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26/11/2024 | FRANCE | N°497358

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 26 novembre 2024, 497358


Vu la procédure suivante :



La communauté d'agglomération du Pays Basque, à l'appui de son mémoire en défense présenté devant le tribunal administratif de Pau et tendant au rejet du déféré présenté, sur le fondement des articles L. 554-1 du code de justice administrative et L. 2131-6 et L. 5211-3 du code général des collectivités territoriales, par le préfet des Pyrénées-Atlantiques le 22 juillet 2024, tendant à l'annulation et à la suspension de la délibération de son conseil communautaire du 23 mars 2024 relative aux taux des impositions loc

ales pour l'année 2024, en tant qu'elle a fixé le taux de la cotisation foncière d...

Vu la procédure suivante :

La communauté d'agglomération du Pays Basque, à l'appui de son mémoire en défense présenté devant le tribunal administratif de Pau et tendant au rejet du déféré présenté, sur le fondement des articles L. 554-1 du code de justice administrative et L. 2131-6 et L. 5211-3 du code général des collectivités territoriales, par le préfet des Pyrénées-Atlantiques le 22 juillet 2024, tendant à l'annulation et à la suspension de la délibération de son conseil communautaire du 23 mars 2024 relative aux taux des impositions locales pour l'année 2024, en tant qu'elle a fixé le taux de la cotisation foncière des entreprises à 29,91%, a produit un mémoire, enregistré le 5 août 2024 au greffe du tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 2401863 du 22 août 2024, enregistrée le 27 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la juge des référés du tribunal administratif de Pau a décidé, en application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des II et IV de l'article 1636 B decies du code général des impôts.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la communauté d'agglomération du Pays Basque ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. En premier lieu, l'article 1636 B sexies du code général des impôts dispose que " I. - 1. Sous réserve des dispositions des articles 1636 B septies et 1636 B decies les conseils municipaux et les instances délibérantes des organismes de coopération intercommunale dotés d'une fiscalité propre votent chaque année les taux des taxes foncières, de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l'habitation principale et de la cotisation foncière des entreprises. Ils peuvent : / a) Soit faire varier dans une même proportion les taux des quatre taxes appliqués l'année précédente ; / b) Soit faire varier librement entre eux les taux des quatre taxes. Dans ce cas : / 1° Le taux de cotisation foncière des entreprises et le taux de taxe d'habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l'habitation principale : / - ne peuvent, par rapport à l'année précédente, être augmentés dans une proportion supérieure à l'augmentation du taux de la taxe foncière sur les propriétés bâties ou, si elle est moins élevée, à celle du taux moyen des taxes foncières, pondéré par l'importance relative des bases de ces deux taxes pour l'année d'imposition ; / - ou doivent être diminués, par rapport à l'année précédente, dans une proportion au moins égale, soit à la diminution du taux de la taxe foncière sur les propriétés bâties ou à celle du taux moyen pondéré des taxes foncières, soit à la plus importante de ces diminutions lorsque ces deux taux sont en baisse ; / 2° Le taux de la taxe foncière sur les propriétés non bâties ne peut augmenter plus ou diminuer moins que le taux de la taxe foncière sur les propriétés bâties ".

3. En second lieu, aux termes de l'article 1609 nonies C du code général des impôts : " I. - Les établissements publics de coopération intercommunale mentionnés au I de l'article 1379-0 bis sont substitués aux communes membres pour l'application des dispositions relatives à la cotisation foncière des entreprises et pour la perception du produit de cette taxe. / (...) ". Au nombre des établissements mentionnés au I de l'article 1379-0 bis de ce code figurent notamment, au 2°, les communautés d'agglomération. Aux termes du II de l'article 1636 B decies du code général des impôts : " Les établissements publics de coopération intercommunale faisant application de l'article 1609 nonies C ou du I ou du II de l'article 1609 quinquies C votent le taux de la cotisation foncière des entreprises dans les limites définies au b du 1 (...) du I de l'article 1636 B sexies et à l'article 1636 B septies. / (...) ". Ce même II précise que ces dispositions s'appliquent selon des modalités particulières précisées au 1°, 2° et 3°, dont il résulte que, pour l'application à ces établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de la règle définie au b du 1 du I de l'article 1636 B sexies, plafonnant l'augmentation du taux de cotisation foncière des entreprises par rapport à celle du taux de taxe foncière sur les propriétés bâties ou, si elle est moins élevée, du taux moyen des taxes foncières, pondéré par l'importance relative des bases de ces deux taxes pour l'année d'imposition, d'une part le taux des taxes foncières à retenir est le " taux moyen (...) constaté dans l'ensemble des communes membres de l'établissement public de coopération intercommunale ", tenant compte, si l'EPCI concerné fait application des dispositions du II de l'article 1609 nonies C, du produit perçu par l'EPCI, d'autre part la variation du taux des taxes foncières à retenir est " celle constatée l'année précédant celle au titre de laquelle l'établissement public de coopération intercommunale vote son taux de cotisation foncière des entreprises ". Aux termes du IV du même article 1636 B decies : " Pour les établissements publics de coopération intercommunale visés au II, la différence constatée au titre d'une année entre le taux maximum de cotisation foncière des entreprises résultant des dispositions du deuxième alinéa du b du 1 du I de l'article 1636 B sexies et le taux de cotisation foncière des entreprises voté conformément à ces mêmes dispositions peut être, sous réserve des dispositions de l'article 1636 B septies, ajoutée, partiellement ou totalement, au taux de cotisation foncière des entreprises voté par l'établissement public de coopération intercommunale au titre de l'une des trois années suivantes. / (...) ".

4. A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, la communauté d'agglomération du Pays Basque soutient que les dispositions des II et IV de l'article 1636 B decies du code général des impôts méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et portent atteinte au principe d'égalité devant la loi, en ce qu'il en découle une différence de traitement entre les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre selon qu'ils sont à fiscalité additionnelle ou à fiscalité professionnelle unique, dans la mesure où il en résulte que ces derniers, lors du vote du taux de la cotisation foncière des entreprises, sont soumis exclusivement au régime de la " variation différenciée " visée au b du 1 du I de l'article 1636 B sexies du code général des impôts, et par conséquent privés de la possibilité, prévue au a du 1 du même I, de choisir la " variation proportionnelle " des taux des impositions directes locales.

5. En premier lieu, si l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques, sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.

6. En second lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. (...) ". Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

7. D'une part, en application du 1 du I de l'article 1636 B sexies du code général des impôts, les établissements publics de coopération intercommunale dotés d'une fiscalité propre peuvent percevoir une part du produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties, de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et de la cotisation foncière des entreprises qui s'ajoute à la part perçue par les communes qui en sont membres, les taux qu'ils arrêtent pour la part qui leur revient s'ajoutant aux taux arrêtés par les communes pour la part qui revient à celles-ci, selon le régime dit de la " fiscalité additionnelle ". Toutefois, en vertu des dispositions du I de l'article 1609 nonies C du code général des impôts, les établissements publics de coopération intercommunale soumis au régime dit de la " fiscalité professionnelle unique " défini par ces dispositions se substituent aux communes qui en sont membres pour l'application des dispositions relatives à l'ensemble de la fiscalité professionnelle, dont ils déterminent le taux et perçoivent l'entier produit, et ne relèvent donc plus du régime dit de la " fiscalité additionnelle ", en application du II de cet article et du I de l'article 1636 B decies du même code, que pour les taxes foncières et la taxe d'habitation sur les résidences secondaires.

8. D'autre part, en instituant les mécanismes dits de " variation proportionnelle " prévu au a du 1 du I de l'article 1636 B sexies du code général des impôts ou de " variation différenciée " prévu au b du 1 du I du même article, le législateur a entendu encadrer la possibilité, pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, de modifier le taux des taxes foncières, de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et de la cotisation foncière des entreprises qu'ils perçoivent, afin d'assurer un équilibre dans la répartition de la charge fiscale entre les différentes catégories de contribuables, et d'éviter notamment une concentration progressive de celle-ci sur les entreprises.

9. Il résulte des dispositions de l'article 1636 B sexies du code général des impôts que les instances délibérantes d'un organisme de coopération intercommunale doté d'une fiscalité propre non soumis au régime de la " fiscalité professionnelle unique " peuvent, lorsqu'elles votent, au titre de la fiscalité additionnelle, les taux des impositions directes locales dont cet organisme est affectataire, opter soit pour la " variation proportionnelle " prévue au a du 1 du I, soit pour la " variation différenciée " permettant de moduler les variations des taux de chaque taxe, dans les limites fixées aux 1° et 2° du b du 1 du I. Dans un cas comme dans l'autre, la variation du taux additionnel de cotisation foncière des entreprises ou de taxe d'habitation sur les résidences secondaires décidée par l'établissement public de coopération intercommunale, qui ne s'applique qu'aux parts additionnelles de ces impositions qui lui reviennent, est modérée par la variation du taux additionnel des taxes foncières décidée par cet établissement public, qui ne s'applique lui aussi qu'aux parts additionnelles de taxes foncières qui lui reviennent, satisfaisant ainsi l'objectif rappelé au point 8 ci-dessus.

10. En revanche, pour un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre soumis au régime de la " fiscalité professionnelle unique ", une hausse du taux unique de cotisation foncière des entreprises dans la même proportion que celle des taux additionnels des taxes foncières et de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires affecterait l'intégralité de l'imposition au titre de la cotisation foncière des entreprises, entièrement déterminée et perçue par cet établissement, tandis qu'elle ne porterait, pour les trois autres impositions locales, que sur leur fraction relevant de la fiscalité additionnelle qu'il perçoit. Cette variation identique des taux présenterait donc nécessairement le risque d'une augmentation de la charge fiscale totale significativement plus forte pour les redevables de la cotisation foncière des entreprises que pour ceux des trois autres impositions locales, à l'encontre de l'objectif rappelé au point 8 ci-dessus. A l'inverse, l'application du régime de la " variation différenciée " ne présente pas un tel risque, dans la mesure où, comme indiqué au point 3 ci-dessus, en vertu des dispositions des 1° à 3° du II de l'article 1636 B decies du code général des impôts, la variation du taux de la cotisation foncière des entreprises et de la taxe d'habitation sur les résidence secondaires est alors plafonnée par celle des taux des taxes foncières constatée sur le territoire de l'établissement public de coopération intercommunale entre les années N-2 et N-1, qui porte sur la totalité de ces taxes foncières, c'est-à-dire tant la part perçue par les communes que, le cas échéant, celle perçue par l'établissement public de coopération intercommunale.

11. Dans ces conditions, en excluant la possibilité d'opter pour le mécanisme de la " variation proportionnelle " pour les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre soumis au régime de la " fiscalité professionnelle unique ", le législateur a instauré une différence de traitement correspondant à une différence de situation entre ces établissements publics de coopération intercommunale et ceux qui ne sont pas soumis à ce régime, et en rapport avec l'objet des dispositions qui l'instituent destinées à garantir une répartition équilibrée de la charge fiscale entre les différentes catégories de contribuables.

12. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la communauté d'agglomération du Pays Basque.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la communauté d'agglomération du Pays Basque et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, à la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, au ministre de l'intérieur et au tribunal administratif de Pau.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 26 novembre 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Muriel Deroc

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 497358
Date de la décision : 26/11/2024
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 26 nov. 2024, n° 497358
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Muriel Deroc
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:497358.20241126
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