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08/11/2024 | FRANCE | N°473461

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 08 novembre 2024, 473461


Vu la procédure suivante :



Par une requête et huit nouveaux mémoires, enregistrés les 19 avril, 11 août, 17 octobre, 3 décembre et 5 décembre 2023 et les 21 janvier, 12 mars, 10 et 12 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat :



1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'avis n° 2022-271 du 29 août 2022 par lequel le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a, au nom de cette autorité, émis un avis d

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Vu la procédure suivante :

Par une requête et huit nouveaux mémoires, enregistrés les 19 avril, 11 août, 17 octobre, 3 décembre et 5 décembre 2023 et les 21 janvier, 12 mars, 10 et 12 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'avis n° 2022-271 du 29 août 2022 par lequel le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a, au nom de cette autorité, émis un avis de compatibilité avec réserves sur son projet d'exercer, à titre libéral, la profession d'avocat, ensemble la décision du 24 octobre 2022 par laquelle le président de la HATVP a, au nom de cette autorité, rejeté son recours gracieux contre cet avis, d'autre part, la décision du 3 novembre 2022 par laquelle le vice-président du Conseil d'Etat l'a autorisée à exercer, à titre libéral, la profession d'avocat dans les conditions posées par l'avis du 29 août 2022, ensemble la décision du 20 février 2023 par laquelle il a rejeté son recours gracieux contre la décision du 3 novembre 2022, enfin, la décision du 13 avril 2023 par laquelle la Première ministre a implicitement rejeté son recours contre la décision du 3 novembre 2022, en tant que ces décisions lui refusent l'exercice de la profession d'avocat devant le tribunal administratif de Caen jusqu'au 30 juin 2025 et devant le tribunal administratif de Paris jusqu'au 31 août 2024 ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler pour excès de pouvoir ces mêmes décisions ;

3°) d'enjoindre à l'autorité administrative d'abroger ces mêmes décisions en tant qu'elles lui interdisent de présenter des requêtes ou mémoires ou de paraître à l'audience devant les tribunaux administratifs de Caen et de Paris et d'accomplir toute démarche auprès des membres de ces tribunaux, dans un délai de six mois et sous une astreinte d'un montant de 50 euros par jour de retard ;

4°) de saisir la Cour européenne des droits de l'homme, sur le fondement de l'article 1er du protocole n° 16 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'une demande d'avis portant sur la conformité des décisions en litige à l'article 6, paragraphe 1, aux articles 8 et 10 ainsi qu'à l'article 14 combiné aux articles 6 et 8 de cette convention.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code général de la fonction publique ;

- le code pénal ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ;

- l'ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021 ;

- le décret n° 2012-225 du 16 février 2012 ;

- le décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 ;

- la décision du 19 juillet 2023 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A... ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Thalia Breton, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... A..., membre du corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, a exercé en qualité de magistrate administrative au tribunal administratif de Paris entre le 1er septembre 2013 et le 30 août 2021 et au tribunal administratif de Caen de septembre 2021 à janvier 2022, puis a été admise à la retraite à compter du 1er juillet 2022. Le 21 mai 2022, elle a saisi le vice-président du Conseil d'Etat d'une demande relative à la compatibilité avec ses fonctions antérieures de l'activité d'avocate qu'elle envisageait d'exercer à titre libéral. Le vice-président du Conseil d'Etat a soumis cette demande à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), dont le président a émis, le 29 août 2022, au nom de cette autorité, un avis de compatibilité avec réserves. Par une décision du 24 octobre 2022, le président de la HATVP a, au nom de cette autorité, rejeté le recours gracieux formé par Mme A... contre cet avis. Par une décision du 3 novembre 2022, le vice-président du Conseil d'Etat a autorisé Mme A... à exercer, à titre libéral, la profession d'avocat dans les conditions posées par cet avis. Par une décision du 20 février 2023, il a rejeté le recours gracieux de Mme A... contre cette décision. Par une décision du 13 avril 2023, la Première ministre a implicitement rejeté le recours de Mme A... contre la décision du 3 novembre 2022 du vice-président du Conseil d'Etat. Mme A... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'avis du 29 août 2022 et les décisions des 24 octobre 2022, 3 novembre 2022, 20 février 2023 et 13 avril 2023, en tant que ces décisions lui refusent l'exercice de la profession d'avocate devant le tribunal administratif de Caen jusqu'au 30 juin 2025 et devant le tribunal administratif de Paris jusqu'au 31 août 2024.

