes et celui des sages-femmes veillent au maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine, de l'art dentaire, ou de la profession de sage-femme (...) / Ils assurent la défense de l'honneur et de l'indépendance de la profession médicale, de la profession de chirurgien-dentiste ou de celle de sage-femme (...) ".
3. En outre, aux termes de l'article L. 4113-6 du code de la santé publique, dans sa version applicable au litige : " Est interdit le fait, (...) pour les membres des professions médicales mentionnées au présent livre, (...) de recevoir des avantages en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d'une façon directe ou indirecte, procurés par des entreprises assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale. Est également interdit le fait, pour ces entreprises, de proposer ou de procurer ces avantages. / Toutefois, l'alinéa précédent ne s'applique pas aux avantages prévus par conventions passées entre les membres de ces professions médicales et des entreprises, dès lors que ces conventions ont pour objet explicite et but réel des activités de recherche ou d'évaluation scientifique, qu'elles sont, avant leur mise en application, soumises pour avis au conseil départemental de l'ordre compétent et notifiées, lorsque les activités de recherche ou d'évaluation sont effectuées, même partiellement, dans un établissement de santé au responsable de l'établissement, et que les rémunérations ne sont pas calculées de manière proportionnelle au nombre de prestations ou produits prescrits, commercialisés ou assurés (...) / Il ne s'applique pas non plus à l'hospitalité offerte, de manière directe ou indirecte, lors de manifestations de promotion ou lors de manifestations à caractère exclusivement professionnel et scientifique lorsqu'elle est prévue par convention passée entre l'entreprise et le professionnel de santé et soumise pour avis au conseil départemental de l'ordre compétent avant sa mise en application, et que cette hospitalité est d'un niveau raisonnable et limitée à l'objectif professionnel et scientifique principal de la manifestation et n'est pas étendue à des personnes autres que les professionnels directement concernés (...) / Toutes les conventions passées entre les membres des professions médicales (...) et les entreprises susvisées sont, avant leur mise en application, soumises pour avis au conseil départemental de l'ordre compétent ou, lorsque leur champ d'application est interdépartemental ou national, au conseil national de l'ordre compétent. Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités de la transmission de ces conventions ainsi que les délais impartis aux ordres des professions médicales pour se prononcer. Si ceux-ci émettent un avis défavorable, l'entreprise transmet cet avis aux professionnels de santé, avant la mise en œuvre de la convention. A défaut de réponse des instances ordinales dans les délais impartis, l'avis est réputé favorable. L'entreprise est tenue de faire connaître à l'instance ordinale compétente si la convention a été mise en application (...) ". Aux termes du III de l'article R. 4113-107 du même code, dans sa version applicable au litige : " Si le conseil de l'ordre émet un avis défavorable, son avis motivé est adressé à l'entreprise par tout moyen permettant d'en accuser réception. L'entreprise en informe dans les mêmes conditions les professionnels intéressés. "
4. Par ailleurs, aux termes de l'article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits et rendue applicable, d'une part, aux praticiens hospitaliers par le 1° du I de l'article L. 6152-4 du code de la santé publique dans sa rédaction alors en vigueur et, d'autre part, aux professeurs des universités-praticiens hospitaliers par les dispositions combinées de l'article L. 952-21 du code de l'éducation et de l'article 2 du décret du 24 février 1984 portant statut des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires dans leur rédaction alors en vigueur : " I. - Le fonctionnaire consacre l'intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées. Il ne peut exercer, à titre professionnel, une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit, sous réserve des II à V du présent article. / (...) IV. - Le fonctionnaire peut être autorisé par l'autorité hiérarchique dont il relève à exercer à titre accessoire une activité, lucrative ou non, auprès d'une personne ou d'un organisme public ou privé dès lors que cette activité est compatible avec les fonctions qui lui sont confiées et n'affecte pas leur exercice (...) ". Aux termes de l'article 5 du décret du 27 janvier 2017 relatif à l'exercice d'activités privées par des agents publics et certains agents contractuels de droit privé ayant cessé leurs fonctions, aux cumuls d'activités et à la commission de déontologie de la fonction publique, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits et rendue applicable, d'une part, aux praticiens hospitaliers par le 4° de l'article 1er du même décret dans sa rédaction alors en vigueur et, d'autre part, aux professeurs des universités-praticiens hospitaliers par l'article 2 du décret du 24 février 1984 mentionné ci-dessus dans sa rédaction alors en vigueur : " Dans les conditions fixées aux I et IV de l'article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 précitée et celles prévues par le présent décret, l'agent peut être autorisé à cumuler une activité accessoire avec son activité principale, sous réserve que cette activité ne porte pas atteinte au fonctionnement normal, à l'indépendance ou à la neutralité du service ou ne mette pas l'intéressé en situation de méconnaître l'article 432-12 du code pénal. Cette activité peut être exercée auprès d'une personne publique ou privée. Un même agent peut être autorisé à exercer plusieurs activités accessoires. " Aux termes de l'article 6 de ce même décret, dans sa rédaction applicable au litige : " Les activités exercées à titre accessoire susceptibles d'être autorisées sont les suivantes : / 1° Dans les conditions prévues à l'article 5 : a) Expertise et consultation (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 7 du même décret, dans sa rédaction applicable au litige : " Le cumul d'une activité exercée à titre accessoire mentionnée à l'article 6 avec une activité exercée à titre principal est subordonné à la délivrance d'une autorisation par l'autorité dont relève l'agent intéressé. " Aux termes de l'article 8 du même décret, dans sa rédaction applicable au litige : " Préalablement à l'exercice de toute activité accessoire soumise à autorisation, l'intéressé adresse à l'autorité dont il relève, qui lui en accuse réception, une demande écrite (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions que la perception par un médecin d'avantages en nature ou en espèces ou d'avantages d'hospitalité de la part d'une entreprise assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale est subordonnée à la conclusion préalable d'une convention, laquelle doit avoir pour objet une activité de recherche ou d'évaluation scientifique et être soumise pour avis au conseil départemental de l'ordre dont relève le médecin. A cet égard, la circonstance que l'instance ordinale ait émis, en application des dispositions en vigueur à la date des faits en litige, un avis défavorable n'implique pas, par elle-même, que le médecin se trouve, à raison de la convention litigieuse, en infraction au regard de ses obligations déontologiques. Par ailleurs, si le médecin est praticien hospitalier, professeur des universités-praticien hospitalier ou, à un autre titre, agent public, il lui incombe d'obtenir de l'autorité compétente l'autorisation de cumuler cette activité accessoire avec son activité principale.
Sur la décision attaquée en tant qu'elle écarte le grief tiré du manquement à l'obligation de ne pas aliéner son indépendance professionnelle :
6. Aux termes de l'article R. 4127-5 du code de la santé publique : " Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit. "
7. Il résulte des énonciations de la décision attaquée que, pour écarter le grief tiré de la méconnaissance par M. A... de son obligation de ne pas aliéner son indépendance professionnelle, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, après avoir rappelé la notoriété de l'intéressé et l'absence d'enseignement spécifique de sa spécialité au sein des facultés de médecine, a notamment examiné le nombre et la nature des prestations rémunérées qu'il avait assurées en 2017 - en l'espèce, quatre-vingt-quinze -, le nombre d'entreprises dont il avait reçu des avantages - en l'espèce, cinq entreprises représentant 90% des conventions -, le montant des rémunérations qu'il avait perçues - en l'espèce, 81 000 euros, auxquels s'ajoutent 14 000 euros d'avantages d'hospitalité - et l'usage qu'il avait fait dans sa pratique professionnelle des médicaments commercialisés par les entreprises concernées.
8. En premier lieu, en relevant que la majorité des conventions conclues par M. A... en 2017 avait porté sur le thème du vieillissement cardio-vasculaire, qui ne faisait alors pas l'objet d'enseignements spécifiques dans les facultés de médecine, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, qui n'a pris en considération que des éléments soumis au débat contradictoire, ne s'est pas fondée sur des faits matériellement inexacts. En outre, le Conseil national de l'ordre des médecins n'est pas fondé à soutenir qu'en qualifiant M. A... de " spécialiste mondialement reconnu " du vieillissement cardio-vasculaire, la chambre disciplinaire nationale aurait dénaturé les pièces du dossier.
9. En second lieu, les juges d'appel ont relevé que les rémunérations perçues par M. A... avaient été versées par différentes entreprises sans qu'une prépondérance particulière pût être attribuée à l'une d'entre elles, qu'il n'était pas allégué que le praticien fût dépendant financièrement de ce complément de rémunération et que le montant perçu n'était pas manifestement disproportionné au travail fourni en contrepartie par M. A.... En déduisant de l'ensemble de ces circonstances, sans s'arrêter au seul montant des avantages en cause, que M. A... n'avait pas méconnu l'obligation résultant de l'article R. 4127-5 du code de la santé publique, la chambre disciplinaire nationale, à laquelle il ne peut être utilement reproché de ne pas avoir tenu compte du fait que M. A... n'avait pas sollicité de l'autorité compétente toutes les autorisations de cumul d'activités requises par les dispositions applicables aux fonctionnaires et avait passé outre des avis défavorables émis pour ce motif par le conseil départemental de l'ordre des médecins sur les conventions concernées, n'a ni insuffisamment motivé sa décision, ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
Sur la décision attaquée en tant qu'elle écarte les griefs tirés des manquements à l'obligation de respecter les principes de moralité et de probité et à celle de ne pas déconsidérer la profession de médecin :
10. Aux termes de l'article R. 4127-3 du code de la santé publique : " Le médecin doit, en toutes circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine. " Aux termes de l'article R. 4127-31 du même code : " Tout médecin doit s'abstenir, même en dehors de l'exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci. "
11. En premier lieu, le Conseil national de l'ordre des médecins, qui n'avait pas soutenu devant la chambre disciplinaire nationale que le montant des rémunérations perçues par M. A... en application des conventions conclues avec des entreprises pharmaceutiques constituait un manquement à son obligation de ne pas déconsidérer la profession de médecin, ne peut utilement reprocher aux juges d'appel d'avoir insuffisamment motivé leur décision ou commis une erreur de droit sur ce point.
12. En deuxième lieu, eu égard à l'argumentation soulevée devant elle, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a pu, sans entacher sa décision d'insuffisance de motivation ou d'erreur de droit, écarter par un raisonnement unique les griefs distincts tirés de ce que M. A... aurait méconnu les principes de moralité et de probité et manqué à son obligation de ne pas déconsidérer la profession de médecin.
13. En troisième lieu, il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que, pour écarter ces griefs, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a relevé que si M. A... avait omis de solliciter auprès de l'autorité compétente les autorisations de cumul d'activités requises par les dispositions applicables aux fonctionnaires pour la moitié des conventions qu'il avait conclues et n'avait pas suivi les avis défavorables émis pour ce motif par le conseil départemental de l'ordre sur les conventions concernées, il n'apparaissait pas que l'intéressé, qui invoquait un manque de rigueur dans la gestion de ses obligations administratives, établissait demander depuis lors toutes les autorisations nécessaires et rappelait notamment le caractère alors consultatif des avis du conseil départemental de l'ordre, aurait entendu soustraire ces activités au contrôle de l'administration. En déduisant de telles constatations que M. A..., nonobstant le caractère fautif des faits qui lui étaient reprochés au regard des obligations qui lui incombent en qualité de fonctionnaire, n'avait manqué ni à ses obligations déontologiques de moralité et de probité ni à celle de ne pas déconsidérer la profession de médecin, la chambre disciplinaire nationale n'a pas commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le Conseil national de l'ordre des médecins n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 11 mars 2022 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins qu'il attaque.
15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme que demande M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du Conseil national de l'ordre des médecins est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au Conseil national de l'ordre des médecins et à M. B... A....