Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, deux mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 juin et 23 septembre 2022, le 7 février 2023 et le 5 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Coénove demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-666 du 26 avril 2022 relatif au classement des réseaux de chaleur et de froid et l'arrêté du 26 avril 2022 de la ministre de la transition écologique relatif au classement des réseaux de chaleur et de froid ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ;
- la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la commande publique ;
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 ;
- l'arrêté de la ministre de la transition écologique et de la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement du 21 octobre 2021 modifiant l'arrêté du 15 septembre 2006 relatif au diagnostic de performance énergétique pour les bâtiments existants proposés à la vente en France métropolitaine ;
- la décision du 26 avril 2023 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Coénove ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'association Coenove et à la SARL Delvolvé et Trichet, avocat du Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 octobre 2024, déposée par l'association Coénove ;
Considérant ce qui suit :
1. L'article L. 712-1 du code de l'énergie, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, prévoit le classement des réseaux de chaleur et de froid répondant à la qualification de service public industriel et commercial, dès lors qu'ils satisfont aux trois critères tirés de ce qu'ils sont alimentés " à plus de 50 % par une énergie renouvelable ou de récupération, qu'un comptage des quantités d'énergie livrées par point de livraison est assuré et que l'équilibre financier de l'opération pendant la période d'amortissement des installations est assuré au vu des besoins à satisfaire, de la pérennité de la ressource en énergie renouvelable ou de récupération, et compte tenu des conditions tarifaires prévisibles (...) ". En vertu du même article L. 712-1, la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités compétent peut toutefois, sur délibération motivée, décider de ne pas classer un réseau situé sur son territoire. L'article L. 712-2 du même code prévoit qu'en l'absence de délibération portant décision de ne pas classer un réseau, la collectivité ou le groupement " précise la zone de desserte du réseau et définit, sur tout ou partie de la zone de desserte du réseau, un ou plusieurs périmètres de développement prioritaire (...) ". Conformément à l'article L. 712-3 du même code : " Dans les zones délimitées par le ou les périmètres de développement prioritaire, toute installation d'un bâtiment neuf ou faisant l'objet de travaux de rénovation importants, qu'il s'agisse d'installations industrielles ou d'installations de chauffage de locaux, de climatisation ou de production d'eau chaude excédant un niveau de puissance de 30 kilowatts, doit être raccordée au réseau concerné. Cette obligation de raccordement ne fait pas obstacle à l'utilisation d'installations de secours ou de complément. / Il peut être dérogé à cette obligation par une décision de la collectivité ou du groupement de collectivités, le cas échéant, après avis du délégataire du réseau ". Les conditions d'application de ces dispositions sont, en vertu de l'article L. 713-1 du code de l'énergie, déterminées par décret en Conseil d'Etat, lequel précise " notamment les modalités du contrôle de l'alimentation majoritaire du réseau par une énergie renouvelable ou de récupération, les modalités de justification et d'appréciation de la condition de l'équilibre financier, les exigences en matière de comptage des quantités d'énergie livrées (...), le ou les seuils des décisions de dérogation à l'obligation de raccordement, ainsi que les notions de bâtiment neuf ou faisant l'objet de travaux de rénovation importants ".
2. L'association Coénove demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 26 avril 2022 et de l'arrêté du 26 avril 2022 de la ministre de la transition écologique, tous deux relatifs au classement des réseaux de chaleur et de froid, pris pour l'application de ces dispositions législatives.
Sur l'intervention du Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine :
3. Eu égard à l'objet du litige, le Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine qui, en vertu de ses statuts, a pour objet la " promotion de l'activité ainsi que le développement et la représentation des intérêts " des professionnels chargés " d'assurer (...) la production et la distribution de chaleur et de froid aux différents secteurs de l'activité économique ", justifie d'un intérêt suffisant au maintien des deux actes attaqués. Ainsi, son intervention est recevable.
Sur la légalité du décret attaqué :
En ce qui concerne la légalité externe :
4. L'article L. 123-19-1 du code de l'environnement définit les conditions et limites dans lesquelles les décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence directe ou significative sur l'environnement sont soumises au principe de participation du public énoncé à l'article 7 de la Charte de l'environnement. Aux termes du II de cet article L. 123-19-1 : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 123-19-6, le projet d'une décision mentionnée au I, accompagné d'une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique (...). / Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public et la rédaction d'une synthèse de ces observations et propositions. Sauf en cas d'absence d'observations et propositions, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours à compter de la date de la clôture de la consultation. / (...) Au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l'autorité administrative qui a pris la décision rend publics, par voie électronique, la synthèse des observations et propositions du public avec l'indication de celles dont il a été tenu compte, les observations et propositions déposées par voie électronique ainsi que, dans un document séparé, les motifs de la décision ". En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la consultation du public, organisée en application de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement, sur le projet de décret attaqué est intervenue entre le 1er et le 22 décembre 2021 et a suscité trois-cent-cinquante-six contributions.
5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la note de présentation du projet de décret indiquait le contexte général, le cadre législatif applicable, et précisait qu'il modifiait les dispositions réglementaires du code de l'énergie, du code de l'urbanisme et du code de la construction et de l'habitation pour tenir compte des évolutions législatives concernant le classement des réseaux de chaleur et de froid. Cette note, qui présentait également les modalités d'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions réglementaires, précisait ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, de manière suffisante le contexte et les objectifs du projet de décret.
6. En deuxième lieu, le défaut de publication de la synthèse des observations et propositions du public à la date de publication du décret attaqué est, par lui-même, sans incidence sur sa légalité de ce décret, de même que l'absence de publication, dans le décret lui-même ou dans un document séparé, des motifs de ce dernier.
7. En troisième lieu, si les dispositions du II de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement impliquent que les projets d'actes réglementaires de l'Etat ayant une incidence directe et significative sur l'environnement fassent l'objet d'une publication préalable permettant au public de formuler des observations, elles n'imposent de procéder à une nouvelle publication pour recueillir des observations du public sur les modifications ultérieurement apportées au projet de décision que lorsque celles-ci ont pour effet de dénaturer le projet sur lequel ont été initialement recueillies les observations du public. Il ressort en l'espèce des pièces du dossier qu'à l'issue de la consultation du public, les auteurs du décret ont apporté des modifications portant sur les critères de classement des réseaux, la durée maximale de classement des réseaux ne répondant pas à la qualification de service public industriel et commercial, l'évaluation des possibilités d'amélioration de l'efficacité énergétique du réseau par un audit énergétique, l'ajout d'un cas de dérogation à l'obligation de raccordement au réseau et les informations transmises aux autorités compétentes en matière d'urbanisme. Eu égard à leur nature et à leur portée, ces modifications, qui se sont bornées à apporter des précisions ou des compléments à des dispositions soumises à la consultation, n'ont pas dénaturé le projet sur lequel le public a formulé ses observations.
8. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des exigences résultant des dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
S'agissant de la méconnaissance alléguée des dispositions des articles L. 712-1 et suivants du code de l'énergie :
9. En premier lieu, l'article R. 712-2 du code de l'énergie, dans sa rédaction résultant de l'article 1er du décret attaqué, dispose que : " I.- Pour les réseaux affectés au service public de distribution de chaleur et de froid, un arrêté du ministre chargé de l'énergie détermine ceux qui satisfont aux critères fixés par l'article L. 712-1 au vu notamment : / 1° De la justification de la pérennité des sources d'énergie renouvelable ou des énergies de récupération utilisées ; / 2° De la justification du comptage effectif des quantités d'énergie livrées par point de livraison ; / 3° Du nombre d'abonnés raccordés au réseau et son évolution prévisible, ainsi qu'une estimation des quantités d'énergie distribuées ; / 4° D'un état prévisionnel des recettes et des dépenses échelonnées dans le temps, justifiant l'équilibre financier de l'opération pendant la période d'amortissement des installations compte tenu des besoins à satisfaire ; / 5° Des conditions tarifaires envisagées pour les différentes catégories d'abonnés raccordés au réseau à la suite du classement, et les principales conditions de leur évolution : droits et frais de raccordement, prix des abonnements et des kilowattheures fournis, formules de révision (...) ". L'article 4 du décret attaqué, qui régit les conditions de son entrée en vigueur, prévoit quant à lui, à son deuxième alinéa, que le classement des réseaux " pour lesquels l'arrêté du 21 octobre 2021 modifiant l'arrêté du 15 septembre 2006 relatif au diagnostic de performance énergétique pour les bâtiments existants proposés à la vente en France métropolitaine a constaté que le taux d'énergie renouvelable ou de récupération excédait le seuil prévu par l'article L. 712-1, intervient, dans les conditions fixées par les articles R. 712-2 et R. 712-3, le 1er septembre 2022 ".
10. D'une part, il résulte de l'article L. 712-1 du code de l'énergie que le classement d'un réseau est subordonné au respect de trois critères tirés de ce qu'il est alimenté à plus de 50 % par une énergie renouvelable ou de récupération, qu'il permet d'assurer le comptage des quantités d'énergie livrées et qu'il garantit que puisse être vérifié l'équilibre financier de l'opération. Contrairement à ce qui est soutenu, le décret attaqué prévoit bien, ainsi que l'imposent ces dispositions législatives, le respect de ces trois critères pour procéder au classement d'un réseau, que ce soit à l'article R. 712-2 du code de l'énergie issu de son article 1er ou, concernant l'année 2022, à son article 4 qui renvoie à ce même article R. 712-2. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait l'article L. 712-1 pour ne retenir qu'un seul des trois critères prévus par ces dispositions ne peut qu'être écarté.
11. D'autre part, les dispositions des 2° à 5° du I de l'article R. 712-2 citées au point 9 précisent les modalités d'application des critères tenant, respectivement, au comptage des quantités d'énergie livrées et à l'équilibre financier de l'opération, ainsi que l'impose l'article L. 713-1 du code de l'énergie. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait les dispositions de cet article L. 713-1.
12. En deuxième lieu, l'article R. 712-1 du code de l'énergie, dans sa rédaction résultant du décret attaqué, dispose que : " I.- Pour l'application de l'article L. 712-1, sont considérées comme énergies renouvelables les sources d'énergie mentionnées à l'article L. 211-2. / Pour l'application du même article, sont considérées comme énergies de récupération la fraction non biodégradable des déchets ménagers ou assimilés, des déchets des collectivités, des déchets industriels, des résidus de papeterie et de raffinerie, les gaz de récupération (mines, cokerie, haut-fourneau, aciérie et gaz fatals) et la récupération de chaleur sur eaux usées ou de chaleur fatale. La chaleur produite par une installation de cogénération est considérée comme une énergie de récupération uniquement pour la part issue de l'une des sources d'énergie précitées. / Le seuil de plus de 50 % de sources d'énergie renouvelable ou de récupération exigé à l'article L. 712-1 pour le classement d'un réseau de chaleur ou de froid s'apprécie au regard de la totalité de l'énergie injectée dans le réseau et de l'ensemble des sources d'énergie utilisées dans le cadre du périmètre du contrat ou de la régie. / Un arrêté du ministre chargé de l'énergie définit les modalités de calcul du taux d'énergie renouvelable et de récupération des productions de chaleur et de froid et la période de référence à retenir pour l'appréciation de ce seuil. / II.- Un arrêté du ministre chargé de l'énergie constate chaque année, pour chaque réseau de chaleur ou de froid existant, le taux d'énergie renouvelable ou de récupération à retenir pour l'appréciation du seuil de plus de 50 % de sources d'énergie renouvelable ou de récupération exigé à l'article L. 712-1 pour le classement d'un réseau de chaleur ou de froid ".
13. D'une part, en définissant, au I de l'article R. 712-1 précité, les notions d'énergie renouvelable ou de récupération ainsi que les modalités selon lesquelles est apprécié le seuil de plus de 50 % de ces sources d'énergie, le décret attaqué satisfait à l'exigence posée à l'article L. 713-1 du même code. Si cet article L. 713-1 renvoie au pouvoir réglementaire le soin de préciser les modalités du contrôle de l'alimentation majoritaire du réseau par une énergie renouvelable ou de récupération, ces dispositions, non plus qu'aucune autre disposition législative, n'imposent au décret attaqué de définir lui-même la méthode de calcul du taux d'énergie renouvelable ou de récupération retenu pour procéder au classement d'un réseau. Par suite, en renvoyant à un arrêté du ministre de l'énergie ces modalités de calcul, l'article R. 712-1 du code de l'énergie n'a pas méconnu les dispositions des articles L. 712-1 et L. 713-1 du code de l'énergie ni procédé à une subdélégation illégale.
14. D'autre part, en prévoyant que le classement devant intervenir au 1er septembre 2022 concerne les réseaux de chaleur ou de froid pour lesquels l'arrêté du 21 octobre 2021 précité a constaté que le taux d'énergie renouvelable ou de récupération excède le seuil de 50% prévu par l'article L. 712-1, l'article 4 du décret attaqué s'est borné à définir, par dérogation aux modalités prévues par le II de l'article R. 712-1 du code de l'énergie, la manière dont le respect du premier des trois critères de classement devait être constaté pour l'année 2022. Par suite, il ne peut utilement être soutenu qu'en renvoyant à cet arrêté du 21 octobre 2021, l'article 4 du décret attaqué ne définirait pas les modalités de calcul du taux de 50 % d'énergie renouvelable ou de récupération, ces modalités étant définies par un autre arrêté pris sur le fondement du I du même article R. 712-1.
15. Enfin, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 21 octobre 2021 précité précise, à partir de données relatives aux énergies entrantes et aux quantités de chaleur produites, déclarées dans le cadre d'une enquête annuelle, les valeurs à retenir pour les émissions de dioxyde de carbone consécutives aux consommations d'énergie et la part des énergies renouvelables et de récupération dans la production de chaleur des réseaux existants. Par suite, en renvoyant à cet arrêté le soin de constater, pour l'année 2022 et pour chaque réseau existant, le taux d'énergies renouvelables ou de récupération utilisées, le décret attaqué n'a pas méconnu l'article L. 712-1 du code de l'énergie ou l'objectif de clarté et d'intelligibilité de la norme, ni commis une erreur manifeste d'appréciation, peu important à cet égard la circonstance que cet arrêté ait été pris pour l'application de dispositions du code de la construction et de l'habitation, ou qu'il retienne lui-même les ratios d'énergie utilisés pour l'application de trois autres arrêtés.
16. En troisième lieu, le classement des réseaux de chaleur et de froid, tout comme l'obligation de s'y raccorder, résultent directement des dispositions des articles L. 712-1 et L. 712-3 du code de l'énergie et non du décret attaqué. Par suite, il ne peut utilement être soutenu que le décret serait entaché d'erreur de droit ou d'erreur d'appréciation en imposant la fourniture d'énergie par le raccordement à ces réseaux au détriment de modes alternatifs de fourniture d'énergie plus vertueux.
17. En quatrième lieu, l'incitation financière au remplacement d'équipements de chauffage ou de production d'eau chaude sanitaire au gaz non performants par le raccordement à un réseau de chaleur alimenté majoritairement par des énergies renouvelables ou de récupération ne résulte pas des dispositions contestées dans la présente instance, mais d'un arrêté du 12 juillet 2022 de la ministre de la transition énergétique. Par suite, le moyen d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation affectant ce dispositif de bonification financière est inopérant.
S'agissant de l'atteinte alléguée à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté contractuelle :
18. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 16, le classement des réseaux de chaleur et de froid, tout comme l'obligation de s'y raccorder, ne résultent pas du décret attaqué mais des dispositions des articles L. 712-1 et L. 712-3 du code de l'énergie. Par suite, il ne peut utilement être soutenu que les articles R. 712-1 et R. 712-2 du même code, issus de l'article 1er du décret attaqué, porteraient atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté contractuelle en ce qu'ils rendent, du fait de ce raccordement obligatoire, les clients captifs d'une seule solution énergétique au détriment de celles proposées par d'autres distributeurs ou fournisseurs d'énergie.
19. En deuxième lieu, l'article R. 712-3 du code de l'énergie, dans sa rédaction résultant du décret attaqué, dispose que : " Pour les réseaux affectés au service public de distribution de chaleur et de froid et classés (...), la commune ou le groupement de collectivités territoriales compétent délibère (...) pour définir, à l'intérieur de la zone de desserte du réseau, le ou les périmètres de développement prioritaire prévus par l'article L. 712-2 au vu des éléments mentionnés à l'article R. 712-2 et en tenant compte du plan de situation, du schéma du réseau de distribution du réseau, du plan faisant apparaître la zone de desserte et de la justification de la compatibilité du ou des périmètres envisagés avec les dispositions des documents d'urbanisme en vigueur. / A défaut, le périmètre du contrat de concession lorsque ce mode de gestion est choisi ou, en l'absence de périmètre de concession, le territoire de la ou des communes desservies par le réseau constitue le ou les périmètres de développement prioritaire. Ce ou ces périmètres prennent effet au plus tard le 1er juillet de l'année suivant le classement du réseau dans les conditions prévues à l'article R. 712-2, sous réserve de leur compatibilité avec les documents d'urbanisme en vigueur ".
20. Il ressort des dispositions de l'article L. 712-1 du code de l'énergie qu'elles n'imposent pas le classement de l'ensemble des réseaux, mais uniquement de ceux répondant à la qualification de service public industriel et commercial, qui sont alimentés à plus de 50 % par une énergie renouvelable ou de récupération et dont l'équilibre financier est assuré. Ces mêmes dispositions ne prévoient pas davantage un classement automatique des réseaux, la collectivité compétente pouvant décider de ne pas classer un réseau situé sur son territoire, de sorte que ce n'est que de manière subsidiaire qu'est applicable un périmètre par défaut. Enfin, le classement n'a pas pour conséquence d'écarter l'approvisionnement d'un immeuble par toute autre source d'énergie puisqu'il résulte des dispositions de l'article L. 712-3 du code de l'énergie, d'une part, que l'obligation de raccordement ne fait pas obstacle à l'utilisation d'installations de secours ou d'appoint et, d'autre part, qu'il peut être dérogé à cette obligation par une décision de la collectivité compétente dans les cas, prévus par l'article R. 712-10 du même code issu du décret attaqué, où, à la suite " d'une demande, présentée par le propriétaire de l'installation concernée ou par son mandataire à la commune ou le groupement de collectivités territoriales compétent (...) : / " 1° Le demandeur justifie de l'incompatibilité des caractéristiques techniques de l'installation qui présente un besoin de chaleur ou de froid avec celles offertes par le réseau ; / 2° L'installation ne peut être alimentée en énergie par le réseau dans les délais nécessaires à la satisfaction des besoins de chauffage, d'eau chaude sanitaire ou de climatisation de l'usager, sauf si l'exploitant du réseau justifie de la mise en place d'une solution transitoire de nature à permettre l'alimentation des usagers en chaleur ou en froid ; / 3° Le demandeur justifie de la mise en œuvre, pour la satisfaction de ses besoins de chauffage, d'eau chaude sanitaire ou de climatisation, d'une solution alternative alimentée par des énergies renouvelables et de récupération à un taux équivalent ou supérieur à celui du réseau classé suivant les modalités de calcul définies par l'arrêté du ministre chargé de l'énergie mentionné au I de l'article R. 712-1 ; / 4° Le demandeur justifie de la disproportion manifeste du coût du raccordement et d'utilisation du réseau par rapport à d'autres solutions de chauffage et de refroidissement ". Dans ces conditions, les dispositions réglementaires cités ci-dessus, issues décret attaqué, en ce qu'elles précisent les modalités de fixation des périmètres de développement prioritaire et les conditions dans lesquelles il peut être, dans ces périmètres, dérogé à l'obligation de raccordement ne peuvent être regardées comme portant à la liberté du commerce et de l'industrie une atteinte injustifiée.
21. En troisième lieu, en prévoyant, en l'absence de fixation par la collectivité compétente du périmètre de développement prioritaire, la possibilité de définir, par défaut, ce périmètre comme celui de la concession ou, en son absence, du territoire communal, le deuxième alinéa de l'article R. 712-3 du code de l'énergie issu de l'article 1er du décret attaqué, pris pour l'application de l'article L. 2224-38 du code général des collectivités territoriales, n'a pas étendu de façon injustifiée la limitation apportée par le législateur à cette liberté.
22. En quatrième lieu, les dispositions de l'article R. 712-9 du code de l'énergie, dans leur rédaction résultant de l'article 1er du décret attaqué, se bornent à faire application de celles de l'article L. 712-3 du code de l'énergie qui déterminent le champ d'application de l'obligation de raccordement à un réseau tant pour les bâtiments neufs que pour ceux faisant l'objet de travaux de rénovation importants, en mentionnant les types d'installations et la puissance des réseaux et équipements concernés. Dans la mesure où le champ de l'obligation de raccordement pour les immeubles faisant l'objet de travaux de rénovation résulte directement des dispositions législatives précitées, il ne peut utilement être soutenu qu'en reprenant la définition de ces travaux, le décret attaqué porterait par lui-même une atteinte injustifiée à la liberté du commerce et de l'industrie ou à la liberté contractuelle.
23. En cinquième lieu, l'article R. 712-12 du code de l'énergie, issu du décret attaqué, prévoit que : " Pour les réseaux affectés au service public de distribution de chaleur et de froid, lorsque le réseau n'est plus alimenté, pendant trois années consécutives, par une énergie renouvelable ou de récupération (...) au-dessus du seuil exigé à l'article L. 712-1 ou lorsqu'il ne satisfait plus à l'un des autres critères fixés par ce même article, notamment en matière de comptage des quantités d'énergie livrées, un arrêté du ministre chargé de l'énergie constate la caducité du classement (...) ". Si la requérante soutient que ces dispositions portent une atteinte injustifiée à la liberté du commerce et de l'industrie en imposant une période minimale de trois ans avant de pouvoir constater la caducité du classement d'un réseau, il ressort des pièces du dossier que le pouvoir réglementaire a entendu, en prévoyant ce délai, éviter que des circonstances particulières susceptibles d'affecter, de manière temporaire, la composition énergétique d'un réseau de chaleur ou de froid aboutissent à une telle caducité. Le moyen doit par suite être écarté.
S'agissant de l'atteinte alléguée au principe de libre administration des collectivités territoriales :
24. En vertu de l'article 72 de la Constitution : " (...) Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences (...) ". En outre, aux termes de l'article L. 2224-38 du code général des collectivités territoriales : " I.- Les communes sont compétentes en matière de création et d'exploitation d'un réseau public de chaleur ou de froid. (...) / II.- Les collectivités territoriales chargées d'un service public de distribution de chaleur ou de froid réalisent un schéma directeur de leur réseau de chaleur ou de froid. Ce schéma directeur concourt à la réalisation de l'objectif d'une alimentation des réseaux de chaleur ou de froid à partir d'énergies renouvelables et de récupération (...). / III.- Les collectivités territoriales chargées d'un service public de distribution de chaleur ou de froid délimitent, conformément au chapitre II du titre Ier du livre VII du code de l'énergie, les zones de développement prioritaires des réseaux de chaleur et de froid classés au sein desquelles le raccordement est obligatoire. Un décret en Conseil d'Etat définit la zone de développement prioritaire qui s'applique en l'absence de telle décision ".
25. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 10, le classement d'un réseau n'intervient pas en prenant en compte un seul des trois critères prévus à l'article L. 712-1 du code de l'énergie mais impose que ces trois critères soient réunis. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions des articles R. 712-1 et R. 712-2 du même code porteraient atteinte à la libre administration des collectivités territoriales au motif qu'elles permettent de procéder au classement sur la base d'un seul critère doit être écarté.
26. En deuxième lieu, la circonstance que les dispositions de l'article R. 712-12 du code de l'énergie précitées confèrent au ministre de l'énergie la compétence pour constater la caducité du classement d'un réseau n'est pas de nature à remettre en cause la compétence en matière de création et de gestion des réseaux que les communes et leurs établissements publics tirent de l'article L. 2224-38 du code général des collectivités territoriales. Par suite, le moyen tiré de ce que cet article R. 712-12 porterait atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales doit être écarté.
27. En troisième lieu, les communes et établissements compétents disposent, en vertu de l'article L. 712-1 et du II de l'article R. 712-2 du code de l'énergie, de la possibilité de " décider de ne pas classer un réseau de chaleur situé sur [leur] territoire " et il leur revient, en vertu de l'article L. 712-2 du même code, de préciser la zone de desserte du réseau et de définir, sur tout ou partie de cette zone, un ou plusieurs périmètres de développement prioritaire. Par les dispositions du III de l'article L. 2224-38 du code général des collectivités territoriales, le législateur a confié au pouvoir réglementaire la détermination de la zone de développement prioritaire applicable en l'absence de délibération de la collectivité compétente. En prévoyant que cette zone correspond au périmètre de la concession, lorsque ce mode de gestion est choisi, ou, en l'absence de périmètre de concession, au territoire de la ou des communes desservies, et en laissant aux collectivités un délai expirant au plus tard le 1er juillet de l'année suivant le classement du réseau pour que ce périmètre prenne effet, le deuxième alinéa de l'article R. 712-3 du code de l'énergie issu de l'article 1er du décret attaqué n'a pas imposé aux collectivités compétentes, auxquelles il reste toujours loisible d'exercer leur compétence en définissant un périmètre différent, des contraintes et charges excessives. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que ces dispositions méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales.
S'agissant de l'entrée en vigueur des dispositions attaquées :
28. Les dispositions du décret attaqué concernant le classement des réseaux sont, conformément à son article 4, entrées en vigueur le 1er septembre 2022, soit plus de quatre mois après leur publication, le 27 avril 2022. En prévoyant, au deuxième alinéa de l'article R. 712-3 du code de l'énergie, que le périmètre applicable à défaut de délibération de la collectivité compétente prend effet au plus tard le 1er juillet de l'année suivant le classement, l'article 1er du décret attaqué a permis aux collectivités de s'opposer au classement des réseaux situés sur leur territoire jusqu'au 1er juillet 2023, leur laissant ainsi un délai de plus de quatorze mois à compter de la publication du décret attaqué. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait le principe de sécurité juridique doit être écarté.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
En ce qui concerne la légalité externe :
29. L'arrêté attaqué se borne, pour l'application des dispositions de l'article R. 712-2 du code de l'énergie précitées, à dresser, dans un tableau qui lui est annexé, la liste les réseaux de chaleur affectés au service public de distribution de chaleur et de froid qui satisfont aux critères fixés au premier alinéa de l'article L. 712-1 du code de l'énergie. Il ne saurait ainsi être regardé comme ayant, par lui-même, une incidence directe et significative sur l'environnement. Par suite, le moyen tiré de ce que, faute d'une consultation du public, cet arrêté aurait été pris en méconnaissance de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
30. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 10, l'article R. 712-2 du code de l'énergie définit les modalités d'application des critères tenant respectivement au comptage des quantités d'énergie livrées et de l'équilibre financier de l'opération. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait dépourvu base légale pour procéder au classement de réseaux de chaleur et de froid sans que ces modalités aient été fixées doit être écarté.
31. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit respectivement aux points 10 et 14 que, d'une part, les modalités du contrôle de l'alimentation majoritaire du réseau par une énergie renouvelable ou de récupération ont été définies par l'article R. 712-1 du code de l'énergie et, d'autre part, le décret attaqué a valablement renvoyé à l'arrêté du 21 octobre 2021 précité pour apprécier le respect du premier des trois critères à réunir pour procéder au classement de réseaux au titre de l'année 2022. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait les articles L. 712-1 et L. 713-1 en ce qu'il procède au classement des réseaux qu'il mentionne à partir des données figurant dans cet arrêté du 21 octobre 2021 doit être écarté.
Sur l'inconventionnalité alléguée des dispositions des articles L. 712-1 et suivants du code de l'énergie ainsi que du décret et de l'arrêté attaqués :
En ce qui concerne la méconnaissance des dispositions de l'article 14 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur :
32. Aux termes de l'article 14 de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur : " Les États membres ne subordonnent pas l'accès à une activité de services ou son exercice sur leur territoire au respect de l'une des exigences suivantes : / (...) 6) l'intervention directe ou indirecte d'opérateurs concurrents, y compris au sein d'organes consultatifs, dans l'octroi d'autorisations ou dans l'adoption d'autres décisions des autorités compétentes, à l'exception des ordres et associations professionnels ou autres organisations qui agissent en tant qu'autorité compétente ; cette interdiction ne s'applique ni à la consultation d'organismes tels que les chambres de commerce ou les partenaires sociaux sur des questions autres que des demandes d'autorisation individuelles ni à une consultation du public (...) ".
33. Les dispositions permettant de déroger à l'obligation de raccordement à un réseau de chaleur ou de froid dans un périmètre de développement prioritaire n'ont ni pour objet ni pour effet de subordonner l'accès ou l'exercice de l'activité de services consistant à mettre en place des équipements de chauffage ou à fournir des énergies alternatives à l'autorisation des exploitants de réseaux de chaleur. Au demeurant, la dérogation n'est pas sollicitée par les gestionnaires de distribution d'électricité ou de gaz ou les fournisseurs de solutions de chauffage, mais, ainsi que le prévoit l'article R. 712-10 du code de l'énergie issu du décret attaqué, par le propriétaire de l'installation concernée ou par son mandataire. Dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le deuxième alinéa de l'article L. 712-3 du code de l'énergie méconnaîtrait les dispositions de l'article 14 de la directive du 12 décembre 2006 précitée au seul motif qu'il soumet à " l'avis du délégataire du réseau " l'octroi d'une telle dérogation.
En ce qui concerne la méconnaissance des objectifs de la directive (UE) 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables :
34. Selon le paragraphe 4 de l'article 15 de la directive du 11 décembre 2018 : " Les États membres introduisent, dans leurs réglementations et leurs codes en matière de construction, des mesures appropriées afin d'augmenter la part de tous les types d'énergie provenant de sources renouvelables dans le secteur de la construction. / (...) Dans leurs réglementations et leurs codes en matière de construction, ou par tout moyen ayant un effet équivalent, les États membres imposent l'application de niveaux minimaux d'énergie provenant de sources renouvelables dans les bâtiments neufs et dans les bâtiments existants qui font l'objet de travaux de rénovation importants, dans la mesure où cela est techniquement, fonctionnellement et économiquement réalisable (...). Les États membres permettent que ces niveaux minimaux soient atteints, notamment grâce à des réseaux de chaleur et de froid efficaces ayant une part notable d'énergies renouvelables et de chaleur et de froid fatals récupérés (...) ". Le paragraphe 3 de son article 20 impose aux États membres de prendre " (...) les mesures nécessaires pour développer des infrastructures de réseaux de chaleur et de froid adaptées au développement d'un réseau de chaleur et de froid à partir d'installations de biomasse de grande taille, d'énergie solaire, d'énergie ambiante et d'énergie géothermique ainsi qu'à partir de chaleur et de froid fatals récupérés ". Selon l'article 23 de la directive : " 1. Afin de promouvoir l'utilisation des énergies renouvelables dans le secteur du chauffage et du refroidissement, chaque État membre s'efforce d'augmenter la part de l'énergie renouvelable dans ce secteur de 1,3 point de pourcentage (...) ". Enfin, selon le paragraphe 4 de l'article 24 de la directive : " Les États membres définissent les mesures nécessaires pour garantir que les réseaux de chaleur et de froid contribuent à l'augmentation visée à l'article 23 (...) en mettant en œuvre au moins une des deux options suivantes : / a) s'efforcer d'augmenter la part de l'énergie produite à partir de sources renouvelables et de chaleur et de froid fatals récupérés dans les réseaux de chaleur et de froid d'au moins un point de pourcentage en moyenne annuelle calculée pour les périodes 2021-2025 et 2026-2030 (...). / Les États membres dont la part d'énergie produite à partir de sources renouvelables et de chaleur et de froid fatals récupérés dans le réseau de chaleur et de froid dépasse 60 % peuvent considérer que cette part est conforme à l'augmentation annuelle moyenne visée au premier alinéa du présent point (...). / b) veiller à ce que les gestionnaires des systèmes de réseaux de chaleur et de froid soient tenus de raccorder les fournisseurs d'énergie produite à partir de sources renouvelables et de chaleur et de froid fatals récupérés ou de proposer un raccordement et l'achat, auprès de fournisseurs tiers, de chaleur ou de froid produits à partir de sources renouvelables et de chaleur et de froid fatals récupérés, sur la base de critères non discriminatoires définis par l'autorité compétente de l'État membre (...) ".
35. Ainsi qu'il a été dit, le classement d'un réseau de chaleur et de froid opéré en vertu des dispositions législatives et réglementaires contestées n'a pas pour conséquence d'écarter l'approvisionnement d'un immeuble par toute autre source d'énergie, d'autres solutions pouvant être retenues s'il est justifié de leur caractère équivalent au regard des objectifs d'accroissement de la part des énergies renouvelables. Dans ces conditions, en prévoyant le classement de réseaux alimentés majoritairement par des énergies renouvelables ou de récupération, ces dispositions n'ont pas méconnu, en tout état de cause, celles de la directive du 11 décembre 2018 qui encouragent le recours aux réseaux de chaleur et de froid afin d'augmenter la part d'énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale d'énergie de l'Union européenne.
En ce qui concerne la méconnaissance des dispositions des articles 102 et 106, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :
36. En vertu de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci (...) ". Aux termes de son article 106 : " 1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 inclus. / 2. Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général (...) sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union ".
37. Il résulte de ces dispositions que, s'il est loisible aux Etats membres d'accorder à des entreprises gérant des services d'intérêt économique général des droits exclusifs pouvant faire obstacle à l'application des règles du traité relatives à la concurrence, ces restrictions à la concurrence ne doivent pas excéder les limites de ce qui est nécessaire à l'accomplissement de leur mission particulière et doivent rester proportionnées à ces nécessités.
38. En premier lieu, d'une part, ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, dans sa décision du 26 avril 2023 par laquelle il n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la requérante, en prévoyant le classement des réseaux de distribution de chaleur et de froid alimentés à plus de 50 % par une énergie renouvelable ou de récupération, le législateur a entendu favoriser le développement de ces énergies dans le secteur du bâtiment, qui représente 44 % des consommations d'énergie au niveau national, notamment pour satisfaire les engagements de la France dans la promotion de ces énergies et en matière de réduction des émissions de gaz à effets de serre, qu'expriment à la fois le 3° de l'article L. 100-2 du code de l'énergie et le 9° du I de l'article L. 100-4 du même code, qui prévoit que la politique énergétique nationale a notamment pour objectif " de multiplier par cinq la quantité de chaleur et de froid renouvelables et de récupération livrée par les réseaux de chaleur et de froid à l'horizon 2030 ". Ce faisant, le législateur a également entendu, ainsi qu'il a été dit, satisfaire aux objectifs de la directive du 11 décembre 2018 afin d'augmenter la part d'énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale d'énergie de l'Union européenne. Il ressort également des pièces du dossier que le classement est justifié par la nécessité de développer ces réseaux qui permettent de recourir à la chaleur renouvelable en zone urbaine dense à une échelle dépassant celle d'un seul bâtiment et pour lesquels le raccordement d'un nombre minimal d'immeubles est nécessaire afin d'amortir l'investissement qu'ils ont mobilisé. D'autre part, il résulte des dispositions des articles L. 712-1 et suivants du code de l'énergie que si le classement d'un réseau impose à certains immeubles de s'y raccorder, sous réserve des exceptions prévues par ces dispositions, une telle obligation, circonscrite aux zones délimitées par le périmètre de développement prioritaire, ne concerne que les bâtiments neufs ou faisant l'objet de travaux de rénovation importants. En outre, cette obligation n'empêche pas la fourniture d'autres sources d'énergie, notamment lorsqu'il existe une solution alternative équivalente sur le plan énergétique à celles offerte par un réseau classé. Enfin, les tarifs applicables aux usagers d'un réseau sont, en vertu des dispositions de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, fixés par la collectivité compétente et, lorsque le réseau fait l'objet d'une concession, l'article L. 3114-6 du code de la commande publique impose que " Le contrat détermine les tarifs à la charge des usagers et précise l'incidence sur ces tarifs des paramètres ou indices qui déterminent leur évolution ". Dès lors, par les conditions auxquelles elles soumettent le classement et l'utilisation des réseaux et par les dérogations qu'elles prévoient à l'obligation de raccordement, les dispositions législatives et réglementaires litigieuses sont nécessaires et proportionnées au regard de l'objectif de développement des énergies renouvelables. Le moyen tiré de ce qu'elles placeraient les exploitants de ces réseaux en situation d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché de la fourniture d'énergie destinée au chauffage des bâtiments doit, ainsi, être écarté.
39. En deuxième lieu, ces mêmes dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de réserver à un seul organisme le droit d'offrir la distribution de gaz, de soumettre l'accès à ce marché à des restrictions quantitatives ou de limiter la liberté de proposer les conditions et tarifs de gaz. Dans ces conditions, il n'est pas davantage établi que la situation des exploitants de réseaux de chaleur sur le marché du chauffage les amènerait à exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché de la distribution de gaz.
En ce qui concerne la méconnaissance des dispositions de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :
40. Aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. (...) La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises (...) dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants (...) ".
41. Les dispositions législatives et réglementaires concernant le classement de réseaux de chaleur et de froid n'ont ni pour objet, ni pour effet d'interdire ou de restreindre l'accès à une activité de fournisseur d'énergie ou à celle de producteur de systèmes d'énergie à toute personne qui le souhaite. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de liberté d'établissement doit être écarté.
42. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Coénove n'est pas fondée à demander l'annulation du décret et de l'arrêté qu'elle attaque. Sa requête doit donc être rejetée, y compris ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par le Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine, qui n'a pas la qualité de partie dans la présente instance.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'intervention du Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine est admise.
Article 2 : La requête de l'association Coénove est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par le Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association Coénove, au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Délibéré à l'issue de la séance du 16 octobre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, Mme Nathalie Destais, conseillers d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 18 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Cédric Fraisseix
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain