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16/10/2024 | FRANCE | N°472016

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 16 octobre 2024, 472016


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 mars et 8 juin 2023 et le 26 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs (CAAP) demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction n° DSS/5B/DGCA/2023/6 du 12 janvier 2023 relative aux revenus tirés d'activités artistiques relevant de l'article L. 382-3 du code de la sécurité sociale ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 mars et 8 juin 2023 et le 26 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs (CAAP) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction n° DSS/5B/DGCA/2023/6 du 12 janvier 2023 relative aux revenus tirés d'activités artistiques relevant de l'article L. 382-3 du code de la sécurité sociale ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts ;

- le code de la propriété intellectuelle ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code du travail ;

- le décret n° 62-420 du 11 avril 1962 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret n° 2020-1095 du 28 août 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique

- le rapport de M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, Goulet, avocat du Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs (CAAP) et à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de la ministre de la culture ;

Considérant ce qui suit :

1. Sur le fondement de l'article L. 382-3 du code de la sécurité sociale, en vertu duquel les revenus des artistes auteurs d'œuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques, graphiques et plastiques, ainsi que photographiques, tirés de leur activité d'auteur à titre principal ou à titre accessoire, sont assujettis aux cotisations de sécurité sociale dans les mêmes conditions que des salaires sous réserve de certaines adaptations, l'article 1er du décret du 28 août 2020 relatif à la nature des activités et des revenus des artistes-auteurs et à la composition du conseil d'administration de tout organisme agréé prévu à l'article R. 382-2 du code de la sécurité sociale définit, aux articles R. 382-1, R. 382-1-1 et R. 382-1-2 du code de la sécurité sociale, la nature des activités artistiques et des revenus tirés de ces activités perçus à titre principal ou accessoire pour le calcul des cotisations de sécurité sociales dues par les artistes-auteurs. Le Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction du 12 janvier 2023 relative aux revenus tirés d'activités artistiques relevant de l'article L. 382-3 du code de la sécurité sociale adressée par les ministres chargés de la sécurité sociale et de la culture au directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et au directeur de l'organisme agréé " La Sécurité sociale des artistes auteurs ".

Sur la fin de non-recevoir opposée par la ministre de la culture :

2. Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices.

3. Il appartient au juge d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris en vue de la mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure.

4. L'instruction litigieuse rappelle les dispositions applicables aux artistes-auteurs en matière de sécurité sociale, détaille les revenus artistiques qui permettent l'affiliation en tant qu'artiste-auteur et les principes de leur assujettissement et apporte des précisions complémentaires quant à certains cas particuliers. Elle détaille en annexe les revenus artistiques principaux et accessoires dans une nomenclature servant de base notamment à l'interface déclarative des artistes-auteurs et des diffuseurs mise en place par le réseau des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF). Ces différents éléments, destinés à éclairer les organismes chargés du recouvrement des cotisations sociales des artistes-auteurs, sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes, notamment les artistes-auteurs eux-mêmes et les diffuseurs, que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Par suite, contrairement à ce que soutient la ministre de la culture, l'instruction attaquée peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

Sur la légalité externe :

5. D'une part, aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / 1° (...) les directeurs d'administration centrale (...) ; 2° Les chefs de service, directeurs-adjoints (...) ".

6. Il résulte de ces dispositions que M. C... A..., nommé directeur général de la création artistique par un décret du 3 février 2021, publié au Journal officiel de la République française du lendemain, avait qualité pour signer l'instruction attaquée au nom de la ministre de la culture et que Mme B... D..., nommée cheffe de service, adjointe au directeur de la sécurité sociale, à l'administration centrale des ministères sociaux pour une période de trois ans, à compter du 1er juillet 2022, par un arrêté du 27 juin 2022 publié au Journal officiel de la République française du 28 juin 2022, était habilitée à la signer aux noms des ministres chargés de la sécurité sociale.

7. D'autre part, le moyen tiré de ce que l'instruction attaquée empiéterait sur le domaine de la loi en étendant le champ d'application des cotisations sociales dues par les artistes-auteurs n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

8. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'instruction attaquée serait entachée d'incompétence.

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne les revenus artistiques :

9. Le premier alinéa de l'article L. 382-1 du code de la sécurité sociale dispose que : " Les artistes auteurs d'œuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques, graphiques et plastiques, ainsi que photographiques, sous réserve des dispositions suivantes, sont affiliés obligatoirement au régime général de sécurité sociale pour les assurances sociales et bénéficient des prestations familiales dans les mêmes conditions que les salariés. " L'article L. 382-3 du même code prévoit que : " Les revenus tirés de leur activité d'auteur à titre principal ou à titre accessoire par les personnes mentionnées à l'article L. 382-1 sont assujettis aux cotisations de sécurité sociale, à l'exception de celles dues au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles, dans les mêmes conditions que des salaires, sous réserve des adaptations prévues dans la présente section. / (...) Les revenus servant de base au calcul des cotisations dues au titre du présent régime sont constitués du montant brut des droits d'auteur lorsque ces derniers sont assimilés fiscalement à des traitements et salaires par le 1 quater de l'article 93 du code général des impôts. Ils sont constitués du montant des revenus imposables au titre des bénéfices non commerciaux majorés de 15 % lorsque cette assimilation n'est pas applicable ".

10. Pour l'application de ces dispositions, l'article R. 382-1 du même code dispose, dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret du 28 août 2020, que : " Sont affiliées au régime général, en application des dispositions de la présente section, les personnes mentionnées à l'article L. 382-1 qui tirent un revenu d'une ou de plusieurs activités relevant des articles L. 112-2 ou L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle et se rattachant à l'une des branches professionnelles suivantes : / 1° Branche des écrivains : / - auteurs de livres, brochures et autres écrits littéraires et scientifiques ; (...) ". Ces écrits sont, en vertu du 1° de l'article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle, considérés comme œuvres de l'esprit au sens de ce code. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 112-3 du même code : " Les auteurs de traductions, d'adaptations, transformations ou arrangements des œuvres de l'esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l'auteur de l'œuvre originale. Il en est de même des auteurs d'anthologies ou de recueils d'œuvres ou de données diverses, tels que les bases de données, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles ".

11. En premier lieu, l'administration n'est jamais tenue de prendre une circulaire pour interpréter l'état du droit existant. Par suite, le Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs ne saurait utilement soutenir que l'instruction attaquée serait illégale en tant qu'elle ne précise pas, pour l'application de l'article L. 382-3 du code de la sécurité sociale, d'autres éléments que ceux qu'elle traite.

12. En deuxième lieu, l'article R. 382-1-1 du code de la sécurité sociale, issu de l'article 1er du décret du 28 août 2020, définit les revenus regardés comme tirés des activités artistiques perçus à titre principal pour le calcul des cotisations de sécurité sociales dues par les artistes-auteurs. Il prévoit ainsi que " constituent des revenus tirés d'une ou plusieurs activités définies à l'article R. 382-1 de ce code, en contrepartie de la conception ou de la création, de l'utilisation ou de la diffusion d'une œuvre, lorsque ces activités ne sont pas exercées dans les conditions mentionnées à l'article L. 311-2 ", c'est-à-dire à titre salarié, les revenus provenant des activités dont il dresse la liste, parmi lesquels, en son 7°, les revenus provenant de " la remise d'un prix ou d'une récompense pour une œuvre ". Cette disposition n'a ni pour objet ni pour effet de déroger à la règle d'assiette fixée par l'article L. 382-3 du même code, cité au point 9, avec laquelle elle doit au contraire se combiner, selon laquelle les revenus servant de base au calcul des cotisations dues au titre du régime de sécurité sociale des artistes-auteurs sont constitués du montant des revenus imposables au titre des bénéfices non commerciaux majorés de 15 % lorsque l'assimilation fiscale à des traitements et salaires n'est pas applicable. L'instruction attaquée rappelle les dispositions fiscales prévoyant que les prix académiques attribués aux écrivains et aux artistes, à titre de récompense, constituent normalement des recettes imposables, hors les cas d'exonération d'impôt sur le revenu qu'elles prévoient de manière limitative. Dans ces cas d'exonération fiscale, l'instruction attaquée mentionne la faculté ouverte aux artistes-auteurs de renoncer à l'exonération de cotisations sociales à laquelle ils peuvent de ce fait prétendre, pour cotiser sur les revenus artistiques correspondants afin de pouvoir s'ouvrir les droits sociaux afférents. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'article 1er du décret du 28 août 2020, que l'instruction attaquée vise à mettre en œuvre, méconnaîtrait sur ce point l'article L. 382-3 du code de la sécurité sociale ou que l'instruction elle-même en méconnaîtrait, par l'interprétation qu'elle en livre, le sens ou la portée.

13. En troisième lieu, le 9° de l'article R. 382-1-1 du code de la sécurité sociale, issu de l'article 1er du décret du 28 août 2020, prévoit que constituent également des revenus artistiques principaux, tels que définis au point précédent, les revenus provenant de " la conception et de l'animation d'une collection éditoriale originale ". Il résulte certes des dispositions des articles L. 382-1 et R. 382-1 du code de la sécurité sociale citées aux points 9 et 10, définissant le champ d'application du régime de sécurité sociale des artistes-auteurs, que l'activité des directeurs de collection n'est susceptible d'entrer dans le champ de ce régime que dans la mesure où elle permet de les regarder comme auteurs ou co-auteurs des ouvrages de la collection qu'ils dirigent. Il résulte cependant des termes du 9° de l'article R. 382-1-1 du code de la sécurité sociale, que l'instruction vise à mettre en œuvre, qu'il se borne à se référer à cette seule hypothèse, donnant lieu à une rémunération en droits d'auteur, et ne méconnaît ainsi pas les articles L. 382-1 et L. 382-3 du code de la sécurité sociale en faisant figurer une telle rémunération au nombre des revenus artistiques. L'instruction attaquée ne saurait non plus être regardée comme entachée d'illégalité en ce qu'elle se borne à mentionner des éléments permettant de caractériser une telle situation, sans détailler davantage ses critères d'appréciation, s'agissant en particulier de l'originalité de la collection éditoriale en cause.

14. En dernier lieu, l'article R. 382-1-2 du code de la sécurité sociale, issu de l'article 1er du décret du 28 août 2020, définit les revenus regardés comme tirés des activités artistiques perçus à titre accessoire pour le calcul des cotisations de sécurité sociales dues par les artistes-auteurs. Le 2° de son I prévoit ainsi que constituent des revenus accessoires d'une des activités définies à l'article R. 382-1 de ce code les revenus provenant de la participation de l'artiste-auteur " à des rencontres publiques et débats " entrant dans son champ d'activité dès lors qu'il n'y réalise pas l'une des activités mentionnées au 6° de l'article R. 382-1-1 de ce code, c'est-à-dire, dans les conditions définies par cet article pour qu'elles constituent un revenu regardé comme tiré à titre principal de l'activité artistique, la lecture publique ou la présentation de son œuvre ou de son processus de création ou la dédicace. Le 4° du I du même article R. 382-1-2 prévoit que constituent également des revenus accessoires d'une des activités définies à l'article R. 382-1 de ce code " la représentation par l'artiste-auteur de son champ professionnel dans les instances de gouvernance " mentionnées au sixième alinéa de l'article L. 382-1 du même code, intervenant en matière d'affiliation au régime des artistes auteurs, et à l'article R. 6331-64 du code du travail, intervenant en matière de gestion des contributions instituées au profit de la formation professionnelle continue des artistes auteurs. Alors même que le 8° de l'article R. 382-1-1 rattache par ailleurs aux revenus tirés à titre principal de l'activité artistique ceux provenant d'un " travail de sélection ou de présélection en vue de l'attribution d'un prix ou d'une récompense à un artiste-auteur pour une ou plusieurs de ses œuvres ", l'article 1er du décret du 28 août 2020, que l'instruction vise à mettre en œuvre, ne méconnaît pas l'article L. 382-3 du code de la sécurité sociale et n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il range au nombre des revenus artistiques accessoires, et non principaux, ceux provenant des activités figurant aux 2° et 4° du I de l'article R. 382-1-2 du code de la sécurité sociale.

En ce qui concerne la contribution due par les diffuseurs :

15. Aux termes de l'article L. 382-4 du code de la sécurité sociale : " Le financement des charges incombant aux employeurs au titre des assurances sociales et des prestations familiales est assuré par le versement d'une contribution par toute personne physique ou morale, y compris l'Etat et les autres collectivités publiques, qui procède, à titre principal ou à titre accessoire, à la diffusion ou à l'exploitation commerciale d'œuvres originales relevant des arts mentionnés par le présent chapitre. / Cette contribution est calculée sur un barème tenant compte soit du chiffre d'affaires réalisé par ces personnes à raison de la diffusion ou de l'exploitation commerciale des œuvres des artistes, vivants ou morts, auteurs d'œuvres graphiques et plastiques ou de leur rémunération lorsque l'œuvre n'est pas vendue au public, soit des sommes qu'elles versent à titre de droit d'auteur aux artistes ou organismes percevant ces sommes pour leur compte, à l'occasion de la diffusion ou de l'exploitation commerciale des œuvres des artistes, vivants ou morts, auteurs d'œuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques ". Pour l'application de ces dispositions, l'article R. 382-17 du même code prévoit que : " Toute personne physique ou morale qui procède à la diffusion ou à l'exploitation commerciale des œuvres originales relevant des arts mentionnés au présent chapitre est tenue de verser à l'organisme mentionné au premier alinéa de l'article L. 382-5 la contribution instituée à l'article L. 382-4. / La contribution due à l'occasion de la diffusion ou de l'exploitation commerciale des œuvres des artistes, vivants ou morts, auteurs d'œuvres graphiques et plastiques, est calculée en pourcentage, soit du chiffre d'affaires, toutes taxes comprises, afférent à cette diffusion ou à cette exploitation, même lorsque les œuvres sont tombées dans le domaine public, soit, lorsque l'œuvre n'est pas vendue au public, du montant de la rémunération brute de l'artiste auteur. / Pour la détermination du chiffre d'affaires mentionné à l'alinéa précédent, il est tenu compte de 30 % du prix de vente des œuvres et, en cas de vente à la commission, du montant de la commission. / Lorsqu'il s'agit d'œuvres autres que graphiques et plastiques, la contribution est calculée en pourcentage du montant brut des droits d'auteur versés à l'auteur directement ou indirectement. Pour l'application de l'alinéa précédent, on entend par droit d'auteur la rémunération au sens des articles L. 131-4 et L. 132-6 du code de la propriété intellectuelle afférente à la cession par l'auteur de ses droits sur son œuvre, et versée soit directement à l'auteur ou à ses ayants droit, soit sous forme de redevance à un tiers habilité à les recevoir. / Le chiffre d'affaires mentionné au deuxième alinéa ci-dessus est celui de l'année civile précédant la date de la déclaration prévue au deuxième alinéa de l'article R. 382-20. / La rémunération ou les droits d'auteur sont ceux qui sont versés au cours du trimestre civil précédant la date de la déclaration ".

16. Il résulte de ces dispositions que le fait générateur de la " contribution diffuseur " prévue par ces articles est constitué par la diffusion ou l'exploitation commerciale d'une œuvre par un tiers à l'artiste-auteur. Pour les auteurs d'œuvres graphiques et plastiques, son assiette est, soit le chiffre d'affaires réalisé à raison de la diffusion ou de l'exploitation commerciale, soit la rémunération brute de l'artiste-auteur lorsque l'œuvre n'est pas vendue au public. Pour les auteurs d'œuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques, son assiette est le montant brut des sommes versées, soit directement à l'artiste-auteur ou à ses ayants droit, soit sous forme de redevance à un tiers habilité à les recevoir à titre de droit d'auteur. L'instruction attaquée commente ces dispositions en précisant, pour chacune des catégories de revenus artistiques mentionnés aux articles R. 382-1-1 et R. 382-1-2 du code de la sécurité sociale, s'ils entrent ou non dans l'assiette de la contribution, selon que le tiers qui verse à l'artiste-auteur les sommes correspondantes procède également ou non à la diffusion ou à l'exploitation commerciale des œuvres créées. En précisant ces conditions d'assujettissement, elle n'a pas méconnu le sens ou la portée des dispositions légales et réglementaires applicables, sans étendre par conséquent le champ d'application de cette contribution, que ce soit en particulier s'agissant de la vente ou de la location d'œuvres originales, de l'exercice ou de la cession de droits d'auteur ou de l'exploitation de son œuvre par l'artiste-auteur lui-même.

En ce qui concerne le précompte :

17. Aux termes de l'article L. 382-5 du code de la sécurité sociale : " La part des cotisations et contributions de sécurité sociale à la charge des personnes mentionnées à l'article L. 382-1 est versée par les intéressés à l'organisme mentionné à l'article L. 213-1 désigné par le directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale. / Toutefois, lorsque la rémunération est versée par l'une des personnes mentionnées à l'article L. 382-4, les cotisations et contributions de sécurité sociale sont précomptées et versées par cette personne à l'organisme mentionné au premier alinéa du présent article. (...) ". L'article R. 382-19 du même code prévoit également que : " Sans préjudice des dispositions de l'article R. 382-29, l'Agence centrale prévue à l'article L. 225-1 ou l'organisme mentionné au premier alinéa de l'article L. 382-5 peuvent conclure, avec les tiers habilités par les artistes-auteurs à percevoir pour leur compte des droits d'auteur, des conventions en vue du versement, par ces tiers, de la contribution et des cotisations précomptées afférentes à ces droits au lieu et place des débiteurs de ces contributions et cotisations. Ces conventions sont soumises à l'agrément du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé de la culture ". Enfin, l'article R. 382-27 de ce code dispose que : " Lorsqu'il y a précompte, les cotisations dues au titre de l'assurance vieillesse, la contribution sociale généralisée, la contribution pour le remboursement de la dette sociale à la charge de l'artiste-auteur sont précomptées : / 1° Aux taux applicables aux rémunérations des salariés sur les revenus assimilés fiscalement à des traitements et salaires au sens du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts ; / 2° De manière provisionnelle, aux taux applicables aux rémunérations des salariés sur les rémunérations qui ne sont pas assimilées à des traitements ou salaires au sens du 1 quater de l' article 93 du code général des impôts, lorsque l'artiste-auteur ne justifie pas auprès des personnes qui lui versent les rémunérations qu'il est imposable sur le revenu au titre des bénéfices non commerciaux pour ses activités artistiques. Les modalités d'octroi de la dispense de précompte délivrée annuellement à l'artiste-auteur qui déclare fiscalement ses revenus artistiques en bénéfices non commerciaux par l'organisme mentionné au premier alinéa de l'article L. 382-5 sont précisées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale. (...) ".

18. Il résulte de ces dispositions que les diffuseurs au sens de l'article L. 382-4 du code de la sécurité sociale et les organismes agréés en application de l'article R. 382-19 du même code sont tenus de verser à l'organisme de recouvrement compétent, pour le compte des artistes-auteurs, le montant des contributions et cotisations sociales dues au titre de leurs revenus artistiques, sauf dans le cas de dispense de précompte lorsque l'artiste-auteur déclare être imposable sur ses revenus au titre des bénéfices non commerciaux. Elles ne s'opposent pas à ce que d'autres organismes s'étant déclarés auprès de l'organisme de recouvrement ou ayant signé une convention avec lui puissent, comme l'indique l'instruction en litige sans méconnaître le sens ou la portée de ces dispositions ni étendre l'obligation de précompte qu'elles instituent, procéder également, sauf dans le cas de dispense de précompte précédemment mentionné, au précompte des contributions et cotisations sociales dues par les artistes-auteurs sur les revenus artistiques correspondants, afin de faciliter la mise en œuvre par ces derniers, auxquels il demeure loisible de s'en acquitter seuls, de leurs obligations contributives.

En ce qui concerne la prise en charge partielle de cotisations de retraite complémentaire :

19. Aux termes de l'article L. 382-12 du code de la sécurité sociale : " Les personnes affiliées au régime général en application de l'article L. 382-1 relèvent de régimes complémentaires d'assurance vieillesse institués en application de l'article L. 644-1 dont la gestion est assurée par une caisse de retraite complémentaire dotée de la personnalité juridique et de l'autonomie financière, dans des conditions fixées par décret. / (...) Pour les personnes mentionnées au premier alinéa dont une ou plusieurs œuvres ont fait l'objet d'un contrat d'édition en vue de leur publication et de leur diffusion sous forme de livre et qui tirent plus de la moitié de leurs revenus de l'exploitation de ces œuvres, une part de la rémunération perçue en application de l'article L. 133-3 du code de la propriété intellectuelle est affectée, dans la limite prévue à l'article L. 133-4 du même code, à la prise en charge d'une fraction des cotisations dues par ces affiliés au titre de la retraite complémentaire. Un décret détermine le montant de cette fraction, qui ne peut toutefois excéder la moitié du montant des cotisations. Il fixe également les modalités de recouvrement des sommes correspondant à cette fraction et des cotisations des affiliés ". Pour l'application de ces dispositions, le I de l'article 2 du décret du 11 avril 1962 relatif au régime d'assurance vieillesse complémentaire des artistes et auteurs professionnels prévoit que : " La cotisation est fixée en pourcentage des revenus de la dernière année écoulée tels que définis à l'article L. 382-3 du code de la sécurité sociale, dans la limite d'un plafond égal à 3 fois le plafond prévu à l'article L. 241-3 du même code en vigueur le 1er janvier de l'année au cours de laquelle la cotisation est appelée. / Seules sont tenues de cotiser les personnes mentionnées à l'article 1er du présent décret qui, au cours de la dernière année civile, ont tiré de leur activité un revenu, évalué conformément aux dispositions de l'article L. 382-3 du code de la sécurité sociale, d'un montant au moins égal à 900 fois la valeur horaire brute du salaire minimum de croissance en vigueur le 1er janvier de l'année civile considérée. (...) " L'article 3 de ce décret précise que : " Pour les personnes mentionnées au quatrième alinéa de l'article L. 382-12 du code de la sécurité sociale, la fraction des cotisations prises en charge au titre de la rémunération perçue en application de l'article L. 133-3 du code de la propriété intellectuelle est égale à 50 % du montant de la cotisation annuelle due par l'intéressé. / Cette contribution n'est due qu'autant que l'assuré a versé la part de la cotisation annuelle à sa charge ".

20. Il résulte de ces dispositions que les artistes-auteurs dont plus de la moitié des revenus artistiques proviennent de l'exploitation d'œuvres ayant fait l'objet d'un contrat d'édition en vue de leur publication et de leur diffusion sous forme de livre bénéficient d'une prise en charge de la moitié de leur cotisation de vieillesse complémentaire par l'organisme de gestion collective du droit de prêt en bibliothèque. L'instruction attaquée commente ces dispositions en précisant que les revenus artistiques à prendre en compte au titre de cette prise en charge sont, pour les livres publiés à compte d'éditeur : leur vente et leur location ; les droits d'auteur ; les droits versés par un organisme de gestion collective ; la lecture publique, la présentation de l'œuvre ou de son processus de création ou une activité de dédicace ; un prix ou une récompense pour l'œuvre. En se référant ainsi, pour le calcul des cotisations faisant l'objet de la prise en charge concernée, aux catégories de revenus artistiques prévues à l'article R. 382-1-1 du code de la sécurité sociale en application de l'article L. 382-3 du même code, sans prendre en compte l'article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle définissant le droit d'exploitation auquel cet article L. 382-3 ne renvoie pas, l'instruction attaquée n'a pas méconnu le sens ou la portée des dispositions légales et réglementaires applicables ni, par suite, étendu illégalement le champ d'application de cette prise en charge.

21. Il résulte de tout ce qui précède que le Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs n'est pas fondé à demander l'annulation de l'instruction qu'il attaque, laquelle n'est par ailleurs, et en tout état de cause, pas inintelligible, ni ne porte atteinte au principe de sécurité juridique du fait des imprécisions qu'elle comporterait ou des confusions qu'elle serait susceptible de créer.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par le requérant soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la ministre de la culture au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête du Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la ministre de la culture présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs et à la ministre de la culture.

Copie en sera adressée au ministre des solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.

Délibéré à l'issue de la séance du 2 octobre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Vincent Mazauric, M. Edouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 16 octobre 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Jean-Luc Matt

La secrétaire :

Signé : Mme Paule Troly


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 472016
Date de la décision : 16/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 16 oct. 2024, n° 472016
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Luc Matt
Rapporteur public ?: M. Mathieu Le Coq
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET ; SCP BAUER-VIOLAS - FESCHOTTE-DESBOIS - SEBAGH

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:472016.20241016
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