Vu la procédure suivante :
Par trois mémoires distincts, enregistrés les 1er août, 9 et 12 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. A... B... demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 11 juin 2024 portant nomination de présidents de tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 112-5, L. 232-1, L. 232-4, L. 232-5, L. 232-6, L. 232-7 et L. 234-2 du code de justice administrative.
Il soutient que les dispositions de ces articles, applicables au litige, méconnaissent les articles 5 et 13 de la Constitution, les principes d'égalité devant la loi et d'égal accès aux emplois publics garantis par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ainsi que les principes d'indépendance et d'impartialité indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles résultant de l'article 16 de cette même Déclaration, dès lors qu'elles prévoient que le Président de la République ne peut promouvoir au grade de président que les membres du corps des magistrats des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel préalablement inscrits sur un tableau d'avancement établi par le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, lequel ne rend pas des décisions conformes à ces principes du fait de sa composition incluant le vice-président du Conseil d'Etat, le président de la mission d'inspection des juridictions administratives, le secrétaire général du Conseil d'Etat et le secrétaire général des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, lesquels participent à la gestion de la carrière de ces magistrats.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- l'ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aurélien Caron, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article L. 112-5 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat est chargé d'une mission permanente d'inspection à l'égard des juridictions administratives ". Aux termes de l'article L. 232-1 du même code : " Le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel connaît des questions individuelles intéressant les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel dans les conditions prévues par le présent article ou par un décret en Conseil d'Etat. / Il établit les tableaux d'avancement et les listes d'aptitude prévus aux articles L. 234-2-1, L. 234-2-2, L. 234-4 et L. 234-5. (...) ". Aux termes de l'article L. 232-4 du même code : " Le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel est présidé par le vice-président du Conseil d'Etat et comprend en outre : / 1° Le conseiller d'Etat, président de la mission d'inspection des juridictions administratives ; / 2° Le secrétaire général du Conseil d'Etat ; / 3° Le directeur chargé au ministère de la justice des services judiciaires ; / 4° Un chef de juridiction et un suppléant élus par leurs pairs ; / 5° Cinq représentants des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel à l'exception de ceux détachés dans le corps depuis moins de deux ans, élus au scrutin proportionnel de liste à raison : / a) D'un représentant titulaire et d'un suppléant pour le grade de conseiller ; / b) De deux représentants titulaires et de deux suppléants pour le grade de premier conseiller ; / c) De deux représentants titulaires et de deux suppléants pour le grade de président ; / 6° Trois personnalités choisies pour leurs compétences dans le domaine du droit en dehors des membres du Conseil d'Etat et des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et qui n'exercent pas de mandat parlementaire nommées respectivement par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat. (...) ". Aux termes de l'article L. 232-5 du même code : " En cas d'empêchement du vice-président du Conseil d'Etat, la présidence est assurée de plein droit par le conseiller d'Etat, président de la mission d'inspection des juridictions administratives. En cas d'empêchement de ce dernier, la présidence est assurée par le secrétaire général du Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes de l'article L. 232-6 du même code : " Le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel siège toujours dans la même composition, quel que soit le grade des magistrats dont le cas est examiné. / Lorsque le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel siège au titre des compétences qu'il tient de l'article L. 232-1, la voix du président est prépondérante en cas de partage égal des voix ". Aux termes de l'article L. 232-7 du même code : " Un secrétaire général des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel est nommé parmi les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sur proposition du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel. Pendant l'exercice de ses fonctions, il ne peut bénéficier d'aucun avancement autre qu'à l'ancienneté. Il exerce ses fonctions pour une durée qui ne peut excéder cinq ans. / Il a pour mission notamment : / 1° D'assurer le secrétariat du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel ; / 2° Auprès du secrétaire général du Conseil d'Etat de participer à la mission de gestion des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ". Aux termes de l'article L. 234-2 du même code : " Les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont promus de grade à grade par décret du Président de la République après inscription sur un tableau d'avancement. / Ce tableau est établi par le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, compte tenu des compétences, des aptitudes et des mérites des intéressés, tels qu'ils résultent notamment des évaluations prévues par l'article L. 234-7 et des avis motivés émis par le président de leur juridiction. Les magistrats sont inscrits au tableau par ordre de mérite (...) ".
3. Aux termes de l'article 5 de la Constitution : " Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat. / Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités ". Aux termes de l'article 13 de la Constitution : " Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres. / Il nomme aux emplois civils et militaires de l'Etat. / Les conseillers d'Etat, le grand chancelier de la Légion d'honneur, les ambassadeurs et envoyés extraordinaires, les conseillers maîtres à la Cour des comptes, les préfets, les représentants de l'Etat dans les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 et en Nouvelle-Calédonie, les officiers généraux, les recteurs des académies, les directeurs des administrations centrales, sont nommés en Conseil des ministres. / Une loi organique détermine les autres emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres ainsi que les conditions dans lesquelles le pouvoir de nomination du Président de la République peut être par lui délégué pour être exercé en son nom. (...) ". Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l'Etat : " L'exercice du pouvoir de nomination aux emplois civils et militaires de l'Etat autres que ceux prévus à l'article 13 (par. 3) de la Constitution et aux articles 1er et 2 ci-dessus peut être délégué au Premier ministre par décret du Président de la République en vertu des articles 13 (par. 4) et 21 (par. 1er) de la Constitution ".
4. En premier lieu, M. B... soutient qu'en ce qu'elles prévoient que le Président de la République ne peut promouvoir au grade de président que les premiers conseillers du corps des magistrats des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel dont les noms figurent sur le tableau d'avancement établi par le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel (CSTACAA), les dispositions du code de justice administrative rappelées au point 2 ci-dessus méconnaitraient la place du Président de la République dans l'organisation des pouvoirs constitutionnels et l'empêcheraient de veiller au bon fonctionnement des pouvoirs publics, en particulier au respect, par le Conseil supérieur, du principe d'égalité devant la loi lors de l'établissement des tableaux d'avancement pour la promotion de grade à grade au sein du corps, et seraient ainsi contraires aux articles 5 et 13 de la Constitution ainsi qu'à l'article 3 de l'ordonnance du 28 novembre 1958.
5. Toutefois, les dispositions de l'article 13 de la Constitution n'instituent pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit au sens et pour l'application de son article 61-1 et de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et ne peuvent dès lors être invoquées à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité. Il en va de même des règles posées à l'article 5 de la Constitution. Enfin, l'ordonnance du 28 novembre 1958, qui n'a pas valeur constitutionnelle, n'est pas invocable à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.
6. En deuxième lieu, M. B... soutient que les dispositions combinées des articles du code de justice administrative rappelées au point 2 ci-dessus méconnaissent les principes d'indépendance et d'impartialité indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 au motif qu'elles prévoient que le vice-président du Conseil d'Etat, le secrétaire général du Conseil d'Etat, le conseiller d'Etat président de la mission d'inspection des juridictions administratives ainsi que le secrétaire général des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel prennent part à l'élaboration des propositions soumises au CSTACAA et au vote conduisant à l'adoption des tableaux d'avancement pour la promotion de grade à grade au sein du corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, alors qu'ils participent à la gestion de la carrière des magistrats administratifs.
7. Toutefois, les attributions, les règles de fonctionnement et la composition du CSTACAA résultant des dispositions des articles L. 232-1, L. 232-4, L. 232-5, L. 232-6, L. 232-7 et L. 234-2 du code de justice administrative citées au point 2 ci-dessus, concourent à garantir l'indépendance et l'impartialité de la juridiction administrative. La circonstance que l'article L. 232-4, relatif à la composition du CSTACAA, prévoit qu'il comprend, parmi ses treize membres, le vice-président du Conseil d'Etat, en qualité de président, le conseiller d'Etat, président de la mission d'inspection des juridictions administratives mentionnée à l'article L. 112-5 de ce code et le secrétaire général du Conseil d'Etat, alors qu'ils disposent de prérogatives sur la gestion du corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, n'est en rien de nature à porter atteinte à l'indépendance des membres de ce corps ou à faire obstacle à ce que leur promotion de grade à grade, dans les conditions prévues à l'article L. 234-2 du même code, soit assurée dans le respect du principe d'impartialité. Il en va de même pour l'article L. 232-7 de ce code qui prévoit que le secrétaire général des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel assure le secrétariat du CSTACAA. Au demeurant, quelles que soient les prérogatives du vice-président du Conseil d'État sur la nomination ou la carrière des membres de la juridiction administrative, les garanties statutaires reconnues à ces derniers aux titres troisièmes des livres premier et deuxième du code de justice administrative assurent leur indépendance à son égard. Par suite, le grief tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient les principes d'indépendance et d'impartialité indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles consacrés par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ne soulève pas une question sérieuse.
8. En troisième et dernier lieu, si le principe d'égal accès aux emplois publics, et en particulier l'égalité de traitement entre les membres du corps des magistrats des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel dans le déroulement de leur carrière, qui découle de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, impose que, dans leur nomination et leur promotion, il ne soit tenu compte que de leurs capacités, de leurs vertus et de leurs talents, les dispositions de l'article L. 234-2 du code de justice administrative rappelées au point 2 ci-dessus, lesquelles s'appliquent de manière identique à l'ensemble des magistrats administratifs, ont précisément pour objet de garantir le respect de ces principes en prévoyant que le tableau d'avancement de grade à grade au sein du corps est établi par le CSTACAA en tenant compte des compétences, des aptitudes et des mérites des intéressés, et que les magistrats sont inscrits sur ce tableau par ordre de mérite. Dès lors, le grief tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égal accès aux emplois publics ne présente pas un caractère sérieux.
9. Il résulte de tout ce qui précède que les questions, soulevées par M. B..., relatives à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 112-5, L. 232-1, L. 232-4, L. 232-5, L. 232-6, L. 232-7 et L. 234-2 du code de justice administrative et de leur combinaison, qui ne sont pas nouvelles, ne présentent pas de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. B....
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre la justice.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au secrétaire général du Conseil d'Etat.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 octobre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray, Mme Catherine Brouard-Gallet, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Vincent Mazauric, conseillers d'Etat, Mme Thalia Breton, maîtresse des requêtes et M. Aurélien Caron, maître des requêtes-rapporteur
Rendu le 30 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Aurélien Caron
La secrétaire :
Signé : Mme Anna Bahnini