Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 4 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... C... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 10 août 2023 rapportant le décret du 12 août 2021 le naturalisant ;
2°) d'enjoindre à l'administration de lui restituer ses documents d'identité et d'état civil français ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes des dispositions de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".
2. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., ressortissant tunisien, a été naturalisé par décret du 12 août 2021, publié au Journal officiel de la République française du 14 août suivant. Toutefois, par courriel du bureau des naturalisations de la préfecture de l'Oise, en date du 10 février 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des naturalisations, a été informé de ce que l'intéressé avait été condamné par un jugement du tribunal correctionnel de Senlis du 9 février 2022, à une peine d'emprisonnement délictuel de quinze mois dont douze mois avec sursis probatoire pendant deux ans pour des faits de violence et de harcèlement envers son épouse. Par décret du 10 août 2023, publié au Journal officiel de la République française le 12 août suivant, la Première ministre a rapporté le décret du 12 août 2021 prononçant la naturalisation de M. B... au motif qu'il ne pouvait être regardé comme satisfaisant aux conditions de bonnes vie et mœurs posées par l'article 21-23 du code civil. Il demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
3. En premier lieu, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose que l'ampliation du décret soit signée par les ministres concernés, dès lors qu'il ressort des mentions de l'ampliation du décret, certifiée conforme par la secrétaire générale du gouvernement, que le décret a été signé par la Première ministre et contresigné par le ministre de l'intérieur et des outre-mer. La qualité du signataire de l'ampliation communiquée à l'intéressé est sans incidence sur la légalité du décret attaqué.
4. En deuxième lieu, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose que l'avis du Conseil d'Etat, préalable à une décision de rapporter la naturalisation d'un individu soit communiqué à ce dernier.
5. En troisième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 21-23 du même code : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'est pas de bonnes vie et mœurs ou s'il a fait l'objet de l'une des condamnations visées à l'article 21-27 du présent code ".
6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a fait l'objet d'une condamnation pénale en date du 9 février 2022 pour des faits de harcèlement et de violence par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la partenaire par un pacte civil de solidarité. Ces comportements violents et graves sont antérieurs, pour partie, au décret de naturalisation du 12 août 2021. Ainsi, la Première ministre, qui n'a pas commis d'erreur de fait, a pu légalement estimer que le comportement de l'intéressé ne permettait pas de le regarder comme remplissant, à la date du décret de naturalisation, la condition, rappelée ci-dessus, posée par l'article 21-23 du code civil.
7. En quatrième lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, ainsi que sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. B... et de sa famille garanti par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. Enfin, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
9 Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 10 août 2023 par lequel la Première ministre a rapporté le décret du 10 août 2021. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... C... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 novembre 2024 où siégeaient : M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 26 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jean-Yves Ollier
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie-Caroline de Margerie
La secrétaire :
Signé : Mme Sandrine Mendy