Vu la procédure suivante :
Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler, d'une part, la décision du 18 octobre 2019 par laquelle le maire de Perpignan a refusé de retirer le permis de construire délivré le 10 décembre 2015 à M. A... C... et transféré à la société Jardin Catalan le 27 avril 2016 et, d'autre part, le permis de construire modificatif délivré à la société Jardin catalan le 19 juin 2019. Par un jugement n° 1906916 du 2 mars 2021, le tribunal administratif de Montpellier a, d'une part, annulé la décision du 18 octobre 2019 et enjoint au maire de Perpignan de retirer le permis de construire du 10 décembre 2015 dans un délai de deux mois et, d'autre part, annulé le permis de construire modificatif du 19 juin 2019.
Par un arrêt n° 21TL01654 du 6 avril 2023, la cour administrative d'appel de Toulouse a rejeté les appels formés par la commune de Perpignan, M. C... et la société Jardin catalan contre ce jugement.
Par un pourvoi et un mémoire complémentaire enregistrés les 7 juin et 7 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... et la société Jardin Catalan demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Krivine, Viaud, avocat de la société Jardin Catalan et de M. C... et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le maire de Perpignan a délivré le 10 décembre 2015 à M. C... un permis de construire une installation de production d'électricité constituée de 38 serres agricoles supportant des ombrières photovoltaïques, associée à une exploitation de production maraîchère biologique. Par un arrêté du 27 avril 2016, il a transféré cette autorisation à la société par actions simplifiée Jardin catalan. Sur la base d'un procès-verbal du 8 août 2017 dont il résulte que les travaux de terrassement entrepris par la société Jardin catalan sur la partie du terrain d'assiette située dans le secteur A1r de la zone I du plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP) n'étaient pas conformes au permis de construire et méconnaissaient l'article 1er des dispositions communes du règlement du plan local d'urbanisme et les dispositions du PPRNP, le délégué du procureur de la République a, le 26 mars 2019, enjoint par un rappel à la loi à la société Jardin catalan de remettre les lieux dans leur état initial. Des poteaux en béton ont été en conséquence installés pour soutenir la structure métallique de la moitié des serres, dont les supports étaient précédemment enfouis. Par un arrêté du 19 juin 2019, le maire a délivré un permis de construire modificatif à la société Jardin catalan dont l'objet est de réitérer les prescriptions fixées par l'arrêté du 10 décembre 2015. Saisi par Mme B..., propriétaire d'une parcelle limitrophe, le tribunal administratif de Montpellier a, par un jugement du 2 mars 2021, d'une part, annulé la décision du maire de Perpignan du 18 octobre 2019 refusant de retirer le permis de construire initial et enjoint au maire de Perpignan de faire droit à cette demande de Mme B... dans un délai de deux mois et, d'autre part, annulé le permis de construire modificatif. Le maire de Perpignan a, par un arrêté du 26 avril 2021, retiré le permis de construire initial. Par un arrêt du 6 avril 2023, la cour administrative d'appel de Toulouse a rejeté les appels formés par la commune de Perpignan et par M. C... et la société Jardin Catalan contre ce jugement.
Sur l'intervention de la commune de Perpignan
2. La commune de Perpignan justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir dans la présente instance au soutien des conclusions présentées par M. C... et la société Jardin Catalan. Son intervention est dès lors recevable.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
3. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. ". Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction ou, lorsque le contentieux porte sur un permis de construire modificatif, des modifications apportées au projet.
4. En se fondant, pour écarter le moyen tiré de ce que Mme B... était dépourvue d'intérêt pour agir contre la décision du maire de Perpignan refusant de retirer le permis de construire initial, sur la qualité de voisin immédiat que lui conférait la propriété d'un bien immobilier limitrophe du terrain d'assiette du projet, ainsi que sur les éléments qu'elle invoquait relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet, la cour, qui n'avait pas à rechercher si la construction appartenant à l'intéressée avait été édifiée régulièrement, n'a pas commis d'erreur de droit et n'a entaché son appréciation d'aucune inexacte qualification juridique des faits, ni d'aucune dénaturation.
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué en tant qu'il se prononce sur la légalité du permis de construire initial :
5. En premier lieu, un permis de construire ne peut faire l'objet d'un retrait, une fois devenu définitif, qu'au vu d'éléments dont l'administration a connaissance postérieurement à la délivrance du permis et qui établissent l'existence d'une fraude à la date où il a été délivré. La caractérisation de la fraude résulte de ce que le pétitionnaire a procédé de manière intentionnelle à des manœuvres de nature à tromper l'administration sur la réalité du projet dans le but d'échapper à l'application d'une règle d'urbanisme. Une information erronée ne peut, à elle seule, faire regarder le pétitionnaire comme s'étant livré à l'occasion du dépôt de sa demande à des manœuvres destinées à tromper l'administration.
6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'une partie du terrain d'assiette du projet est située dans un secteur soumis par le plan local d'urbanisme de Perpignan au respect des prescriptions PPRNP en matière de risque d'inondation, en particulier, s'agissant de la zone I définie par ce plan, à une interdiction de " tout remblaiement nouveau ", sauf exceptions limitativement énumérées.
7. Après avoir rappelé les principes mentionnés au point 5, la cour a relevé, d'une part, que le dossier de demande de permis de construire déposé par M. C... ne faisait pas mention du profil en pente du terrain d'assiette du projet et n'indiquait pas que des mouvements de terres seraient effectués par le pétitionnaire et, d'autre part, que la société Jardin catalan a ensuite effectué des travaux de nivellement dans la partie inclinée du terrain sur laquelle elle a installé la moitié des serres. Eu égard à ces constatations, c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation et sans inexactement qualifier les faits de l'espèce que la cour a jugé, d'une part, que l'administration n'a pu apprécier en connaissance de cause la nature et la portée du projet au regard du risque d'inondation tel que défini par le règlement du PPRNP de la commune de Perpignan et, d'autre part, que le pétitionnaire devait être regardé comme ayant intentionnellement procédé, lors du dépôt de la demande de permis de construire, à une manœuvre frauduleuse afin de tromper l'administration quant au respect des dispositions de ce plan relatives à l'interdiction de tout remblaiement nouveau dans une zone d'expansion de crues, en vue d'obtenir la délivrance d'une autorisation d'urbanisme.
8. En second lieu, un tiers justifiant d'un intérêt à agir est recevable à demander, dans le délai du recours contentieux, l'annulation de la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l'a saisie d'une demande à cette fin. Dans un tel cas, il incombe au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, d'une part, de vérifier la réalité de la fraude alléguée et, d'autre part, de contrôler que l'appréciation de l'administration sur l'opportunité de procéder ou non à l'abrogation ou au retrait n'est pas entachée d'erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de l'acte litigieux, soit de son abrogation ou de son retrait.
9. En jugeant, après avoir estimé que le permis de construire initial avait été délivré par fraude à M. C..., ainsi qu'il est dit au point 7, que, compte tenu des enjeux de sécurité publique en matière de risque d'inondation auquel se trouve exposée une partie du terrain d'assiette du projet et de la gravité de la fraude, le maire de Perpignan a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de retirer ce permis de construire après qu'il a été transféré à la société Jardin catalan, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt et ne s'est pas méprise sur la portée des écritures dont elle était saisie, a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine qui n'est pas entachée de dénaturation.
10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. C... et de la société Jardin catalan dirigées contre l'arrêt attaqué en tant qu'il rejette leurs conclusions dirigées contre l'article 1er du jugement du tribunal administratif, qui annule la décision du 18 octobre 2019 par laquelle le maire de Perpignan a refusé de retirer le permis de construire initial, doivent être rejetées.
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué en tant qu'il se prononce sur la légalité du permis de construire modificatif :
11. Il résulte de ce qui est dit au point 7 que la cour a, par une appréciation souveraine qui n'est pas entachée de dénaturation, jugé que le permis de construire délivré à M. C... et transféré à la société Jardin catalan a été obtenu par fraude. C'est par suite sans commettre d'erreur de droit qu'elle a jugé que la fraude ainsi constatée faisait obstacle à ce que ce permis initial, qui n'a pu faire naître aucun droit pour son bénéficiaire, puisse être régularisé par la délivrance d'un permis modificatif. Les moyens soulevés devant la cour et dirigés contre le jugement en tant qu'il a annulé ce permis modificatif étaient dès lors inopérants. Il convient de les écarter pour ce motif, qui doit être substitué à celui retenu par la cour.
12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. C... et de la société Jardin catalan dirigées contre l'arrêt attaqué en tant qu'il rejette leurs conclusions dirigées contre l'article 3 du jugement du tribunal administratif, qui annule la décision du 19 juin 2019 par laquelle le maire de Perpignan a délivré un permis de construire modificatif à la société Jardin catalan, doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme B... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. La commune de Perpignan, intervenante en demande, n'étant pas partie à la présente instance, ces dispositions font obstacle à ce que Mme B... lui verse la somme qu'elle demande à ce titre. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C... et de la société Jardin catalan le versement de la somme de 1 500 euros chacun à Mme B... au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la commune de Perpignan est admise.
Article 2 : Le pourvoi de M. C... et de la société Jardin catalan est rejeté, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : M. C... et la société Jardin catalan verseront chacun à Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Perpignan au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... C..., à Mme D... B..., à la société Jardin catalan et à la commune de Perpignan.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 octobre 2024 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat et M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 20 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
Le rapporteur :
Signé : M. Christophe Barthélemy
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras