Vu la procédure suivante :
M. et Mme C... et B... A..., à l'appui de leur demande tendant à la décharge des cotisations primitives d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2022, ont produit un mémoire, enregistré le 13 juin 2024 au greffe du tribunal administratif de Rouen, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel ils soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 2402280 du 11 juillet 2024, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la première chambre de ce tribunal, avant qu'il soit statué sur la demande de M. et Mme A..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des mots " exerçant à titre individuel " figurant au premier alinéa du 1 du V de l'article 151 septies A du code général des impôts.
Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise,
M. et Mme A... soutiennent que les dispositions du premier alinéa du 1 du V de l'article 151 septies A du code général des impôts, applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques respectivement garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dès lors que l'exonération qu'elles instituent au bénéfice des agents généraux d'assurances obtenant une indemnité compensatrice en contrepartie de la cessation de leur activité est, par les mots contestés, subordonnée à la condition que ces derniers exercent leur activité à titre individuel.
Par un mémoire, enregistré le 14 août 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question n'est pas nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux.
La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2022-1499 du 1er décembre 2022 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Pau, auditeur,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du
7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Selon les dispositions du I de l'article 151 septies A du code général des impôts, dans la rédaction de cet article applicable au litige, qui résulte de la loi du 1er décembre 2022 de finances rectificative pour 2022, les plus-values réalisées dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole sont exonérées d'impôt sur le revenu aux conditions, notamment, que l'activité ait été exercée pendant au moins cinq ans, que la cession de l'activité soit réalisée à titre onéreux et porte sur une entreprise individuelle ou sur l'intégralité des droits ou parts détenus par un contribuable exerçant son activité professionnelle dans le cadre d'une société ou d'un groupement dont les bénéfices sont, en application des articles 8 et 8 ter, soumis en son nom à l'impôt sur le revenu et considérés comme des éléments d'actif affectés à l'exercice de la profession au sens du I de l'article 151 nonies et que le cédant cesse toute fonction dans l'entreprise et fasse valoir ses droits à la retraite, dans les deux années suivant ou précédant la cession. Aux termes du V du même article 151 septies A : " 1. L'indemnité compensatrice versée à un agent général d'assurances exerçant à titre individuel par la compagnie d'assurances qu'il représente à l'occasion de la cessation du mandat bénéficie du régime mentionné au I si les conditions suivantes sont réunies : / a) Le contrat dont la cessation est indemnisée doit avoir été conclu depuis au moins cinq ans au moment de la cessation ; / b) L'agent général d'assurances fait valoir ses droits à la retraite dans les deux années suivant la cessation du contrat ; / c) L'activité est intégralement poursuivie dans le délai de deux ans. / (...) ".
3. Les dispositions du 1 du V de l'article 151 septies A du code général des impôts citées au point 2 sont applicables au présent litige, au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'elles réservent l'exonération qu'elles instituent au bénéfice des agents généraux d'assurance obtenant une indemnité compensatrice en contrepartie de la cessation de leur activité aux seuls agents généraux exerçant leur activité à titre individuel, à l'exclusion de l'exercice de cette activité dans le cadre d'une société dont les bénéfices sont soumis en leur nom à l'impôt sur le revenu en application des articles 8 et 8 ter du code général des impôts, soulève une question présentant un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des mots " exerçant à titre individuel " figurant au premier alinéa du 1 du V de l'article 151 septies A du code général des impôts est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme C... et B... A..., au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Premier ministre ainsi qu'au tribunal administratif de Rouen.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 septembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,
Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas,
M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Olivier Pau, auditeur-rapporteur.
Rendu le 10 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Pau
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :