Vu la procédure suivante :
La société à responsabilité limitée (SARL) Larcade a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de lui accorder le remboursement d'une créance de crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi dont elle estime être titulaire à raison de rémunérations versées en 2013. Par une ordonnance n° 1901449 du 3 février 2021, le président de la 2ème chambre de ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21BX01373 du 17 octobre 2023, la cour administrative d'appel de Bordeaux, statuant sur appel de la société Larcade, a annulé cette ordonnance et a accordé à cette société le remboursement demandé.
Par un pourvoi, enregistré le 13 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alianore Descours, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de la société Larcade ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société à responsabilité limitée (SARL) Larcade a sollicité le 15 avril 2019 le remboursement d'une créance de crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) dont elle s'estimait titulaire à raison de rémunérations versées en 2013. A la suite de la décision implicite de rejet de l'administration, cette société a réitéré cette demande auprès du tribunal administratif de la Guadeloupe. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 octobre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a, d'une part, annulé l'ordonnance du 3 février 2021 par laquelle le président de la 2ème chambre de ce tribunal a rejeté la demande de la société Larcade et, d'autre part, ordonné la restitution du crédit d'impôt sollicité.
2. D'une part, aux termes de l'article 244 quater C du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Les entreprises (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt ayant pour objet le financement de l'amélioration de leur compétitivité à travers notamment des efforts en matière d'investissement, de recherche, d'innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés, de transition écologique et énergétique et de reconstitution de leur fonds de roulement. (...) / II. - Le crédit d'impôt mentionné au I est assis sur les rémunérations que les entreprises versent à leurs salariés (...) ". Aux termes de l'article 220 C de ce code : " Le crédit d'impôt défini à l'article 244 quater C est imputé sur l'impôt sur les sociétés dû par l'entreprise dans les conditions prévues à l'article 199 ter C ". Aux termes de l'article 199 ter C de ce code : " I. - Le crédit d'impôt défini à l'article 244 quater C est imputé sur l'impôt sur le revenu dû par le contribuable au titre de l'année au cours de laquelle les rémunérations prises en compte pour le calcul du crédit d'impôt ont été versées. L'excédent de crédit d'impôt constitue, au profit du contribuable, une créance sur l'État d'égal montant. Cette créance est utilisée pour le paiement de l'impôt sur le revenu dû au titre des trois années suivant celle au titre de laquelle elle est constatée, puis, s'il y a lieu, la fraction non utilisée est remboursée à l'expiration de cette période (...) ". Aux termes de l'article 49 septies P de l'annexe III au même code : " Quelle que soit la date de clôture des exercices et quelle que soit leur durée, le crédit d'impôt est calculé par référence aux rémunérations versées au cours de l'année civile. En cas de clôture d'exercice en cours d'année, le montant du crédit d'impôt prévu à l'article 244 quater C du code général des impôts est calculé en prenant en compte les rémunérations éligibles versées au titre de la dernière année civile écoulée ".
3. Il résulte de ces dispositions que, pour une entreprise soumise à l'impôt sur les sociétés, le CICE doit être imputé sur l'impôt dû au titre de l'exercice correspondant à l'année au cours de laquelle ont été versées les rémunérations prises en compte pour sa détermination ou, si l'exercice ne coïncide pas avec l'année civile, sur l'impôt dû au titre de l'exercice clos au cours de l'année qui suit. En cas d'excédent, le solde de crédit d'impôt doit être imputé sur l'impôt dû au titre de chacun des trois exercices suivant avant, le cas échéant, d'être restitué. Un contribuable qui, en méconnaissance de ces règles, a omis d'imputer une fraction du crédit d'impôt sur l'impôt dû au titre de l'un des exercices qu'elles mentionnent n'est en droit ni de l'imputer sur l'impôt dû au titre d'un exercice postérieur, ni d'en obtenir la restitution.
4. D'autre part, aux termes du deuxième alinéa du 1 de l'article 223 du code général des impôts : " (...) la déclaration du bénéfice ou du déficit est faite dans les trois mois de la clôture de l'exercice. (...) ". Aux termes de l'article 49 septies Q de l'annexe III au même code : " Pour l'application des dispositions des articles 199 ter C, 220 C et 244 quater C du code général des impôts, les entreprises déclarent les réductions et crédits d'impôt selon le format établi par l'administration, dans les mêmes délais que la déclaration annuelle de résultat qu'elles sont tenues de souscrire en application des articles 53 A et 223 du code précité. / (...) ". Aux termes de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : / (...) c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation. (...) ".
5. Les dispositions qui prévoient que le bénéfice d'un avantage fiscal est demandé par voie déclarative n'ont, en principe, pas pour effet d'interdire au contribuable de régulariser sa situation dans le délai de réclamation prévu à l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, sauf si la loi a prévu que l'absence de demande dans le délai de déclaration entraîne la déchéance du droit à cet avantage, ou lorsqu'elle offre au contribuable une option entre différentes modalités d'imposition dont la mise en œuvre impose nécessairement qu'elle soit exercée dans un délai déterminé.
6. Il ne résulte ni des termes de l'article 244 quater C du code général des impôts, ni de ceux de l'article 220 C du même code, ni du I de l'article 199 ter C du même code, que l'obligation déclarative découlant des dispositions précitées de l'article 49 septies Q de l'annexe III au code général des impôts serait prescrite à peine de perte du droit au bénéfice du CICE. L'omission de déclaration de ce crédit d'impôt dans les délais prescrits ne fait par suite pas obstacle à ce que le contribuable en sollicite, dans le délai de réclamation applicable à chacun des exercices concernés, l'imputation ou la restitution dans le respect des règles rappelées au point 3.
7. Il résulte de ce qui précède que la cour administrative d'appel de Bordeaux, après avoir relevé par une appréciation souveraine non entachée de dénaturation que la société Larcade n'avait pas été, en raison de sa situation déficitaire, en mesure d'imputer sa créance de CICE sur les impositions dues au titre des exercices clos les 30 avril 2014 à 2017, a jugé sans erreur de droit, d'une part, que cette société était en droit d'en obtenir la restitution à compter du 30 avril 2017 et, d'autre part, qu'elle était recevable à demander le bénéfice de ce droit jusqu'à l'expiration du délai de réclamation prévu par les dispositions précitées du c) de la première partie de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, c'est-à-dire jusqu'au 31 décembre 2019.
8. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Larcade au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la société Larcade une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics et à la société à responsabilité limitée Larcade.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 septembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et Mme Alianore Descours, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 9 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Alianore Descours
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle