Vu les procédures suivantes :
1° Par une requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 26 janvier 2023, l'association FNATH, association des accidentés de la vie, demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de santé et de la prévention et le ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées ont rejeté sa demande tendant à la modification de l'article R. 341-17 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du 13° du I de l'article 1er du décret n° 2022-257 du 23 février 2022 relatif au cumul de la pension d'invalidité avec d'autres revenus et modifiant diverses dispositions relatives aux pensions d'invalidité, en tant qu'il régit la situation des personnes invalides dont les revenus excèdent le plafond annuel de la sécurité sociale ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Par une requête et par un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 26 janvier 2023 et 2 février 2024, l'association FNATH, association des accidentés de la vie, demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-684 du 28 juillet 2023 portant relèvement du plafonnement du salaire de comparaison en cas de cumul de la pension d'invalidité avec d'autres revenus ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;
- la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 ;
- la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale : " L'assuré a droit à une pension d'invalidité lorsqu'il présente une invalidité réduisant dans des proportions déterminées sa capacité de travail ou de gain, c'est-à-dire le mettant hors d'état de se procurer un salaire supérieur à une fraction de la rémunération soumise à cotisations et contributions sociales qu'il percevait dans la profession qu'il exerçait avant la date de l'interruption de travail suivie d'invalidité ou la date de la constatation médicale de l'invalidité. " L'article L. 341-4 du même code dispose qu'" En vue de la détermination du montant de la pension, les invalides sont classés comme suit : / 1°) invalides capables d'exercer une activité rémunérée ; / 2°) invalides absolument incapables d'exercer une profession quelconque ; / 3°) invalides qui, étant absolument incapables d'exercer une profession, sont, en outre, dans l'obligation d'avoir recours à l'assistance d'une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie. " Aux termes de l'article L. 341-12 de ce code dans sa rédaction résultant du V de l'article 110 de la loi du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022 : " Le service de la pension peut être suspendu en tout ou partie en cas de reprise du travail, en raison des revenus d'activité et de remplacement de l'intéressé, au-delà d'un seuil et dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ".
2. Dans sa rédaction résultant du décret du 23 février 2022 relatif au cumul de la pension d'invalidité avec d'autres revenus et modifiant diverses dispositions relatives aux pensions d'invalidité, le I de l'article R. 341-17 du code de la sécurité sociale prévoit qu'en cas de reprise d'activité par la personne invalide, le service de la pension est suspendu en tout ou partie, en cas de dépassement d'un seuil. Ce seuil correspond au montant le plus élevé entre d'une part le salaire annuel moyen défini à l'article R. 341-4 du même code, c'est-à-dire, par défaut, celui correspondant aux dix années civiles d'assurance dont la prise en considération est la plus avantageuse pour l'assuré, et d'autre part le salaire annuel moyen de l'année civile précédant l'arrêt de travail suivi d'invalidité, dans la limite du montant annuel du plafond de la sécurité sociale mentionné à l'article L. 241-3 du même code alors en vigueur. En vertu du II du même article, lorsque le montant cumulé de la pension d'invalidité et des revenus d'activité et de remplacement de l'intéressé excède, sur une période de référence, le seuil précité, le montant des arrérages mensuels servis est réduit à hauteur d'un douzième de 50 % du montant du dépassement constaté. Sous le numéro 470840, l'association FNATH, association des accidentés de la vie demande l'annulation pour excès de pouvoir du refus implicite né du silence opposé par le ministre de la santé et de la prévention et par le ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées à sa demande tendant à la modification de l'article R. 341-17 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant du décret du 23 février 2022, en tant qu'il régit la situation des personnes invalides dont les revenus excèdent le plafond de la sécurité sociale et qui ont vu le versement de leur pension d'invalidité suspendu sous l'effet de ces nouvelles dispositions.
3. Le décret du 28 juillet 2023 portant relèvement du plafonnement du salaire de comparaison en cas de cumul de la pension d'invalidité avec d'autres revenus a relevé la limite prévue au 2° du I de l'article R. 341-17 mentionnée au point précédent, en la portant du plafond annuel de la sécurité sociale à une fois et demie ce plafond. Sous le numéro 488538, l'association FNATH, association des accidentés de la vie demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
4. Les deux requêtes présentant à juger des questions semblables, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur le décret du 28 juillet 2023 :
5. Ainsi qu'il a été dit au point 3, le décret du 28 juillet 2023 a relevé la limite prévue au 2° du I de l'article R. 341-17 du code de la sécurité sociale, en la portant du plafond annuel de la sécurité sociale à une fois et demie ce plafond, dans le but de limiter les suspensions de versement de pension d'invalidité résultant de la mise en œuvre des dispositions de cet article telles qu'elles résultaient du décret du 23 février 2022.
6. D'une part, ces nouvelles dispositions de l'article R. 314-17 du code de la sécurité sociale n'ayant que des conséquences favorables pour les personnes dont le versement de la pension avait été suspendu en application des dispositions de cet article dans leur rédaction résultant du décret du 23 février 2022, l'association requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que ces nouvelles dispositions, qui n'ont pas de caractère rétroactif, méconnaîtraient le droit à la protection des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe de sécurité juridique, présenteraient un caractère confiscatoire ou méconnaîtraient l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ou le principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques au détriment de ces personnes.
7. D'autre part, dès lors qu'elle ne critique pas la conformité du décret attaqué aux dispositions de l'article L. 341-12 du code de la sécurité sociale, l'association requérante ne peut utilement se fonder, pour contester la légalité de ce décret, sur l'intention du législateur telle qu'elle résulterait des travaux préparatoires à la loi du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020, qui a réformé l'article L. 341-12 du code de la sécurité sociale.
8. Il résulte de ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation du décret du 28 juillet 2023.
Sur le décret du 23 février 2022 :
9. Les intervenants justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête. Leurs interventions sont, par suite, recevables.
10. L'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date. Lorsque, postérieurement à l'introduction d'une requête dirigée contre un refus de modifier des dispositions à caractère réglementaire, l'autorité qui a pris le règlement litigieux procède à sa modification, le litige né de ce refus perd son objet. Il en va toutefois différemment lorsque cette modification est de pure forme. Il n'y a plus lieu de statuer, en revanche, sur la légalité de dispositions ayant fait l'objet de modifications qui ne sont pas de pure forme.
11. Ainsi qu'il a été dit au point 3, le décret du 28 juillet 2023, devenu définitif du fait du rejet des conclusions tendant à son annulation, a modifié les conditions dans lesquelles est calculé le seuil prévu au 2° du I de l'article R. 341-17 du code de la sécurité sociale. Il n'y a dès lors plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à la modification de ces dispositions dans leur rédaction antérieure, issue du 13° du I de l'article 1er du décret du 23 février 2022.
Sur les frais des instances :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de Mme A..., M. H..., M. D... et Mme B... sont admises.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions portant sur le décret du 23 février 2022.
Article 3 : Le surplus des conclusions de l'association FNATH, association des accidentés de la vie est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association FNATH, association des accidentés de la vie, au Premier ministre, à la ministre de la santé et de l'accès aux soins, au ministre des solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes, à Mme G... A..., à M. C... H..., à M. F... D..., à Mme E... B... et à la Défenseure des droits.