Vu la procédure suivante :
Les sociétés Routière de Haute-Corse et Corse Travaux ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la chambre de commerce et d'industrie de Corse, venant aux droits et obligations de la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse, à leur payer la somme de 712 353,53 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts moratoires avec capitalisation de ces intérêts, au titre du solde d'un marché public de travaux. Par un jugement n° 1901709 du 11 mai 2022, le tribunal administratif de Bastia a condamné la chambre de commerce et d'industrie à payer à ces deux sociétés la somme de 332 836,92 euros toutes taxes comprises, avec intérêts moratoires à compter du 16 décembre 2019 et capitalisation.
Par un arrêt n° 22MA01954 du 27 novembre 2023, la cour administrative d'appel de Marseille, saisie d'un appel principal de la chambre de commerce et d'industrie de Haute-Corse et d'un appel incident des sociétés Routière de Haute-Corse et Corse Travaux, a ramené le montant toutes taxes comprises de la condamnation prononcée de 332 836,92 euros à 22 791,44 euros, avec intérêts moratoires à compter du 16 décembre 2019 et capitalisation, et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 29 janvier et 23 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Routière de Haute-Corse et Corse Travaux demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il leur fait grief ;
2°) de mettre à la charge de la chambre de commerce et d'industrie de Corse la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Céline Boniface, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Routière de Haute-Corse et de la société Corse Travaux et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de la chambre de commerce de Bastia et de la Haute-Corse ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un contrat conclu le 30 octobre 2009, la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse, aux droits et obligations de laquelle vient la chambre de commerce et d'industrie de Corse, a confié à un groupement solidaire constitué de la société Routière de Haute-Corse, mandataire, et de la société Corse Travaux, un marché public de travaux ayant pour objet la mise aux normes de l'aéroport de Bastia-Saint-Exupéry, dont la maîtrise d'œuvre était assurée par la société Ingerop. Après la réception des travaux, les sociétés ont saisi le tribunal administratif de conclusions tendant à la condamnation de la chambre de commerce et d'industrie à leur payer la somme de 712 353,53 euros toutes taxes comprises au titre du solde du marché. Le tribunal administratif de Bastia a partiellement fait droit à leur demande, en condamnant la chambre de commerce et d'industrie à payer la somme de 332 836,92 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts moratoires à compter du 16 décembre 2019 et de leur capitalisation. La société Routière de Haute-Corse et la société Corse Travaux se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 27 novembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a ramené cette somme à 22 791,44 euros.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 13.33 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, dans son édition de 1976, qui est au nombre des pièces contractuelles du marché en application du B de l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières : " 13.31. Après l'achèvement des travaux, l'entrepreneur, concurremment avec le projet de décompte afférent au dernier mois de leur exécution ou à la place de ce projet, dresse le projet du décompte final établissant le montant total des sommes auxquelles il peut prétendre du fait de l'exécution du marché dans son ensemble, les évaluations étant faites en tenant compte des prestations réellement exécutées. / (...) 13.32. Le projet de décompte final est remis au maître d'œuvre dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux (...) 13.33. L'entrepreneur est lié par les indications figurant au projet de décompte final, sauf sur les points ayant fait l'objet de réserves antérieures de sa part, ainsi que sur le montant définitif des intérêts moratoires. / 13.34. Le projet de décompte final établi par l'entrepreneur est accepté ou rectifié par le maître d'œuvre ; il devient alors le décompte final. / 13.4. Décompte général - Solde : / 13.41. Le maître d'œuvre établit le décompte général qui comprend : / Le décompte final défini au 34 du présent article ; / L'état du solde établi, à partir du décompte final et du dernier décompte mensuel, dans les mêmes conditions que celles qui sont définies au 21 du présent article pour les acomptes mensuels ; / La récapitulation des acomptes mensuels et du solde. / Le montant du décompte général est égal au résultat de cette dernière récapitulation. (...) ".
3. Il ressort des termes mêmes de l'arrêt attaqué que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, la cour n'a pas jugé irrecevables leurs conclusions tendant à la condamnation de la chambre de commerce et d'industrie à leur payer les sommes demandées au titre de la situation n° 6, correspondant au dernier mois d'exécution du marché, faute pour cette dernière d'avoir fait l'objet d'une notification distincte et préalable à celle du projet de décompte final mais au motif, exempt d'erreur de droit, que le projet de décompte final, qui intégrait ces sommes, n'avait pas été adressé au maître d'œuvre, conformément aux stipulations citées au point 2.
4. En second lieu, aux termes du III de l'article 18 du code des marchés publics alors en vigueur, repris en substance aux articles R. 2112-10 et R. 2112-11 du code de la commande publique : " III.- Un prix ferme est un prix invariable pendant la durée du marché. Toutefois, il est actualisable dans les conditions définies ci-dessous. (...) Lorsqu'un marché est conclu à prix ferme pour des fournitures ou services autres que courants ou pour des travaux, il prévoit les modalités d'actualisation de son prix. Il précise notamment : / 1° Que ce prix sera actualisé si un délai supérieur à trois mois s'écoule entre la date à laquelle le candidat a fixé son prix dans l'offre et la date de début d'exécution des prestations (...) ".
5. Il résulte des dispositions précitées que le contrat conclu à prix ferme doit comporter une clause d'actualisation du prix, applicable lorsqu'un délai supérieur à trois mois s'écoule entre la date à laquelle le candidat a fixé son prix dans l'offre et la date de début d'exécution des prestations. Dans le cas où une négociation a eu lieu entre l'acheteur public et le candidat, c'est la date à laquelle ce dernier a remis, après négociation, son offre finale qui doit être regardée comme la date de fixation du prix de l'offre au sens de ces dispositions. Il n'en va différemment que lorsque la négociation ne pouvant porter sur le prix, c'est la dernière offre remise par le candidat avant négociation qui, étant ainsi ferme sur le prix, doit être regardée comme date de fixation du prix de l'offre au sens de ces dispositions.
6. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en calculant, pour l'application des dispositions précitées de l'article 18 du code des marchés publics, le délai de trois mois à compter de la date de remise de l'offre définitive du groupement candidat, la cour, qui n'a pas dénaturé les pièces du dossier en retenant la date du 7 octobre 2009, qui était celle de la signature par le mandataire du groupement de l'acte d'engagement contenant son offre finale après négociation, n'a pas commis d'erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêt qu'elles attaquent.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des sociétés Routière de Haute-Corse et Corse Travaux la somme de 1 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la chambre de commerce et d'industrie de Corse qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi des sociétés Routière de Haute-Corse et Corse Travaux est rejeté.
Article 2 : Les sociétés Routière de Haute-Corse et Corse Travaux verseront à la chambre de commerce et d'industrie de Corse une somme de 1 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Routière de Haute-Corse, premier requérant dénommé et à la chambre de commerce et d'industrie de Corse.