Sur le cadre juridique :

En ce qui concerne les dispositions applicables :

2. Aux termes de l'article L. 231-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable au litige : " Les membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont des magistrats dont le statut est régi par le présent livre et, pour autant qu'elles n'y sont pas contraires, par les dispositions statutaires de la fonction publique de l'Etat ".

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 124-4 du code général de la fonction publique : " L'agent public cessant ou ayant cessé ses fonctions depuis moins de trois ans, définitivement ou temporairement, saisit à titre préalable l'autorité hiérarchique dont il relève ou a relevé dans son dernier emploi afin d'apprécier la compatibilité de toute activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise privée ou un organisme de droit privé ou de toute activité libérale avec les fonctions exercées au cours des trois années précédant le début de cette activité ". Aux termes de l'article L. 124-5 du même code : " Lorsque la demande prévue au premier alinéa de l'article L. 124-4 émane d'un agent public occupant ou ayant occupé au cours des trois dernières années un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient, l'autorité hiérarchique soumet cette demande à l'avis préalable de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. A défaut, l'agent peut également saisir la Haute Autorité ". L'article L. 124-26 du même code prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat précise la liste des emplois mentionnés à l'article L. 124-5. Aux termes de l'article L. 124-10 du même code : " La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique émet un avis : / (...) 2° Sur le projet d'activité privée lucrative présenté par un agent public qui souhaite cesser temporairement ou définitivement ses fonctions, en application des articles L. 124-4 et L. 124-5 (...) ". Aux termes de l'article L. 124-12 du même code : " Dans l'exercice de ses attributions mentionnées à l'article L. 124-10, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique examine si l'activité exercée par l'agent public risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l'indépendance ou la neutralité du service, de méconnaître tout principe déontologique mentionné aux articles L. 121-1 et L. 121-2 ou de placer l'intéressé en situation de commettre les infractions prévues aux articles 432-12 ou 432-13 du code pénal ". Aux termes de l'article L. 124-14 du même code : " Lorsqu'elle est saisie en application de l'article L. 124-10, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique rend un avis : / 1° De compatibilité ; / 2° De compatibilité avec réserves, celles-ci étant prononcées pour une durée de trois ans ; / 3° D'incompatibilité. / La Haute Autorité peut rendre un avis d'incompatibilité lorsqu'elle estime ne pas avoir obtenu de la personne concernée les informations nécessaires. / Le président de la Haute Autorité peut rendre, au nom de celle-ci, un avis de compatibilité, assorti éventuellement de réserves, dans le cas où l'activité envisagée est manifestement compatible avec les fonctions antérieures ou actuelles de l'intéressé. / Il peut également rendre, au nom de celle-ci, un avis d'incompétence, d'irrecevabilité ou constatant qu'il n'y a pas lieu à statuer. / La Haute Autorité, lorsqu'elle se prononce en application des 1° et 2° de l'article L. 124-10, rend un avis dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. L'absence d'avis dans ce délai vaut avis de compatibilité ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 124-15 du même code : " Les réserves dont peuvent être assortis les avis de compatibilité et les avis d'incompatibilité mentionnés aux 2° et 3° de l'article L. 124-14 lient l'administration et s'imposent à l'agent public ". Aux termes de l'article L. 124-17 du même code : " L'autorité dont l'agent public relève dans son corps, son cadre d'emplois ou son emploi d'origine peut solliciter une seconde délibération de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, dans un délai d'un mois à compter de la notification de son avis. / La Haute Autorité rend un nouvel avis dans un délai d'un mois à compter de la réception de cette demande ". Aux termes de l'article L. 124-20 du même code : " Si l'avis de compatibilité avec réserves ou d'incompatibilité rendu en application des 2° ou 3° de l'article L. 124-14 n'est pas respecté : / 1° L'agent public peut faire l'objet de poursuites disciplinaires ; / 2° Le fonctionnaire retraité peut faire l'objet d'une retenue sur pension, dans la limite de 20 % du montant de la pension versée, pendant les trois ans suivant la cessation de ses fonctions ; / 3° L'administration ne peut procéder au recrutement de l'agent contractuel intéressé au cours des trois années suivant la date de notification de l'avis rendu par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ; / 4° Il est mis fin au contrat dont est titulaire l'agent à la date de notification de l'avis rendu par la Haute Autorité, sans préavis et sans indemnité de rupture. / Les 1° à 4° s'appliquent également en l'absence de saisine préalable de l'autorité hiérarchique. "

4. En vertu du 1° de l'article 2 du décret du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique, la liste des emplois mentionnés au IV de l'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dont les dispositions ont été codifiées aux articles L. 124-5 et L. 124-26 du code général de la fonction publique mentionnés au point 3, comprend les emplois soumis à l'obligation de transmission préalable d'une déclaration d'intérêts prévue aux articles L. 131-7 et L. 231-4-1 du code de justice administrative. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 231-4-1 du code de justice administrative : " Dans les deux mois qui suivent leur affectation, les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel remettent une déclaration exhaustive, exacte et sincère de leurs intérêts au chef de la juridiction à laquelle ils ont été affectés. (...) ".

5. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un magistrat administratif cessant ou ayant cessé ses fonctions depuis moins de trois ans souhaite exercer une activité privée lucrative, ce dernier doit saisir au préalable le vice-président du Conseil d'Etat afin d'apprécier la compatibilité de cette activité avec les fonctions exercées au cours des trois années précédant le début de cette activité. Le vice-président du Conseil d'Etat est alors tenu de saisir la HATVP afin que celle-ci émette un avis sur le projet d'activité privée lucrative du magistrat administratif, cet avis pouvant être de compatibilité, de compatibilité avec réserves ou d'incompatibilité. Les réserves mentionnées dans les avis de compatibilité et les avis d'incompatibilité lient le vice-président du Conseil d'Etat et s'imposent au magistrat administratif.

En ce qui concerne les exceptions d'inconstitutionnalité, d'inconventionnalité et d'illégalité soulevées à l'encontre de ces dispositions :

S'agissant des dispositions des articles L. 124-12 et L. 124-14 du code général de la fonction publique :

6. En premier lieu, lorsque le délai de l'habilitation donnée au Gouvernement par le Parlement sur le fondement de l'article 38 de la Constitution est expiré, la contestation, au regard des droits et libertés que la Constitution garantit, des dispositions d'une ordonnance non ratifiée relevant du domaine de la loi n'est recevable qu'au travers d'une question prioritaire de constitutionnalité. Les articles L. 124-12 et L. 124-14 du code général de la fonction publique, issus de l'ordonnance du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique, relèvent du domaine de la loi dès lors qu'ils fixent des règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'Etat. Par suite, Mme A..., qui a soulevé à l'encontre de ces dispositions une question prioritaire de constitutionnalité que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel, n'est pas recevable à soutenir, à l'appui de son recours pour excès de pouvoir, dans ses écritures postérieures à la décision de refus de transmission, à défaut de mémoire distinct présentant une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité, que ces dispositions sont contraires au principe d'égalité, au droit à un procès équitable et au principe d'indépendance des magistrats administratifs garantis par les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

7. En deuxième lieu, les dispositions des articles L. 124-12 et L. 124-14 du code général de la fonction publique, qui prévoient que la HATVP émet un avis sur la compatibilité d'une activité privée avec les fonctions exercées par un agent public au cours des trois années précédant le début de cette activité, n'instituent pas une procédure de nature juridictionnelle et, en tant qu'elles s'appliquent aux magistrats administratifs en disponibilité ou à la retraite entendant exercer la profession d'avocat, portent, non sur l'exercice, par ces derniers, de leurs fonctions juridictionnelles, mais sur l'exercice, par ceux-ci, d'une activité privée lucrative. Par suite, Mme A... ne peut utilement soutenir que ces dispositions méconnaissent les principes d'indépendance et d'impartialité des magistrats garantis par l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. En troisième lieu, la circonstance qu'en application des dispositions du 2° de l'article L. 124-14 du code général de la fonction publique, citées au point 3, les réserves dont la HATVP peut assortir ses avis de compatibilité sont prononcées pour une durée de trois ans n'est pas susceptible, par elle-même, d'entacher ces dispositions de méconnaissance du droit de toute personne au respect de sa vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

S'agissant des dispositions du décret du 30 janvier 2020 :

9. En premier lieu, dès lors, ainsi qu'il a été dit au point 7, que l'intervention de la HATVP en vue d'émettre un avis sur la compatibilité d'une activité privée lucrative qu'un magistrat administratif en disponibilité ou à la retraite entend débuter avec les fonctions qu'il a exercées au cours des trois années précédentes porte sur l'exercice par celui-ci, non de ses fonctions juridictionnelles mais de cette activité privée et dès lors que l'examen par la HATVP de cette compatibilité vise à préserver l'indépendance et l'impartialité des juridictions auxquelles l'intéressé a appartenu, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du 1° de l'article 2 du décret du 30 janvier 2020, en ce qu'elles ont pour effet de faire entrer les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel dans la champ de la saisine obligatoire de la HATVP, porteraient atteinte au principe d'indépendance des magistrats administratifs, indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles, consacré par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

10. En second lieu, si, dans le cadre d'une contestation d'un acte règlementaire par voie d'exception, la légalité des règles fixées par l'acte réglementaire, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n'en va pas de même des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même. Par suite, Mme A... ne peut utilement soutenir que les dispositions du 1° de l'article 2 du décret du 30 janvier 2020 seraient illégales au motif qu'elles n'auraient été précédées ni de la consultation du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (CSTACAA) ni de celle du collège de déontologie de la juridiction administrative.

Sur la légalité des décisions de la HATVP :

En ce qui concerne les moyens de légalité externe :

11. En premier lieu, contrairement à ce que soutient Mme A..., par l'avis émis par son président en son nom le 29 août 2022, la HATVP s'est bornée à apprécier, dans le respect des prérogatives que la loi lui a confiées, la compatibilité de l'activité libérale d'avocate que l'intéressée entendait exercer avec ses fonctions antérieures de magistrate administrative, sans édicter aucune règle générale relative aux garanties d'indépendance et d'impartialité des magistrats administratifs, ni exercer un contrôle du respect par celle-ci des règles déontologiques particulières applicables à la profession d'avocat. La requérante n'est par suite pas fondée à soutenir que l'avis qu'elle attaque et la décision de rejet du recours gracieux qu'elle a formé contre cet avis seraient, pour ce motif, entachés d'incompétence.

12. En deuxième lieu, Mme A... ne peut utilement soutenir que les décisions du président de la HATVP, prises au nom de cette autorité, méconnaissent le droit à un procès équitable garanti par l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au motif qu'elles n'ont fait l'objet d'aucune procédure contradictoire préalable.

13. En troisième lieu, les décisions contestées sont, contrairement à ce qui est soutenu, suffisamment motivées.

En ce qui concerne le bien-fondé des réserves émises :

14. En premier lieu, compte tenu de l'objet des dispositions citées aux points 3 et 4, qui visent à prévenir les risques déontologiques et de conflit d'intérêts mentionnés par la HATVP dans ses décisions et à contribuer à asseoir la confiance des citoyens envers le service public de la justice, et au regard de l'exigence qui s'attache au fonctionnement normal, à l'indépendance et à l'impartialité des juridictions administratives dans lesquelles Mme A... a servi durant les trois années précédentes, notamment à la nécessité de prévenir le risque que soit mise en doute l'impartialité des magistrats en fonction au sein des deux tribunaux administratifs concernés, et ce alors même que ces magistrats sont par ailleurs soumis à des exigences déontologiques propres, en particulier à celle de remplir leurs fonctions juridictionnelles en toute indépendance, probité et impartialité, le président de la HATVP, en estimant, nonobstant l'absence de manquement avéré à ces exigences déontologiques, que Mme A... devait s'abstenir de présenter des requêtes et des mémoires ou de paraître à l'audience devant ces deux tribunaux administratifs et d'accomplir toute démarche auprès des membres de ceux-ci pendant une durée de trois ans suivant la fin de ses fonctions dans chacune de ces juridictions, n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées au point 3 lesquelles, contrairement à ce que soutient la requérante, sont applicables aux magistrats administratifs ainsi qu'il a été dit au point 5.

15. En deuxième lieu, Mme A... soutient que les décisions qu'elle attaque méconnaitraient, d'une part, le principe d'égalité, d'autre part, les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combinées avec celles des articles 6 et 8 de cette convention, ainsi que le principe d'égalité des armes garanti par l'article 6, paragraphe 1 de la même convention, en ce qu'elles conduisent à traiter de manière différente les magistrats administratifs en disponibilité ou à la retraite entendant exercer la profession d'avocat et ceux en position de détachement au sein d'une administration, qui peuvent signer des requêtes et mémoires dans des procédures contentieuses relevant de l'ordre administratif. Toutefois, la différence de traitement alléguée procède non des décisions de la HATVP attaquées, mais des dispositions législatives et réglementaires rappelées aux points 3 et 4. En tout état de cause, d'une part, les magistrats administratifs en détachement au sein d'une administration ne sont pas placés, au regard de l'exposition aux risques mentionnés au point précédent, dans une situation analogue ou comparable à celles des magistrats administratifs qui quittent de manière temporaire ou définitive le secteur public pour exercer une activité privée lucrative. D'autre part, la différence de traitement en cause, qui répond à cette différence objective de situation, est en rapport direct avec l'objet des dispositions citées aux points 3 et 4, tendant à prévenir de tels risques et à contribuer à asseoir la confiance des citoyens envers le service public de la justice. Ces moyens ne peuvent, par suite, qu'être écartés. En outre, dès lors que les décisions contestées et les dispositions législatives en application desquelles elles ont été prises ne mettent pas en œuvre le droit de l'Union européenne, Mme A... ne peut utilement soutenir que les décisions qu'elle attaque méconnaitraient le principe d'égalité de traitement, en tant que principe général du droit de l'Union européenne garanti par les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

16. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit, le président de la HATVP s'est notamment fondé, pour édicter les réserves mentionnées dans ses décisions, sur les risques déontologiques que pourrait présenter l'activité que Mme A... souhaite entreprendre, au regard de l'exigence que le fonctionnement normal, l'indépendance ou la neutralité des juridictions dans lesquelles elle a antérieurement servi ne soient pas mis en cause. En se fondant ainsi sur de tels risques, qui, contrairement à ce que soutient la requérante, ne peuvent être écartés du seul fait de l'existence d'exigences déontologiques propres applicables aux magistrats administratifs, aux anciens magistrats ainsi qu'aux avocats, la HATVP, qui n'a pas mis en cause l'indépendance des magistrats administratifs exerçant au sein des tribunaux administratifs de Paris et de Caen, n'a pas méconnu l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

17. En quatrième lieu, eu égard à l'objectif légitime de prévenir de tels risques déontologiques et à la nécessité d'asseoir la confiance des citoyens envers le service public de la justice, Mme A... n'est, en tout état de cause, pas davantage fondée à soutenir que les décisions de la HATVP portent atteinte à son droit à la liberté d'expression dans des conditions contraires à l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

18. En cinquième lieu, Mme A... ne peut sérieusement soutenir, en tout état de cause, que les décisions qu'elle attaque, qui, au demeurant, ne font pas obstacle à son inscription au tableau des barreaux de Caen ou de Paris, et lui permettent d'exercer des fonctions de conseil juridique sans restriction, porteraient une atteinte disproportionnée et non nécessaire dans une société démocratique au droit au respect de sa vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux motifs, d'une part, que le centre de ses intérêts personnels et professionnels se situe à Caen où elle poursuit des études de littérature, à Ouistreham où elle dispose d'un appartement en location, et à Paris où se situe sa résidence principale et où elle vit avec son fils, d'autre part, qu'exercer la profession d'avocate lui permettrait de percevoir un complément de revenu à sa pension de retraite.

Sur la légalité des décisions du vice-président du Conseil d'Etat et de la Première ministre :

19. Dès lors que le vice-président du Conseil d'Etat était tenu, en vertu des dispositions du premier alinéa de l'article L. 124-15 du code général de la fonction publique citées au point 3, de reprendre les réserves émises par la HATVP dans les décisions attaquées, les moyens de la requête, en tant qu'ils sont dirigés contre les décisions du vice-président du Conseil d'Etat, ne peuvent qu'être écartés, pour les motifs précédemment exposés. Les conclusions de la requête tendant à l'annulation de ces décisions ne peuvent, par suite, qu'être rejetées. Il y a également lieu, en tout état de cause, de rejeter celles tendant à l'annulation de la décision de la Première ministre.

20. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu en l'espèce d'adresser une demande d'avis consultatif à la Cour européenne des droits de l'homme sur le fondement du protocole n° 16 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions qu'elle attaque, en tant que ces décisions lui refusent l'exercice de la profession d'avocate devant le tribunal administratif de Caen jusqu'au 30 juin 2025 et devant le tribunal administratif de Paris jusqu'au 31 août 2024. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction ne peuvent également qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A..., au Premier ministre, à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, et au vice-président du Conseil d'Etat.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 473461
Date de la décision : 08/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 08 nov. 2024, n° 473461
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Thalia Breton
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:473461.20241108
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