Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 2 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les deuxième et troisième alinéas de l'article 4, le deuxième alinéa de l'article 6, les deuxième à quatrième alinéa et le huitième alinéa de l'article 10, les articles 19, 24 et 35, le deuxième alinéa de l'article 42, ainsi que les articles 43, 44 et 46 à 49 du décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler pour excès de pouvoir ce même décret dans son ensemble ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer sur ses conclusions dirigées contre le huitième alinéa de l'article 10 du décret attaqué et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur les articles 101 à 106 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ainsi que l'article 24 paragraphe 1 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 12 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur ;
- le code de commerce ;
- le code de procédure civile ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;
- le décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., avocat inscrit au barreau de Marseille, demande l'annulation pour excès de pouvoir des deuxième et troisième alinéas de l'article 4, du deuxième alinéa de l'article 6, des deuxième à quatrième alinéas et du huitième alinéa de l'article 10, des articles 19, 24 et 35, du deuxième alinéa de l'article 42, ainsi que des articles 43, 44 et 46 à 49 du décret du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats.
Sur les interventions de l'association Le Grand Barreau de France et du " barreau de Provence et de la Méditerranée - EUTOPIA " :
2. L'association Le Grand Barreau de France justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué. Ainsi, son intervention est recevable. En revanche, le " barreau de Provence et de la Méditerranée - EUTOPIA " ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour intervenir au soutien d'un recours tendant à l'annulation de ce même décret. Son intervention est, par suite, irrecevable.
Sur les dispositions du deuxième alinéa de l'article 6, du huitième alinéa de l'article 10, des articles 19 et 35, du deuxième alinéa de l'article 42 ainsi que des articles 43, 44 et 46 à 49 du décret :
3. Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 6 du décret attaqué se bornent à reproduire les dispositions de l'article 6 du décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat. Les conclusions tendant à leur annulation doivent, donc, être rejetées comme tardives. Il en va de même s'agissant des conclusions dirigées contre le huitième alinéa de l'article 10, contre les articles 19 et 35, contre le deuxième alinéa de l'article 42 et contre les articles 43, 44 et 46 à 49 du décret attaqué, qui sont la reproduction respectivement du dernier alinéa de l'article 10 du décret du 12 juillet 2005 précité, de l'article 19 du même décret, de l'article 123 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, de l'article 21 du décret du 12 juillet 2005 et des articles 154, 163 et 170 à 173 du décret du 27 novembre 1991.
Sur les autres dispositions du décret :
En ce qui concerne les moyens mettant en cause la légalité de l'ensemble du décret :
4. En premier lieu, il ressort de la copie de la minute de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat, versée au dossier par le garde des sceaux, que le texte publié ne comporte pas de dispositions qui différeraient à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par le Conseil d'Etat. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret ne peut qu'être écarté.
5. En second lieu, il résulte des termes de l'article 22 de la Constitution que les actes du Premier ministre sont contresignés par les ministres chargés de leur exécution. Ainsi, le contreseing d'un décret n'est requis que des ministres compétents pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles d'exécution découlant de ce texte. Contrairement à ce que soutient le requérant, la seule circonstance que le décret attaqué renvoie, à son article 52, qui modifie l'article 277-1 du décret du 27 novembre 1991 précité, à des dispositions du code général des impôts et introduise, à ses articles 39 à 41, des dispositions relatives à l'" avocat salarié " ne rend pas les contreseings des ministres chargés de l'économie, des finances et des comptes publics ainsi que du ministre du chargé du travail nécessaires, dès lors qu'il résulte des termes mêmes de ce texte qu'aucune mesure réglementaire ou individuelle d'exécution ne leur incombe. Le moyen tiré du défaut de contreseing de ces ministres doit, par suite, être écarté.
En ce qui concerne les moyens dirigés contre certains articles du décret :
6. En premier lieu, aux termes de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : " En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel. (...) ".
7. Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article 4 du décret attaqué : " Le secret professionnel de l'avocat est d'ordre public, absolu, général et illimité dans le temps. / L'avocat ne peut en être relevé par son client ni par quelque autorité ou personne que ce soit, sauf dans les cas prévus par la loi ". Contrairement à ce que soutient le requérant, ces dispositions, qui se bornent à préciser les exigences découlant du secret professionnel, inhérent à la profession d'avocat, qu'impose l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 précité, et ne font pas obstacle à ce que le client lève de sa propre initiative le secret auquel son avocat est tenu, n'ont ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la liberté contractuelle des avocats et de leurs clients. Dès lors, le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire aurait méconnu, pour ce motif, le domaine de la loi doit être écarté.
8. En deuxième lieu, aux termes des deuxième à quatrième alinéas de l'article 10 du décret attaqué : " Sauf en cas d'urgence ou de force majeure ou lorsqu'il intervient au titre de l'aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, l'avocat conclut par écrit avec son client une convention d'honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés. / Les honoraires tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences accomplies. / Toute fixation d'honoraires qui ne le serait qu'en fonction du résultat judiciaire est interdite. Est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu ".
9. En se bornant à reprendre les dispositions des troisième à cinquième alinéas de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 précitée, ces alinéas de l'article 10 du décret attaqué n'ont pu, contrairement à ce que soutient le requérant, porter une atteinte non prévue par le législateur aux principes de légalité des délits et de respect des droits de la défense.
10. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 24 du décret attaqué : " L'avocat qui est élu aux fonctions de membre du conseil de surveillance d'une société commerciale ou d'administrateur d'une société commerciale, sauf lorsque ces fonctions sont exercées dans une société relevant de la catégorie des entités mentionnées au premier alinéa de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée, doit en informer par écrit le conseil de l'ordre dont il relève dans un délai de quinze jours à compter de la date de son élection. / Il joint à sa déclaration un exemplaire des statuts et, lorsque la société a au moins une année d'activité, une copie du dernier bilan. Il est délivré à l'avocat un récépissé de sa déclaration. / Le conseil de l'ordre demande à l'avocat de fournir toutes explications sur les conditions dans lesquelles il exerce ses fonctions de membre du conseil de surveillance ou d'administrateur de société commerciale et de fournir, le cas échéant, tous documents utiles ".
11. Aux termes de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : " Dans le respect de l'indépendance de l'avocat, de l'autonomie des conseils de l'ordre et du caractère libéral de la profession, des décrets en Conseil d'Etat fixent les conditions d'application du présent titre. / Ils présentent notamment : / 1° Les conditions d'accès à la profession d'avocat ainsi que les incompatibilités, les conditions d'inscription au tableau et d'omission du tableau et les conditions d'exercice de la profession dans les cas prévus aux articles 6 à 8-1 ". Le deuxième alinéa de l'article 6 de cette même loi dispose que les avocats " peuvent, s'ils justifient de sept années d'exercice d'une profession juridique réglementée, remplir les fonctions de membre du conseil de surveillance d'une société commerciale ou d'administrateur de société. Le conseil de l'ordre peut accorder une dispense d'une partie de cette durée ".
12. D'une part, il résulte des dispositions législatives citées au point 11 qu'elles confient au pouvoir réglementaire le soin d'encadrer et de préciser les conditions d'exercice de la profession d'avocat, en ce qui concerne en particulier les incompatibilités. Par suite, le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire aurait méconnu le domaine de la loi en édictant l'article 24 du décret attaqué doit être écarté.
13. D'autre part, en précisant, par ces dispositions de l'article 24, les conditions dans lesquelles les avocats peuvent exercer les fonctions de membre du conseil de surveillance ou d'administrateur d'une société commerciale et en prévoyant, dans ce cadre, qu'il leur appartient d'en informer le conseil de l'ordre dont ils relèvent, le pouvoir réglementaire a tiré les conséquences de l'article 17 de la loi du 31 décembre 1971 attribuant au conseil de l'ordre le soin de " traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession et de veiller à l'observation des devoirs des avocats ainsi qu'à la protection de leurs droits (...) ". Ce faisant, il n'a, contrairement à ce que soutient le requérant, pas porté d'atteinte excessive à la liberté d'entreprendre au regard des objectifs d'intérêt général poursuivis et eu égard à la simple obligation d'information du conseil de l'ordre qu'il instaure.
14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation du décret qu'il attaque. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par suite, être également rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de l'association Le Grand Barreau de France est admise.
Article 2 : L'intervention du " barreau de Provence et de la Méditerranée - EUTOPIA " n'est pas admise.
Article 3 : La requête de M. B... est rejetée.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice, à l'association Le Grand Barreau de France et au " barreau de Provence et de la Méditerranée - EUTOPIA ".
Délibéré à l'issue de la séance du 19 septembre 2024 où siégeaient : M. Cyril Roger-Lacan, assesseur, présidant ; M. Stéphane Hoynck, conseiller d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 18 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Cyril Roger-Lacan
Le rapporteur :
Signé : M. Cédric Fraisseix
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo