Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés le 26 octobre 2022 et les 10 mars et 20 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 2 décembre 2021 par laquelle le conseil régional d'Ile-de-France de l'ordre des chirurgiens-dentistes a refusé d'inscrire la SELARL des docteurs C... et D... au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision de rejet née du silence gardé par le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes sur son recours formé le 21 décembre 2021 contre cette décision du conseil régional d'Ile-de-France de l'ordre des chirurgiens-dentistes ;
3°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Thalia Breton, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de Mme C... et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... C..., chirurgien-dentiste exerçant à Clamart (Hauts-de-Seine) au sein d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL), a demandé au conseil départemental des Hauts-de-Seine de l'ordre des chirurgiens-dentistes l'inscription d'une seconde SELARL, la SELARL des docteurs C... et D.... Par une décision du 29 septembre 2021, le conseil départemental des Hauts-de-Seine de l'ordre des chirurgiens-dentistes a rejeté sa demande. Par une décision du 2 décembre 2021, le conseil régional d'Ile-de-France de l'ordre des chirurgiens-dentistes a rejeté son recours contre cette décision. Mme C... demande l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de la décision du 2 décembre 2021 du conseil régional d'Ile-de-France de l'ordre des chirurgiens-dentistes, d'autre part, de la décision par laquelle le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a implicitement rejeté son recours contre cette décision.
Sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation de la décision du conseil régional d'Ile-de-France de l'ordre des chirurgiens-dentistes :
2. Il résulte des dispositions des articles L. 4112-4 et R. 4112-5 du code de la santé publique que la décision d'un conseil départemental refusant d'inscrire un chirurgien-dentiste au tableau de l'ordre doit, préalablement à l'exercice d'un recours contentieux, faire l'objet d'un recours administratif devant le conseil régional puis, au besoin, devant le Conseil national. L'institution par ces dispositions d'un double recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, a pour effet de laisser aux instances ordinales compétentes pour en connaître le soin d'arrêter une position définitive. Il s'ensuit que la décision prise à la suite de chacun de ces recours se substitue nécessairement à la décision précédente et que seule la décision du Conseil national est susceptible d'être déférée au juge de la légalité. Il en résulte que les conclusions de la requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 2 décembre 2021 du conseil régional d'Ile-de-France de l'ordre des chirurgiens-dentistes sont irrecevables, dès lors que la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes s'y est substituée et qu'elle seule peut être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir. Elles ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
Sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation de la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes :
3. D e première part, il résulte des dispositions du sixième alinéa de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique qu'un chirurgien-dentiste ne peut être inscrit que sur un seul tableau, qui est celui du département où se trouve sa résidence professionnelle. Selon le premier alinéa de l'article R. 4113-8 du même code applicable à la constitution des sociétés d'exercice libéral de chirurgiens-dentistes, la société est constituée sous la condition suspensive de son inscription au tableau de l'ordre. Aux termes de l'article R. 4113-24 de ce code, relatif au " principe de l'unicité du cabinet " : " Les membres d'une société d'exercice libéral de chirurgiens-dentistes ont une résidence professionnelle commune. / Toutefois, la société peut être autorisée par le conseil départemental de l'ordre à exercer dans un ou plusieurs cabinets secondaires si la satisfaction des besoins des malades l'exige et à la condition que la situation des cabinets secondaires par rapport au cabinet principal ainsi que l'organisation des soins dans ces cabinets permettent de répondre aux urgences. / (...) ".
4. De deuxième part, le " principe de l'unicité du cabinet " est également rappelé par des dispositions du code de déontologie des chirurgiens-dentistes. Ainsi, aux termes de l'article R. 4127-270 du code de la santé publique : " Le lieu habituel d'exercice d'un chirurgien-dentiste est celui de la résidence professionnelle au titre de laquelle il est inscrit au tableau du conseil départemental, conformément à l'article L. 4112-1. / Un chirurgien-dentiste exerçant à titre libéral peut exercer son activité professionnelle sur un ou plusieurs sites distincts de sa résidence professionnelle habituelle : / -lorsqu'il existe dans le secteur géographique considéré une carence ou une insuffisance de l'offre de soins préjudiciable aux besoins des patients ou à la permanence des soins ; / -ou lorsque les investigations et les soins qu'il entreprend nécessitent un environnement adapté, l'utilisation d'équipements particuliers, la mise en œuvre de techniques spécifiques ou la coordination de différents intervenants. / (...) La demande d'ouverture d'un lieu d'exercice distinct est adressée au conseil départemental dans le ressort duquel se situe l'activité envisagée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. (...) / L'autorisation est délivrée par le conseil départemental (...) ou, sur recours, par le conseil national, qui statue dans les mêmes conditions. / L'autorisation est personnelle et incessible. (...) ". Aux termes de l'article R. 4127-271 du même code : " Toute activité professionnelle d'un praticien qui, en sus de son activité principale, exerce à titre complémentaire soit comme adjoint d'un confrère, soit au service d'une collectivité publique ou privée, notamment dans les services hospitaliers ou hospitalo-universitaires, soit comme gérant, est considérée comme un exercice annexe. / Pour l'application du présent code de déontologie, l'exercice en cabinet secondaire est considéré comme un exercice annexe ". Aux termes de l'article R. 4127-272 du même code : " Lorsqu'il exerce à titre libéral, le chirurgien-dentiste ne peut avoir que deux exercices, quelle qu'en soit la forme / (...) / Les dispositions du présent article ne font pas obstacle à l'application des dispositions propres aux sociétés d'exercice de la profession, et notamment de celles des articles R. 4113-24 et R. 4113-74. "
5. De troisième part, selon le premier alinéa de l'article R. 4113-31 du code de la santé publique, l'inscription de la société au tableau de l'ordre ne peut être refusée que si les statuts déposés ne sont pas conformes aux dispositions législatives et réglementaires et notamment au code de déontologie. Il en résulte que les instances compétentes de l'ordre des chirurgiens-dentistes ne peuvent refuser l'inscription au tableau de l'ordre d'une société d'exercice libéral que si les statuts de cette société ne sont pas conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'exercice de la profession ou si ces statuts ou, le cas échéant, des accords passés entre les associés ou des engagements contractés par la société avec des tiers sont susceptibles de conduire les professionnels qui y exercent à méconnaître les règles de la profession.
6. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, d'une part, qu'un chirurgien-dentiste exerçant à titre libéral peut, après autorisation du conseil de l'ordre, exercer une activité complémentaire sur un site distinct de la résidence professionnelle au titre de laquelle il est inscrit au tableau de l'ordre. Il résulte également de ces dispositions, d'autre part, que, lorsqu'il exerce son activité principale au sein d'une société d'exercice libéral dont il est l'associé, le chirurgien-dentiste, s'il peut exercer au sein d'un cabinet secondaire de cette société si cette dernière a obtenu l'autorisation prévue par l'article R. 4113-24 de la santé publique cité au point 3, peut également créer une autre société d'exercice libéral sous réserve de respecter les conditions encadrant l'exercice sur un site distinct prévues par l'article R. 4127-270 du code de la santé publique cité au point 4, les autorités ordinales, saisies d'une demande d'inscription au tableau de l'ordre d'une telle société d'exercice libéral devant, si ces conditions ne sont pas réunies, refuser son inscription au tableau de l'ordre.
7. Il ressort des termes mêmes de la décision du conseil régional d'Ile-de-France de l'ordre des chirurgiens-dentistes, suffisamment motivée et dont le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, en rejetant implicitement le recours formé par Mme C... contre cette décision, s'est approprié les motifs, que, pour rejeter la demande d'inscription au tableau de l'ordre de la SELARL des docteurs C... et D..., les autorités ordinales ont estimé que cette inscription conduirait Mme C..., déjà associée et exerçant dans une société d'exercice libéral, à exercer sur un site distinct alors que les conditions d'autorisation d'un tel exercice, mentionnées à l'article R. 4127-270 du code de la santé publique cité au point 4, n'étaient pas réunies dans la mesure où Mme C... ne démontrait pas une carence ou une insuffisance de l'offre dans le secteur géographique de l'un des cabinets et où elle ne faisait pas état de soins qui nécessiteraient un environnement adapté ou l'utilisation d'équipements particuliers. Le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, qui n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article R. 4127-270 du code de la santé publique ni entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en se fondant en outre sur le caractère suffisant de l'offre de soins dans le département des Hauts-de-Seine, en a exactement déduit, eu égard à ce qui a été dit au point 6, qu'il ne pouvait être fait droit à la demande d'inscription au tableau de la SELARL des docteurs C... et D....
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes tirée du défaut d'intérêt donnant qualité pour agir de Mme C..., que cette dernière n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision de ce Conseil national qu'elle attaque.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C... une somme de 3 000 euros à verser au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Mme C... versera au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A... C... et au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.
Copie en sera adressée à la ministre de la santé et de l'accès aux soins.