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02/10/2024 | FRANCE | N°492617

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 02 octobre 2024, 492617


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 mars et 30 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du ... portant cessation de ses fonctions de directrice de cabinet du préfet ... et le décret du ... nommant M. C... A... dans les mêmes fonctions ;



2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de prendre, dans un délai de sept jours

compter de la notification de sa décision et sous astreinte de 300 euros par jour de retard, toute...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 mars et 30 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du ... portant cessation de ses fonctions de directrice de cabinet du préfet ... et le décret du ... nommant M. C... A... dans les mêmes fonctions ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de prendre, dans un délai de sept jours à compter de la notification de sa décision et sous astreinte de 300 euros par jour de retard, toute mesure pour lui assurer une protection effective contre tout agissement de harcèlement moral dès la reprise de ses fonctions de directrice de cabinet du préfet ... à la fin de son arrêt de travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

- Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- la loi du 22 avril 1905 portant fixation du budget des dépenses et des recettes de l'exercice 1905 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de Mme B... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 septembre 2024, présentée par Mme B... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 25 septembre 2024, présentée par le ministre de l'intérieur ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... a été nommée directrice de cabinet du préfet ... par décret du ... du Président de la République. Elle a été reconduite dans ses fonctions jusqu'au 31 août 2024 par décret du .... Elle demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du ... mettant fin à ses fonctions ainsi que du décret du ... nommant M. A... dans les fonctions qu'elle occupait.

Sur les conclusions tendant à l'annulation du décret mettant fin aux fonctions de Mme B... :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun agent public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". En vertu de l'article L. 133-3 du même code, aucun agent ne peut faire l'objet d'une mesure concernant son affectation pour avoir : " 1° Subi ou refusé de subir les faits de harcèlement sexuel mentionnés à l'article L. 133-1, y compris, dans le cas mentionné au 1° du même article L. 133-1, si les propos ou comportements n'ont pas été répétés, ou de harcèlement moral mentionnés à l'article L. 133-2 ; / 2° Formulé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces faits ; / 3° De bonne foi, relaté ou témoigné de tels faits (...) ".

3. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

4. Si Mme B... soutient que la décision de mettre fin aux fonctions de directrice de cabinet du préfet ... qu'elle exerçait a été prise en raison de faits de harcèlement moral qu'elle aurait subis et dénoncés, les éléments de fait qu'elle invoque, notamment concernant l'attitude de ses supérieurs hiérarchiques, les décisions d'annulation de ses vacances et de fixation du montant de son complément indemnitaire ainsi que les conditions de son évaluation et les critiques formulées par le préfet chargé de cette évaluation, ne sont pas de nature à faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que le décret mettant fin à ses fonctions, au demeurant justifié par l'intérêt du service, aurait été pris en méconnaissance des dispositions des articles L. 133-2 et L. 133-3 du code général de la fonction publique.

5. Toutefois, en second lieu, en vertu de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même d'obtenir communication de son dossier.

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a été informée, par courrier du 19 février ..., de l'intention du ministre de l'intérieur et des outre-mer de proposer au Président de la République de mettre fin à ses fonctions de directrice de cabinet du préfet ... et de la possibilité pour elle de demander la communication de son dossier. Alors qu'elle en a demandé communication le 23 février suivant, son dossier n'a été mis à sa disposition que le vendredi 8 mars en début de soirée. Le décret mettant fin à ses fonctions a été signé moins de trois jours après, le .... Dans ces conditions, Mme B... n'a pas disposé d'un délai suffisant pour consulter son dossier et faire utilement valoir ses observations avant que la mesure en cause ne soit prise, en méconnaissance des dispositions de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905. Une telle irrégularité, qui a privé la requérante d'une garantie, est de nature à entacher d'illégalité le décret mettant fin à ses fonctions de directrice de cabinet du préfet .... Par suite, Mme B... est fondée à en demander l'annulation pour excès de pouvoir.

Sur les conclusions tendant à l'annulation du décret nommant M. A... :

7. En raison de l'indivisibilité existant dans les circonstances de l'espèce entre la cessation des fonctions de Mme B... et la nomination de son successeur, la requérante a intérêt et est dès lors recevable à demander l'annulation du décret du ... nommant M. A... directeur de cabinet du préfet .... Par suite, la fin de non-recevoir, opposée par le ministre de l'intérieur tirée de l'irrecevabilité des conclusions d'annulation de ce décret en raison du défaut d'intérêt pour agir de Mme B... à en demander l'annulation, doit être écartée.

8. Mme B... est fondée à demander l'annulation, par voie de conséquence de l'annulation du décret ayant mis fin à ses fonctions, du décret nommant M. A... dans les fonctions qu'elle occupait.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. La durée des fonctions de directrice de cabinet du préfet ... confiées à Mme B... par le décret du ... jusqu'au 31 août ... étant désormais expirée, l'annulation prononcée par la présente décision n'implique pas de reprise effective de ces fonctions par la requérante. Par suite, les conclusions de Mme B... tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de prendre toute mesure pour lui assurer une protection effective contre tout agissement de harcèlement moral dès la reprise de ses fonctions au cabinet du préfet ... ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les décrets du ... portant cessation des fonctions de directrice de cabinet du préfet ... de Mme B... et nommant M. A... dans ces mêmes fonctions sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme D... B..., au Premier ministre, au ministre de l'intérieur et à M. C... A....


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 492617
Date de la décision : 02/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

PROCÉDURE - JUGEMENTS - EXÉCUTION DES JUGEMENTS - EFFETS D'UNE ANNULATION - ANNULATION DE L’ACTE METTANT FIN AUX FONCTIONS D’UN AGENT PUBLIC QUI AVAIT ÉTÉ NOMMÉ JUSQU’À UNE DATE DÉTERMINÉE – EFFETS DE L’ANNULATION PRONONCÉE APRÈS L’EXPIRATION DE CETTE DURÉE – REPRISE EFFECTIVE DES FONCTIONS – ABSENCE – CONSÉQUENCE – REJET DES CONCLUSIONS À FIN D’INJONCTION.

54-06-07-005 Lorsqu’un agent public a été nommé pour une durée déterminée, l’annulation de l’acte mettant fin à ses fonctions après l’expiration de cette durée n’implique pas de reprise effective de ces fonctions. ...Par suite, les conclusions à fin d’injonction formulées dans l’hypothèse de la réintégration de l’agent ne peuvent qu’être rejetées.

PROCÉDURE - JUGEMENTS - EXÉCUTION DES JUGEMENTS - PRESCRIPTION D'UNE MESURE D'EXÉCUTION - ANNULATION DE L’ACTE METTANT FIN AUX FONCTIONS D’UN AGENT PUBLIC QUI AVAIT ÉTÉ NOMMÉ JUSQU’À UNE DATE DÉTERMINÉE – EFFETS DE L’ANNULATION PRONONCÉE APRÈS L’EXPIRATION DE CETTE DURÉE – REPRISE EFFECTIVE DES FONCTIONS – ABSENCE – CONSÉQUENCE – REJET DES CONCLUSIONS À FIN D’INJONCTION.

54-06-07-008 Lorsqu’un agent public a été nommé pour une durée déterminée, l’annulation de l’acte mettant fin à ses fonctions après l’expiration de cette durée n’implique pas de reprise effective de ces fonctions. ...Par suite, les conclusions à fin d’injonction formulées dans l’hypothèse de la réintégration de l’agent ne peuvent qu’être rejetées.


Publications
Proposition de citation : CE, 02 oct. 2024, n° 492617
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SCP BUK LAMENT - ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492617.20241002
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