Vu la procédure suivante :
La société Mad Films Mens Insana a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la restitution d'un crédit d'impôt institué par les dispositions de l'article 220 sexies du code général des impôts, dont elle s'estimait titulaire au titre de l'année 2018. Par un jugement n° 1906889 du 3 mai 2021, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21TL02579 du 23 février 2023, la cour administrative d'appel de Toulouse a rejeté l'appel formé par la société Mad Films Mens Insana contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, deux mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 avril et 6 juillet 2023 et les 24 juin et 19 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Mad Films Mens Insana demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Pau, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Mad Films Mens Insana ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Mad Films Mens Insana a demandé la restitution d'un crédit d'impôt au titre de l'année 2018, en application des dispositions de l'article 220 sexies du code général des impôts. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 23 février 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Toulouse a rejeté son appel contre un jugement du 3 mai 2021 du tribunal administratif de Montpellier qui a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article 220 sexies du code général des impôts : " I. - Les entreprises de production cinématographique et les entreprises de production audiovisuelle soumises à l'impôt sur les sociétés qui assument les fonctions d'entreprises de production déléguées peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de production mentionnées au III correspondant à des opérations effectuées en vue de la réalisation d'œuvres cinématographiques de longue durée ou d'œuvres audiovisuelles agréées. / (...) / III. - 1. Le crédit d'impôt, calculé au titre de chaque exercice, est égal à 20 % du montant total des dépenses suivantes effectuées en France : / a) Les rémunérations versées aux auteurs (...) ainsi que les charges sociales afférentes ; / b) Les rémunérations versées aux artistes-interprètes (...) et aux artistes de complément(...) ainsi que les charges sociales afférentes ; / c) Les salaires versés aux personnels de la réalisation et de la production, ainsi que les charges sociales afférentes ; / d) Les dépenses liées au recours aux industries techniques et autres prestataires de la création cinématographique et audiovisuelle ; (...) / V. - Les subventions publiques non remboursables reçues par les entreprises et directement affectées aux dépenses visées au III sont déduites des bases de calcul du crédit d'impôt ".
3. Aux termes de l'article 46 quater-0 YM de l'annexe III au code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Pour la détermination des dépenses mentionnées au III de l'article 220 sexies du code général des impôts, il y a lieu de retenir : / 1. Pour les œuvres cinématographiques ou audiovisuelles de fiction et les œuvres cinématographiques ou audiovisuelles documentaires : / a. Au titre des rémunérations et charges sociales afférentes aux auteurs (...) / b. Au titre des rémunérations et charges sociales afférentes aux artistes-interprètes (...) / c. Au titre des salaires et charges sociales afférents aux personnels de la réalisation et de la production : les rémunérations et leurs accessoires versés par l'entreprise de production aux techniciens et ouvriers de la production, ainsi que les charges sociales dans la mesure où elles correspondent à des cotisations sociales obligatoires. Lorsque les techniciens et ouvriers de la production sont employés par l'entreprise de production à titre permanent, seuls sont pris en compte les salaires et charges sociales correspondant à la période durant laquelle ces personnels ont été effectivement employés à la réalisation de l'œuvre éligible au crédit d'impôt ; / d. Au titre des dépenses liées au recours aux industries et autres prestataires de la création cinématographique et audiovisuelle : / 1° Les dépenses liées à l'utilisation de studios de prises de vues, (...) ; / 2° Les dépenses de matériels techniques de tournage (...) ; / 3° Les dépenses de postproduction , y compris les effets spéciaux, à savoir : les dépenses de laboratoire image, de montage des images, d'enregistrement des voix, de bruitage et création sonore, de mixage, de montage du son, d'effets spéciaux numériques et de génériques et bandes-annonces ; / 4° Les dépenses de pellicules et autres supports d'images et les dépenses de laboratoire (...) ; (...) ".
4. D'une part, les dépenses de rémunération des personnels de la réalisation et de la production mentionnées au c du 1 du III de l'article 220 sexies du code général des impôts ne se limitent pas à celles des personnes affectées à la réalisation ou la production d'œuvres susceptibles d'ouvrir droit au crédit d'impôt qui sont employées par l'entreprise de production déléguée mais s'étendent à celles versées pour les personnes mises à sa disposition par un tiers, aux mêmes fins. D'autre part, les dépenses liées au recours aux industries techniques et autres prestataires de la création cinématographique et audiovisuelle, susceptibles également d'ouvrir droit au crédit d'impôt en application du d du même 1 du III de l'article 220 sexies de ce code, incluent les coûts salariaux exposés par ces industries et prestataires pour la réalisation des prestations facturées à l'entreprise de production déléguée.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Mad Films Mens Insana se prévalait, au titre des dépenses éligibles au crédit d'impôt pour la production de la troisième saison de la série " Points de repères ", de trois factures établies par la société Triarii Prod pour des prestations d'effets visuels comprenant la prévisualisation en trois dimensions, les séquences d'effets visuels, l'élaboration, la production et la création des passages d'animation du film. Ces factures présentaient le détail des prestations réalisées poste par poste, parmi lesquelles l'élaboration de planches d'ambiance et la mise en image crayonnée du déroulement du film, la création des effets visuels, l'animation, le tournage sur fond vert, ainsi que le détail des coûts salariaux correspondant à ces prestations et des dépenses engagées envers certains fournisseurs.
6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a jugé que l'administration fiscale avait pu à bon droit refuser la prise en compte comme dépenses éligibles au crédit d'impôt sollicité, sur le fondement des a, b et c du 1 du III de l'article 220 sexies du code général des impôts, des sommes figurant sur ces trois factures correspondant aux coûts salariaux facturés au motif, non contesté en cassation, que les dépenses de rémunération mentionnées par ces dispositions n'incluaient pas les salaires des personnes mises à disposition, par un prestataire de service, de l'entreprise de production déléguée, sans que ce personnel ne soit directement rémunéré par cette dernière. Elle a également jugé que les dépenses de salaire en litige n'étaient pas davantage éligibles au crédit d'impôt en vertu du d du 1 du III de l'article 220 sexies du code général des impôts, au motif que les dépenses liées au recours aux industries techniques et autres prestataires de la création cinématographique et audiovisuelle qui y sont mentionnées n'englobaient pas les salaires refacturés à une entreprise de production par un prestataire ayant mis à sa disposition son propre personnel. Ce faisant, en déduisant de la présentation des factures en cause que la société Triarii Prod avait mis à disposition de la société Mad Films Mens Insana ses propres salariés pour la production de l'œuvre audiovisuelle en cause alors que les coûts salariaux mentionnés correspondaient uniquement à ceux engagés par la société Triarii Prod elle-même pour la réalisation des prestations facturées à la société Mad Films Mens Insana, la cour a dénaturé les pièces du dossier dont elle était saisie.
7. Par suite, la société requérante est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Mad Films Mens Insana au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 23 février 2023 de la cour administrative d'appel de Toulouse est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Toulouse.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à la société Mad Films Mens Insana au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Mad Films Mens Insana et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 23 octobre 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Olivier Pau, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 13 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Pau
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :