Vu la procédure suivante :
M. D... A... a porté plainte contre Mme G... F... devant la chambre disciplinaire de première instance d'Auvergne Rhône-Alpes de l'ordre des médecins. Par une décision du 17 mars 2021, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à Mme F... la sanction de l'avertissement.
Par une ordonnance du 3 juin 2021, le président de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté l'appel formé par Mme F... contre cette décision.
Par une ordonnance n° 454774 du 31 décembre 2021, la présidente de la 4ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat a annulé cette ordonnance et renvoyé l'affaire devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins.
Par une décision du 18 janvier 2023, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a rejeté, d'une part, l'appel de Mme F... et, d'autre part, l'appel incident de M. A... comme irrecevable.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 13 mars, 12 juin, 16 et 20 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme F... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision en tant qu'elle rejette son appel ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code pénal ;
- le code la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Thalia Breton, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin-Avocats, avocat de Mme F... et à Me Carbonnier, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins que M. A... a porté plainte contre Mme F..., médecin spécialiste qualifiée en pédopsychiatrie, devant la chambre disciplinaire de première instance d'Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins, lui reprochant notamment la rédaction de trois documents, un certificat médical établi le 1er mars 2016, un courrier en date du 15 mars 2016 envoyé au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Chambéry et un courrier en date du 3 décembre 2018 envoyé à l'un des juges des enfants de ce tribunal. Par une décision du 17 mars 2021, la chambre disciplinaire de première instance d'Auvergne Rhône-Alpes de l'ordre des médecins a infligé à Mme F... la sanction de l'avertissement. Par une ordonnance du 3 juin 2021, le président de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté l'appel de Mme F... contre cette décision. Par une ordonnance du 31 décembre 2021, la présidente de la 4ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat a annulé cette ordonnance et renvoyé l'affaire devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins. Par une décision du 18 janvier 2023, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a, d'une part, rejeté l'appel de Mme F... contre la décision du 17 mars 2021, d'autre part, rejeté comme irrecevable l'appel incident de M. A... contre cette même décision. Mme F... se pourvoit en cassation contre la décision du 18 janvier 2023 en tant qu'elle a rejeté son appel.
Sur le pourvoi :
2. Aux termes de l'article R. 4127-44 du code de la santé publique : " Lorsqu'un médecin discerne qu'une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection. / Lorsqu'il s'agit d'un mineur ou d'une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 4127-76 du même code : " L'exercice de la médecine comporte normalement l'établissement par le médecin, conformément aux constatations médicales qu'il est en mesure de faire, des certificats, attestations et documents dont la production est prescrite par les textes législatifs et réglementaires ". Le signalement qu'un médecin adresse aux autorités administratives ou judiciaires sur le fondement de l'article R. 4127-44 du code de la santé publique afin de les alerter sur la situation d'un patient mineur susceptible d'être victime de sévices ou privations a pour objet de transmettre à ces autorités tous les éléments utiles qu'il a pu relever ou déceler dans la prise en charge de ce patient, notamment des constatations médicales, des propos ou le comportement de l'enfant et, le cas échéant, le discours de ses représentants légaux ou de la personne accompagnant l'enfant soumis à son examen médical. Un tel signalement n'est ainsi pas au nombre des certificats, attestations et documents régis par les dispositions de l'article R. 4127-76 du même code, qui sont rédigés sur la base de seules constatations médicales et sont en outre, le cas échéant, susceptibles d'être remis au patient ou à ses représentants légaux.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges disciplinaires que, par un courrier en date du 3 décembre 2018, Mme F... a fait part au juge des enfants, déjà saisi de la situation de B... A..., fils de M. A..., en application des dispositions de l'article 375 du code civil, " de la situation actuelle [de l'enfant] vis-à-vis de sa santé et de ses soins " en raison de la privation potentielle de soins pédopsychiatriques nécessaires, présentée comme née non seulement d'un conflit aigu avec M. A... qu'elle relate et ayant conduit ce dernier à lui signifier son refus qu'elle poursuive le suivi de son fils, mais aussi de l'absence de relais immédiat adéquat permettant ce suivi dans un contexte de pénurie régionale de médecins qualifiés en pédopsychiatrie. Il ressort des termes mêmes de sa décision que, pour juger que ce courrier constituait un manquement à l'obligation de ne pas s'immiscer sans raison professionnelle dans les affaires de famille ou dans la vie privée des patients, prévue par l'article R. 4127-51 du code de la santé publique, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a estimé qu'il s'agissait de l'un des documents, qui ne peuvent être fondés que sur les constatations médicales faites par le médecin, visés à l'article R. 4127-76 du même code. En statuant ainsi, alors que ce courrier constituait un signalement aux autorités judiciaires au sens des dispositions de l'article R. 4127-44 du code de la santé publique citées au point 2, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
4. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, Mme F... est fondée à demander l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins qu'elle attaque en tant qu'elle a rejeté son appel contre la décision du 17 mars 2021 de la chambre disciplinaire de première instance.
5. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond, dans la mesure de la cassation prononcée.
Sur la requête d'appel de Mme F... :
En ce qui concerne la régularité de la décision de la chambre disciplinaire de première instance :
6. En premier lieu, le moyen tiré du défaut de signature de la minute par le président de la formation de jugement et la greffière d'audience manque en fait.
7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que, dans un courrier en date du 19 octobre 2018, adressé au président du conseil départemental de Haute-Savoie de l'ordre des médecins et intitulé " plainte contre le Docteur G... F... ", M. A... mentionne les faits reprochés à cette dernière, précise qu'il considère que ces faits sont contraires aux règles de déontologie médicale, et demande à ce que, à l'issue de la réunion de conciliation, sa plainte soit transmise à la chambre disciplinaire de première instance. Il s'ensuit que ce courrier constituait une plainte à l'encontre de Mme F... et que cette dernière n'est pas fondée à soutenir qu'il ne constituait qu'une simple doléance.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 4124-1 du code de la santé publique : " La chambre disciplinaire de première instance doit statuer dans les six mois du dépôt de la plainte. A défaut, le président de la chambre disciplinaire nationale peut transmettre la plainte à une autre chambre disciplinaire de première instance ". Le délai de six mois fixé par ces dispositions n'étant pas imparti à la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins à peine de dessaisissement, Mme F... n'est pas fondée à soutenir que la chambre disciplinaire de première instance ne s'est pas régulièrement prononcée sur la plainte de M. A... faute d'avoir statué dans ce délai.
9. En quatrième lieu, contrairement à ce que soutient Mme F..., la décision de la chambre disciplinaire de première instance, qui a précisément mentionné les faits qui lui étaient reprochés et les motifs qui l'ont conduite à retenir des fautes disciplinaires à son encontre, est suffisamment motivée.
10. En cinquième lieu, les juridictions disciplinaires de l'ordre des médecins, saisies d'une plainte contre un praticien, peuvent légalement connaître de l'ensemble du comportement professionnel de l'intéressé, sans se limiter aux faits dénoncés dans la plainte ni aux griefs articulés par le plaignant. A ce titre, elles peuvent légalement se fonder, pour infliger une sanction à un médecin, sur des griefs nouveaux qui n'ont pas été dénoncés dans la plainte soumise à la chambre disciplinaire de première instance, à condition toutefois d'avoir mis au préalable l'intéressé à même de s'expliquer sur ces griefs. Elles ne sont, en revanche, pas tenues de communiquer préalablement aux parties le choix, qui leur incombe, de la qualification juridique des griefs au regard des dispositions du code de déontologie médicale. Si Mme F... soutient que la chambre disciplinaire de première instance ne pouvait, sans entacher sa décision d'irrégularité au regard du principe du respect des droits de la défense, se fonder, pour lui infliger une sanction, sur le courrier du 3 décembre 2018, faute pour elle d'avoir été mise à même de formuler des observations sur le grief formulé à raison de cet écrit, il ressort des pièces du dossier soumis aux premiers juges que les mémoires de M. A..., communiqués à Mme F..., mentionnaient le grief tiré de ce que le courrier du 3 décembre 2018 caractérisait un parti pris de cette dernière à son encontre et faisait une présentation tendancieuse des faits. Par suite, Mme F... ayant été mise à même de présenter sa défense sur ce grief, la chambre disciplinaire de première instance a pu, sans irrégularité, se fonder sur ce courrier pour lui infliger une sanction.
En ce qui concerne le bien-fondé de la décision de la chambre disciplinaire de première instance :
S'agissant du certificat médical du 1er mars 2016 :
11. Aux termes de l'article R. 4127-4 du code de la santé publique : " Le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. / Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris ". Aux termes de l'article R. 4127-28 du même code : " La délivrance d'un rapport tendancieux ou d'un certificat de complaisance est interdite ". Aux termes de l'article R. 4127-51 du même code : " Le médecin ne doit pas s'immiscer sans raison professionnelle dans les affaires de famille ni dans la vie privée de ses patients ".
12. Il résulte de l'instruction que le certificat médical rédigé par Mme F... le 1er mars 2016 précise, d'abord, les conditions dans lesquelles, alors que l'enfant B... A... était en liste d'attente pour être pris en charge à son cabinet, elle a été amenée, en avril 2015, à orienter en urgence la mère de l'enfant qui lui décrivait " une situation d'urgence pour ses trois enfants B..., C... et E... qui ont assisté à une scène d'une extrême violence de la part de leur père sur leur mère " vers une psychologue pour qu'elle prenne en charge l'enfant B.... Il y est ensuite indiqué qu'elle est intervenue à la demande de cette psychologue qui estimait en novembre 2015 " que la situation familiale dans son ensemble et celle des enfants en particulier (notamment B...) dépasse les possibilités d'intervention d'une psychologue " et qu'elle a conseillé à Mme A... de saisir le juge des enfants " dans une visée de protection de chacun des enfants ", en raison de " la nature et l'intensité des troubles (...) observés en consultation chez B... ", mais aussi de " la violence intrafamiliale extrême " qui lui était " décrite " et que Mme F... indique avoir " pu en partie observer ". Enfin, Mme F... y déconseille, " dans l'intérêt des enfants ", une garde alternée " du fait de l'intensité de la violence morale et physique du couple parental ", tout en préconisant des expertises psychiatriques de chaque parent et pédopsychiatriques des enfants et des interactions parent-enfant " afin que la justice puisse être au mieux éclairée pour les mesures à prendre dans l'intérêt des enfants ".
13. A supposer même que Mme F... ait reçu les deux parents de l'enfant B... avant d'avoir établi ce certificat médical, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle ait pu personnellement observer la situation de " violence intrafamiliale extrême ", à la fois physique et morale, qu'elle mentionne dans ce certificat, alors par ailleurs que les écritures de Mme F... devant les juges disciplinaires ne précisent pas la nature des faits dont il est ainsi mentionné qu'elle les avait observés. En outre, ce certificat préconise des orientations relatives à la procédure engagée devant le juge aux affaires familiales dans un contexte de conflit entre M. et Mme A..., connu de Mme F.... Par suite, en établissant ce certificat, Mme F... a méconnu les obligations déontologiques résultant des articles R. 4127-28 du code de la santé publique, relatif à la délivrance d'un rapport tendancieux ou d'un certificat de complaisance, et R. 4127-51 du même code, relatif à l'immixtion sans raison professionnelle dans les affaires de famille et dans la vie privée des patients, cités au point 11.
S'agissant du courrier du 3 décembre 2018 :
14. Ainsi qu'il a été dit au point 3, le courrier du 3 décembre 2018 constituait un signalement aux autorités judiciaires au sens des dispositions de l'article R. 4127-44 du code de la santé publique bien que transmis aux juges des enfants, autorité qui ne figure pas parmi celles mentionnées à l'article 226-14 du code pénal auxquelles le médecin peut transmettre un tel signalement sans que sa responsabilité disciplinaire puisse être engagée pour ce motif, sauf à ce qu'il soit établi que le médecin a agi de mauvaise foi. Il résulte de l'instruction que ce courrier fait état d'un conflit aigu entre Mme F... et M. A... à propos de la prise en charge de l'enfant B... A... et avait pour objet d'alerter le juge des enfants d'ores et déjà saisi, en application de l'article 375 du code civil, de la situation de cet enfant, sur le risque imminent de rupture des soins médicaux dont il bénéficiait. Dans ces conditions particulières, ce signalement ne constitue pas un manquement aux obligations déontologiques résultant des articles R. 4127-28 et R. 4127-51 du code de la santé publique cités au point 11.
S'agissant de la sanction à infliger à Mme F... :
15. Aux termes de l'article L. 4124-6 du code de la santé publique : " Les peines disciplinaires (...) sont les suivantes : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3 L'interdiction temporaire avec ou sans sursis ou l'interdiction permanente d'exercer une, plusieurs ou la totalité des fonctions de médecin (...) ; / 4° L'interdiction temporaire d'exercer avec ou sans sursis ; cette interdiction ne pouvant excéder trois années ; / 5° La radiation du tableau de l'ordre. / Les deux premières de ces peines comportent, en outre, la privation du droit de faire partie d'un conseil, d'une section des assurances sociales de la chambre de première instance ou de la section des assurances sociales du Conseil national, d'une chambre disciplinaire de première instance ou de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre pendant une durée de trois ans ; les suivantes, la privation de ce droit à titre définitif (...) ".
16. Eu égard aux manquements relevés au point 13, Mme F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que la chambre disciplinaire de première instance d'Auvergne Rhône-Alpes lui a infligé la sanction de l'avertissement. Par suite, son appel contre la décision de la chambre disciplinaire de première instance d'Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins doit être rejeté.
17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme F... les sommes que demande M. A... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme à verser à Mme F... soit mise à la charge de M. A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 18 janvier 2023 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins est annulée en tant qu'elle rejette l'appel de Mme F....
Article 2 : L'appel de Mme F... est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et par M. A... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme G... F... et à M. D... A....
Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des médecins.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 septembre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Thalia Breton, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 15 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Thalia Breton
Le secrétaire :
Signé : M. Christophe Bouba