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01/10/2024 | FRANCE | N°472533

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 01 octobre 2024, 472533


Vu la procédure suivante :



La fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 8 avril 2019 de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine portant autorisation d'un protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines en application des dispositions de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique. Par un jugement n° 1908492 du 9 avril 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.



Par un arrêt n° 21P

A03027 du 30 janvier 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel f...

Vu la procédure suivante :

La fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 8 avril 2019 de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine portant autorisation d'un protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines en application des dispositions de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique. Par un jugement n° 1908492 du 9 avril 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 21PA03027 du 30 janvier 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la fondation Jérôme Lejeune contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 29 mars et 29 juin 2023 et le 30 juillet 2024, la fondation Jérôme Lejeune demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de fondation Jérôme Lejeune et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Agence de la biomédecine et de l'Etablissement français du sang ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par deux décisions du 8 avril 2019, la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a, d'une part, autorisé la société Goliver Therapeutics à importer une lignée de cellules souches embryonnaires humaines à des fins de recherche en provenance de la société Biotime, située aux Etats-Unis, et, d'autre part, a autorisé la société Golliver Therapeutics, l'unité INSERM UMR 1064, AtlanticBio GMP et l'unité de thérapie cellulaire et génique du centre hospitalier universitaire de Nantes à mettre en œuvre un protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ayant pour finalité l'étude de la thérapie cellulaire des maladies du foie avec des hépatocytes générés à partir de cellules souches embryonnaires de grade GMP. Par un jugement du 9 avril 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la fondation Jérôme Lejeune tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'autorisation de recherche. La fondation Jérôme Lejeune se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 30 janvier 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.

2. D'une part, l'article L. 2151-5 du code de la santé publique dispose, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée, que : " I. - Aucune recherche sur l'embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain ne peut être autorisé que si : / (...) 4o Le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. / II. - Une recherche ne peut être menée qu'à partir d'embryons conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l'objet d'un projet parental. La recherche ne peut être effectuée qu'avec le consentement écrit préalable du couple dont les embryons sont issus, ou du membre survivant de ce couple, par ailleurs dûment informés des possibilités d'accueil des embryons par un autre couple ou d'arrêt de leur conservation. A l'exception des situations mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 2131-4 et au troisième alinéa de l'article L. 2141-3, le consentement doit être confirmé à l'issue d'un délai de réflexion de trois mois. Le consentement des deux membres du couple ou du membre survivant du couple est révocable sans motif tant que les recherches n'ont pas débuté. / III. - Les protocoles de recherche sont autorisés par l'Agence de la biomédecine après vérification que les conditions posées au I du présent article sont satisfaites (...) / En cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles fixées par l'autorisation, l'agence suspend l'autorisation de la recherche ou la retire. L'agence diligente des inspections comprenant un ou des experts n'ayant aucun lien avec l'équipe de recherche (...) ". Par sa décision n° 2013-674 DC du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel a précisé qu'en imposant au 4° du I de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique que le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les " principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires ", le législateur avait entendu faire référence aux principes résultant notamment des articles L. 2151-1 et suivants du code de la santé publique, relatifs à la conception et à la conservation des embryons fécondés in vitro, ainsi qu'à ceux résultant notamment des articles 16 et suivants du code civil et L. 1211-1 et suivants du code de la santé publique, relatifs au respect du corps humain. La nécessité du consentement préalable et la non-patrimonialité du corps humain sont au nombre de ces principes.

3. D'autre part, l'article L. 2151-6 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige, dispose que : " L'importation de cellules souches embryonnaires aux fins de recherche est soumise à l'autorisation préalable de l'Agence de la biomédecine. Cette autorisation ne peut être accordée que si ces cellules souches ont été obtenues dans le respect des principes fondamentaux prévus par les articles 16 à 16-8 du code civil (...) ".

4. En premier lieu, il résulte des dispositions du III de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique que l'Agence de la biomédecine peut accorder l'autorisation de recherche sollicitée dès lors que sont satisfaites, outre les conditions fixées aux 1° à 3° du I de cet article, celle fixée à son 4°, selon laquelle tant le projet que les conditions de mises en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, parmi lesquels la condition de consentement préalable et celle de non-patrimonialité du corps humain. A ce titre, l'Agence de la biomédecine doit s'assurer des dispositions prises en vue de garantir le respect effectif, lors de la mise en œuvre du protocole, de ces principes éthiques. Leur respect étant, s'agissant des conditions d'obtention des cellules souches embryonnaires importées aux fins de recherche, vérifié dans le cadre de l'autorisation d'importation et non dans le cadre de l'autorisation de recherche portant sur ces cellules, l'Agence de la biomédecine doit, à cette fin, avoir connaissance, d'une part, de la lignée de cellules souches embryonnaires sur laquelle la recherche sera entreprise et, d'autre part, de la personne titulaire d'une autorisation d'importation de cellules souches embryonnaires auprès de laquelle leur remise a été sollicitée. Enfin, elle doit disposer de l'autorisation d'importation, lorsqu'elle a déjà été accordée pour la lignée de cellules souches embryonnaires sur laquelle portera la recherche, ou, à défaut, avoir connaissance des engagements pris en vue du respect des principes fondamentaux prévus par les articles 16 à 16-8 du code civil par la personne auprès de laquelle la remise a été sollicitée.

5. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant, après avoir relevé que la demande d'autorisation de recherche sur une lignée de cellules souches embryonnaires en provenance de la société Biotime était accompagnée d'une demande d'autorisation d'importation de cette lignée et que l'Agence de la biomédecine avait vérifié dans le cadre de l'autorisation d'importation qu'elle avait délivrée le même jour que l'autorisation de recherche en litige que les cellules souches embryonnaires issues de cette lignée avaient été obtenues avec le consentement préalable du couple géniteur de l'embryon, que, contrairement à ce que soutenait la fondation requérante, l'Agence avait ainsi pu s'assurer du respect de la condition de consentement préalable dès la date de sa décision d'autorisation de recherche, au vu de cette autorisation d'importation délivrée le même jour comme d'une précédente autorisation d'importation délivrée par elle le 11 décembre 2014 au profit du même demandeur, la cour a suffisamment motivé son arrêt.

6. En deuxième lieu, aux termes du troisième alinéa de l'article 16-1 du code civil : " Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial. " Aux termes de l'article 16-5 de ce code : " Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles. " Aux termes de l'article 16-6 du même code : " Aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête à une expérimentation sur sa personne, au prélèvement d'éléments de son corps ou à la collecte de produits de celui-ci. "

7. En jugeant qu'il ressortait des pièces du dossier que la somme demandée par la société Biotime pour la commercialisation de la lignée ESI-017 de cellules souches embryonnaires humaines ne pouvait avoir pour objet, alors par ailleurs que, comme il a été dit ci-dessus, le respect des principes prévus au point précédent, notamment la gratuité du don, est, s'agissant des conditions d'obtention des cellules souches embryonnaires importées aux fins de recherche, vérifié dans le cadre de l'autorisation d'importation et non dans le cadre de l'autorisation de recherche portant sur ces cellules, que de couvrir la prise en charge par cette société du conditionnement, de la conservation et de l'expédition de la lignée et que l'autorisation de recherche en litige ne méconnaissait pas le principe de non-patrimonialité du corps humain, la cour, qui a souverainement porté cette appréciation en tenant notamment compte, comme elle le pouvait, du montant de la somme en cause, sans méconnaître les règles selon lesquelles il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige ni se méprendre sur la portée des écritures des parties, et n'a, contrairement à ce qui est soutenu, pas conféré de valeur contraignante à l'avis émis par le Comité consultatif national d'éthique portant sur la commercialisation des cellules souches humaines et autres lignées cellulaires, qu'elle ne mentionne pas, n'a, en tout état de cause, pas commis d'erreur de droit et n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

8. En troisième lieu, il résulte des dispositions du 3° du I de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique, citées au point 2, qu'il appartient à l'Agence de la biomédecine, lorsqu'elle autorise un protocole de recherche sur l'embryon ou sur les cellules souches embryonnaires humaines, de s'assurer, en prenant en considération l'ensemble des travaux scientifiques existant à la date de sa décision, que cette recherche ne peut, en l'état des connaissances disponibles, être menée sans recourir à des embryons ou des cellules souches embryonnaires, ce qui comporte la vérification du moment et de l'étendue du recours projeté par le protocole à l'embryon humain ou à des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain, ce recours devant être différé et limité autant qu'il demeure scientifiquement pertinent de le faire.

9. En l'espèce, la cour a relevé que l'Agence de la biomédecine avait accordé l'autorisation de recherche après avoir estimé que le projet, qui porte, après l'autorisation en 2014 d'un premier protocole de recherche ayant eu pour objet la différenciation de cellules souches embryonnaires en hépatocytes, sur une deuxième phase du protocole visant à la production d'hépatocytes issues de cellules souches embryonnaires afin notamment de démarrer un essai clinique chez des patients atteints d'insuffisance hépatique aiguë, ne pouvait être mené sans recourir à des cellules souches embryonnaires humaines dès lors notamment que l'utilisation de cellules souches pluripotentes induites (iPS) reprogrammées à partir de cellules humaines adultes serait inadaptée dans la mesure où ces cellules tendent à conserver une mémoire épigénétique, sont porteuses de mutations spécifiques, sont extrêmement hétérogènes et génèrent des hépatocytes immatures. En jugeant que cette autorisation ne méconnaissait pas les dispositions du 3° du I de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt et notamment bien recherché si la nécessité du recours aux cellules souches embryonnaires humaines pouvait, y compris s'agissant du moment et de l'étendue du recours projeté compte tenu des phases successives de la recherche entreprise, être regardée, à la date de l'autorisation litigieuse, comme suffisamment établie au vu des connaissances disponibles, a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis, qu'elle a prises en considération dans leur ensemble, une appréciation souveraine, sans les dénaturer, et n'a pas commis d'erreur de droit.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la fondation requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

Sur les frais de l'instance :

11. En application de l'article L. 1418-3 du code de la santé publique, les décisions prises par le directeur général de l'Agence de la biomédecine mentionnées au 10° de l'article L. 1418-1 du même code, qui incluent les décisions d'autorisation d'un protocole de recherche conduit sur les cellules souches embryonnaires humaines, le sont au nom de l'Etat. Par suite, les conclusions de la fondation Jérôme Lejeune tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de cette agence au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont mal dirigées et ne peuvent qu'être rejetées. Ces dispositions font également obstacle à ce que la somme demandée au même titre par l'Agence de la biomédecine lui soit versée. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la fondation Jérôme Lejeune une somme de 3 000 euros à verser à l'Etablissement français du sang au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de la fondation Jérôme Lejeune est rejeté.

Article 2 : La fondation Jérôme Lejeune versera à l'Etablissement français du sang une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de l'Agence de la biomédecine présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la fondation Jérôme Lejeune, à l'Agence de la biomédecine et à l'Etablissement français du sang.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 septembre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Vincent Mazauric, M. Edouard Geffray et Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 1er octobre 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Anne Redondo

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 472533
Date de la décision : 01/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

61-05-03 SANTÉ PUBLIQUE. - BIOÉTHIQUE. - TISSUS, CELLULES ET PRODUITS. - IMPORTATION D’UNE LIGNÉE DE CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES HUMAINES À DES FINS DE RECHERCHE – PAIEMENT D’UNE SOMME POUR COUVRIR LE CONDITIONNEMENT, LA CONSERVATION ET L’EXPÉDITION DE LA LIGNÉE – VIOLATION DU PRINCIPE DE NON-PATRIMONIALITÉ DU CORPS HUMAIN (ART. 16-1 DU CODE CIVIL) – ABSENCE.

61-05-03 Le principe de non-patrimonialité du corps humain prévu au troisième alinéa de l’article 16-1 du code civil ne s’oppose pas à qu’une personne puisse être autorisée à importer, en France, une lignée de cellules souches embryonnaires humaines à des fins de recherche en provenance d’une société étrangère exigeant le paiement d’une somme pour la commercialisation de cette lignée lorsqu’il apparaît que cette somme ne peut, eu égard notamment à son montant, avoir pour objet que de couvrir la prise en charge du conditionnement, de la conservation et de l’expédition de cette lignée.


Publications
Proposition de citation : CE, 01 oct. 2024, n° 472533
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Anne Redondo
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot
Avocat(s) : SCP PIWNICA & MOLINIE ; SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:472533.20241001
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