Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 14 février et 15 mai 2023 et les 12 février et 11 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (FEDEREC) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 décembre 2022 du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relatif aux données des filières à responsabilité élargie des producteurs ;
2°) de surseoir à statuer et de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne deux questions préjudicielles portant sur l'article 101, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, interprété au regard du paragraphe n° 372 des lignes directrices du 17 juillet 2023 relatives aux accords de coopération horizontale ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code de commerce ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage ;
Considérant ce qui suit :
1. En application de l'article L. 541-10 du code de l'environnement, il peut être fait obligation à toute personne qui élabore, fabrique, manipule, traite, vend ou importe des produits générateurs de déchets ou d'éléments et matériaux entrant dans leur fabrication, au titre du principe de responsabilité élargie des producteurs, de pourvoir ou contribuer à la prévention et à la gestion des déchets qui en proviennent. Les producteurs s'acquittent de leur obligation en mettant en place soit des systèmes individuels de collecte et de traitement des déchets issus de leur produit, soit des éco-organismes agréés auxquels ils transfèrent leur obligation et versent en contrepartie une contribution financière.
2. L'article 62 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire a introduit dans le code de l'environnement les articles L. 541-10-13 à L. 541-10-15 qui imposent aux personnes soumises au principe de responsabilité élargie des producteurs et aux éco-organismes de transmettre à l'autorité administrative chargée du suivi et de l'observation des filières de responsabilité élargie des producteurs, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), certaines données et informations, en vue de leur mise à disposition du public. Ainsi, en vertu de l'article L. 541-10-13 du code de l'environnement : " Les producteurs (...) transmettent annuellement à l'autorité administrative, pour chaque catégorie de produits relevant de cette responsabilité élargie : / 1° Le justificatif de leur adhésion à un éco-organisme ou de la création d'un système individuel ; / 2° Les données sur les produits mis sur le marché, y compris le taux d'incorporation de matière recyclée dans ces produits ; / 3° Les données sur la gestion des déchets issus de ces produits en précisant, le cas échéant, les flux de matières ; / 4° Les données pertinentes pour suivre et déterminer les objectifs quantitatifs et qualitatifs de prévention et de gestion des déchets. / Les producteurs concernés peuvent procéder à cette transmission par l'intermédiaire de leur éco-organisme. / L'autorité administrative publie la liste des producteurs enregistrés ainsi que leur identifiant unique ". Aux termes de l'article L. 541-10-14 du même code : " I.- Au moins une fois par an, l'autorité administrative met à la disposition du public par voie électronique, dans un format ouvert, aisément réutilisable et exploitable (...), les informations suivantes pour chaque éco-organisme et système individuel : / 1° Les quantités de produits mis sur le marché et le niveau de réalisation des objectifs de prévention et de gestion des déchets mentionnés au II de l'article L. 541-10 ; / 2° Les quantités de déchets collectés et traités ainsi que leur répartition selon les modalités de traitement de ces déchets ; / 3° Les zones géographiques où sont réalisées chacune des étapes de traitement des différents flux de matières réalisées par eux ou pour leur compte en mentionnant, pour chaque zone, la nature et les quantités de déchets ainsi traités. / II.- S'agissant des éco-organismes, l'autorité administrative met à disposition dans les mêmes conditions : / 1° La liste de leurs propriétaires et membres adhérents ; / 2° Les contributions financières versées par les producteurs par unité vendue ou par tonne de produits mis sur le marché ; / 3° La procédure de sélection des opérateurs de gestion de déchets. / III.- Les informations mentionnées aux I et II sont transmises, par les éco-organismes et par les producteurs ayant mis en place un système individuel, à l'autorité administrative par l'intermédiaire d'un téléservice ".
3. En vertu de l'article L. 541-10-16 du code de l'environnement : " La nature des données concernées par les articles L. 541-10-13 à L. 541-10-15 et les modalités de leur mise à disposition sont précisées par arrêté du ministre chargé de l'environnement ". L'arrêté du 12 décembre 2022 relatif aux données des filières à responsabilité élargie des producteurs, pris par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires pour l'application de ces dispositions, fixe, à son article 2, la liste des informations et données devant être transmises à l'ADEME par les producteurs, à ses articles 3 à 9, les modalités de transmission d'informations à l'ADEME par les éco-organismes et systèmes individuels et, à ses articles 10 et 11, la liste des informations mises à disposition du public par l'ADEME et les éco-organismes. La Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (FEDEREC) demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté. Eu égard à son argumentation, la Fédération requérante doit être regardée comme demandant l'annulation de l'article 6 de cet arrêté en ce qu'il prévoit que les éco-organismes, et non directement les producteurs, transmettent à l'ADEME les informations relatives aux " quantités de déchets traités à chacune des étapes de traitement " en indiquant " la raison sociale, le numéro SIRET " ainsi que " le département de chaque installation " " d'où proviennent les déchets " ou " effectuant le traitement des déchets ".
Sur la méconnaissance alléguée du secret des affaires :
4. Aux termes de l'article L. 151-1 du code de commerce : " Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : / 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; / 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; / 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ". En vertu de l'article L. 151-7 du même code : " Le secret des affaires n'est pas opposable lorsque l'obtention, l'utilisation ou la divulgation du secret est requise ou autorisée par le droit de l'Union européenne, les traités ou accords internationaux en vigueur ou le droit national, notamment dans l'exercice des pouvoirs d'enquête, de contrôle, d'autorisation ou de sanction des autorités juridictionnelles ou administratives ".
5. En outre, aux termes du II de l'article L. 541-10 du code de l'environnement : " (...) Les éco-organismes et les systèmes individuels sont (...) soumis à un autocontrôle périodique reposant sur des audits indépendants réguliers (...), permettant notamment d'évaluer leur gestion financière, la qualité des données recueillies et communiquées ainsi que la couverture des coûts de gestion des déchets. La synthèse des conclusions de ces audits fait l'objet d'une publication officielle, dans le respect des secrets protégés par la loi (...) ". Enfin, en vertu du III de l'article L. 541-10-6 du même code : " Les éco-organismes sont tenus d'assurer une traçabilité des déchets dont ils ont assuré, soutenu ou fait assurer la collecte dans l'exercice de la responsabilité élargie des producteurs, jusqu'au traitement final de ces déchets (...) ".
6. D'une part, la possibilité de transmettre des données à l'ADEME par l'intermédiaire des éco-organismes résulte, non des dispositions de l'arrêté en litige, mais de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 541-10-13 du code de l'environnement. D'autre part, il résulte de la combinaison des dispositions du II de l'article L. 541-10 et du III de l'article L. 541-10-6 du code de l'environnement citées au point 5 avec celles des articles L. 541-10-13 et L. 541-10-14 du même code citées au point 2 que les éco-organismes sont tenus, au titre des missions que la loi leur a confiées, non seulement de justifier de la traçabilité du circuit des déchets dont ils ont assuré, soutenu ou fait assurer la collecte, mais également de transmettre à l'ADEME certaines informations, en vue de permettre, après agrégation, leur mise à disposition du public, en particulier concernant, d'une part, les quantités de déchets collectés et traités ainsi que leur répartition selon les modalités de traitement de ces déchets et d'autre part, les zones géographiques où sont réalisées chacune des étapes de traitement en mentionnant, pour chaque zone, la nature et les quantités de déchets ainsi traités. Par suite, eu égard à la fois aux obligations imposées aux éco organismes et à leurs droits et prérogatives à l'égard des gestionnaires de déchets, les éco organismes doivent être regardés comme étant autorisés par ces dispositions législatives à solliciter auprès de ces derniers les informations concernant les installations de provenance et de traitement des déchets, sans que leur soit opposable le secret des affaires. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait le secret des affaires en ce qu'il prévoit que les éco-organismes transmettent ces informations à l'ADEME après les avoir sollicitées des gestionnaires de déchets doit être écarté.
Sur la méconnaissance alléguée du droit de la concurrence :
7. D'une part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur (...) ". En vertu de son article 102 : " Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci (...) ". Et aux termes de son article 106 : " 1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 inclus. / 2. Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union ".
8. D'autre part, selon l'article L. 420-1 du code de commerce : " Sont prohibées (...), lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions (...) ". En vertu de l'article L. 420-4 du même code : " I.- Ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques : / 1° Qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application ; (...) ".
9. Enfin, en vertu du III de l'article L. 541-10 du code de l'environnement : " Les éco-organismes sont tenus de traiter les producteurs dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, de mettre à leur disposition une comptabilité analytique pour les différentes catégories de produits et de déchets qui en sont issus (...) et de leur permettre d'accéder aux informations techniques des opérateurs de gestion de déchets (...). / Dans le respect des secrets protégés par la loi, les producteurs de produits générateurs de déchets et leur éco-organisme sont également tenus de permettre aux opérateurs de gestion des déchets d'accéder aux informations techniques relatives aux produits mis sur le marché (...). / Pour leurs activités agréées, les éco-organismes sont chargés d'une mission d'intérêt général (...) et leurs statuts précisent qu'ils ne poursuivent pas de but lucratif pour leurs activités agréées. Un censeur d'Etat est chargé de veiller à ce que les éco-organismes disposent des capacités financières suffisantes pour remplir les obligations mentionnées à la présente section et à ce que ces capacités financières soient utilisées conformément aux dispositions du présent alinéa ". Selon le II de l'article L. 541-10-6 du même code : " L'éco-organisme est tenu de passer les marchés relevant de son activité agréée selon des procédures d'appel d'offres non discriminatoires et des critères d'attribution transparents, en recherchant des modalités d'allotissement suscitant la plus large concurrence (...) ".
10. La transmission à l'ADEME d'informations relatives aux quantités de déchets traités en indiquant les références de chaque installation de provenance ou de traitement de ces déchets a pour objet de mettre en œuvre les missions d'intérêt général que la loi confie aux éco-organismes, notamment celle d'assurer la traçabilité des déchets. Dans l'exercice de ces missions, les éco-organismes sont tenus, en vertu des dispositions législatives citées au point 9, à des obligations d'objectivité, de transparence et de non-discrimination. L'arrêté attaqué, qui se borne à énumérer les données que les éco-organismes communiquent à l'ADEME, ne confie aux éco-organismes aucune responsabilité opérationnelle portant sur le traitement de ces déchets. Il n'a, ainsi, ni pour objet ni pour effet de mettre en concurrence ces éco-organismes avec les gestionnaires de déchets sur le marché des systèmes collectifs de prise en charge de l'obligation de reprise et de valorisation des emballages ménagers, sur le marché de la collecte sélective, du tri et du traitement des déchets ou encore sur le marché de la reprise des matériaux. Il n'est pas davantage établi que la transmission d'informations prévue par l'arrêté serait susceptible de placer les éco-organismes en situation d'abuser d'une position dominante ou de contribuer à la mise en place d'une entente anticoncurrentielle. Ainsi, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait les dispositions précitées du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article L. 420-1 du code de commerce doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation des dispositions de l'article 101, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, que la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (FEDEREC) n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté qu'elle attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font ainsi obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (FEDEREC) est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (FEDEREC) et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Délibéré à l'issue de la séance du 16 octobre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 18 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Cédric Fraisseix
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain