Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 octobre 2023 et 22 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 21 août 2023 rapportant le décret du 26 mai 2021 lui accordant la nationalité française ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Trémolière, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes des dispositions de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".
2. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., ressortissant camerounais, a déposé une demande de naturalisation auprès de la préfecture du Val-de-Marne le 13 janvier 2020, par laquelle il a indiqué être célibataire. Il a été naturalisé par décret le 26 mai 2021, publié au Journal officiel de la République française du 28 mai 2021. Toutefois, par un courrier électronique du 10 septembre 2021 de M. A..., le ministre de l'intérieur, chargé des naturalisations, a été informé du mariage de l'intéressé célébré le 27 février 2021 à Bonaberi (Cameroun), avec Mme D... C..., ressortissante camerounaise résidant habituellement dans son pays d'origine. Par décret du 21 août 2023, publié au Journal officiel de la République française du 23 août 2023, la Première ministre a rapporté le décret du 26 mai 2021 prononçant la naturalisation de M. A... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. A... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
3. En premier lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, lorsque le Gouvernement a l'intention de retirer un décret de naturalisation, il notifie l'engagement de la procédure de retrait à l'intéressé " qui dispose d'un délai d'un mois à dater de la notification (...) pour faire parvenir au ministre chargé des naturalisations ses observations en défense. Après l'expiration de ce délai, le gouvernement peut déclarer, par décret motivé pris sur avis conforme du Conseil d'Etat, que l'intéressé a perdu la qualité de français ". Il résulte de ces dispositions que lorsque l'intéressé a présenté des observations en défense, dans les conditions énoncées ci-dessus, elles doivent être portées par le ministre à la connaissance du Conseil d'Etat avant que celui-ci se prononce.
4. Il ressort des visas du décret attaqué que les observations en défense de M. A..., produites les 20 mai 2022 et 20 janvier 2023, ont été portées à la connaissance du Conseil d'Etat avant que celui-ci rende son avis conforme, le 26 juillet 2023. Dès lors, le moyen selon lequel la procédure suivie aurait été irrégulière et méconnu les droits de la défense doit être écarté.
5. En deuxième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative prend notamment en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a contracté un mariage avec Mme D... C..., ressortissante camerounaise résidant habituellement dans son pays d'origine, le 27 février 2021 à Bonaberi (Cameroun). Ce mariage, intervenu au cours de l'instruction de sa demande de naturalisation, aurait dû être porté à la connaissance des services instruisant sa demande, comme il s'y était engagé lors du dépôt de cette demande. M. A... soutient que la fraude ne peut être caractérisée en l'absence d'intention frauduleuse L'intéressé, dont la maîtrise de la langue française est attestée par le compte-rendu d'assimilation du 13 janvier 2020 ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'il a signée. De plus, si le requérant invoque le contexte particulier lié à la crise sanitaire il ne fait état d'aucune circonstance qui l'aurait mis dans l'impossibilité de faire part de la réalité de sa situation familiale au service chargé de l'instruction de sa demande de naturalisation avant l'intervention du décret lui accord la nationalité française. Dans ces conditions, M. A... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale. Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, la Première ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27- 2 du code civil.
7. En troisième lieu, M. A... soutient que le décret du 21 août 2023 est incompatible avec le droit de l'Union européenne dès lors qu'il a pour conséquence de rendre lui et son enfant mineur apatrides au regard des dispositions du droit camerounais. Aucun des éléments qu'il avance n'est toutefois de nature à établir qu'il aurait perdu la nationalité camerounaise ou ne pourrait la recouvrer.
8. En quatrième lieu, dans la mesure où la perte de nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et à la possibilité pour l'intéressé de recouvrer une autre nationalité. L'article 27-2 du code civil permet de rapporter, dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, un décret qui a conféré la nationalité française au motif que l'intéressé a obtenu la nationalité française par mensonge ou fraude. Ces dispositions, qui ne sont pas incompatibles avec les exigences résultant du droit de l'Union européenne, permettaient en l'espèce, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, à la Première ministre, qui a procédé au contrôle de proportionnalité exigé par le droit de l'Union européenne, de rapporter légalement le décret accordant à M. A... la nationalité française, dont il n'est pas établi qu'il aurait perdu la nationalité camerounaise.
9. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. A... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 21 août 2023 par lequel la Première ministre a rapporté le décret du 26 mai 2021. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 septembre 2024 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et M. Alexandre Trémolière, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 14 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Nicolas Boulouis
Le rapporteur :
Signé : M. Alexandre Trémolière
La secrétaire :
Signé : Mme Sandrine Mendy