Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance du 19 août 2024, le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant, dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, sur le fondement de l'article L. 521-2 du même code, avant de statuer sur la requête de Mme E... D... tendant à l'annulation de l'ordonnance n° 2405268 du 17 juillet 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant, d'une part, à suspendre l'exécution de la décision du 19 juin 2024 par laquelle l'équipe médicale du centre hospitalier Avicenne à Bobigny (Seine-Saint-Denis) a décidé de limiter les thérapeutiques actives en cas d'aggravation de l'état de son frère, M. C... D..., et, d'autre part, à enjoindre au centre hospitalier de maintenir à ce dernier les thérapeutiques appropriées, a, d'une part, suspendu l'exécution de la décision contestée, et, d'autre part, ordonné une expertise aux fins de se prononcer, après avoir examiné le patient, rencontré l'équipe médicale et le personnel soignant en charge de ce dernier ainsi que ses proches, sur l'état actuel de M. D..., et de donner au Conseil d'Etat toutes indications utiles, en l'état de la science, sur les perspectives d'évolution qu'il pourrait connaître.
Par une ordonnance du 20 août 2024, le président de la section du contentieux a désigné le professeur F... B..., chef de l'unité " anesthésie réanimation tête et cou " au sein du département d'anesthésie-réanimation-médecine péri-opératoire du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, et le docteur H... J..., médecin spécialiste en médecine physique et de réadaptation au sein de l'unité de soins de rééducation post-réanimation/réanimation chirurgicale de l'hôpital Bicêtre, en qualité d'experts pour procéder à l'expertise ainsi définie.
Les experts ont déposé le 16 septembre 2024 leur rapport, qui a été communiqué aux parties.
Par un mémoire, enregistré le 19 septembre 2024, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris persiste dans ses précédentes conclusions.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme D... et, d'autre part, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 20 septembre 2024, à 9 heures 30 :
- Me Bouzidi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme D... ;
- M. G... D... ;
- M. A... D... ;
- les représentants de l'AP-HP ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que M. C... D..., né le 1er juin 1974, a été hospitalisé à trois reprises, entre décembre 2023 et février 2024, au centre hospitalier de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), pour des problèmes digestifs lourds ayant entraîné plusieurs chocs septiques et réclamé plusieurs interventions chirurgicales. Le 27 mars 2024, il a été admis en urgence à l'hôpital Delafontaine de Saint-Denis, et transféré le lendemain au service des urgences du centre hospitalier Avicenne de Bobigny pour " fuite de stomie " et anxiété. Peu après son admission, il a présenté un arrêt cardio-respiratoire, en lien avec des troubles métaboliques sévères et une infection digestive avec nécrose d'une partie de l'appareil digestif. L'activité cardiaque ayant repris après huit minutes de massage cardiaque et administration d'adrénaline, le patient a été intubé, ventilé et placé sous sédation. Après une laparotomie explorative, destinée à évaluer et stabiliser son système digestif, et l'arrêt de la sédation, M. D... présente depuis le 2 avril 2024 un état de conscience que le médecin expert désigné par le tribunal administratif de Montreuil, qui l'a examiné le 22 mai 2024, a classé au niveau 5 sur l'échelle dite CRS (" Coma Recovery Scale ") qui en compte 23, soit un état d'éveil non répondant avec ouverture des yeux sans contact. L'examen par imagerie à résonnance magnétique nucléaire (IRM) montre des lésions cérébrales étendues en lien avec l'arrêt cardio-respiratoire et les chocs septiques subis, et cohérentes avec les différents électro-encéphalogrammes réalisés. Lors d'une réunion collégiale pluridisciplinaire, tenue le 9 avril 2024, après consultation de la famille du patient, l'équipe médicale a pris la décision de procéder à une extubation terminale sous sédation et, dans l'attente de la réalisation de cette procédure, de limiter les thérapeutiques actives en cas d'aggravation de l'état du patient. Il a toutefois été convenu avec le père de M. D... de ne pas mettre en œuvre immédiatement la décision d'extubation. Mme E... D..., sœur de l'intéressé, a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil qui, après expertise, a ordonné à l'équipe médicale, par une ordonnance du 11 juin 2024, de ne pas mettre en œuvre cette décision qu'il a jugée avoir été prise sur la base de constatations réalisées sur une période trop brève, tout en relevant que " l'état de santé de M. D... ne fait pas, par lui-même, obstacle à la limitation des soins ". L'équipe médicale ayant pris, le 19 juin 2024, une nouvelle décision de limitation des thérapeutiques actives, Mme D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montreuil, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de cette décision. Elle fait appel de l'ordonnance du 17 juillet 2024, par laquelle le juge des référés du tribunal administratif, statuant dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande. Par une ordonnance du 19 août 2024, le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant avant-dire-droit sur cette requête, a, d'une part, suspendu la décision du 19 juin 2024 de limitation des soins, d'autre part, ordonné une expertise aux fins se prononcer, après avoir examiné le patient, rencontré l'équipe médicale et le personnel soignant en charge de ce dernier ainsi que ses proches, sur l'état actuel de M. D..., et de donner au Conseil d'Etat toutes indications utiles, en l'état de la science, sur les perspectives d'évolution qu'il pourrait connaître.
2. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport remis par le Professeur F... B... et le Docteur H... J..., experts désignés par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, que M. D... se trouve, depuis le début du mois d'avril 2024, dans un état d'éveil non répondant en raison de lésions neurologiques sévères d'origine anoxo-ischémique sans qu'aucune évolution favorable n'ait été observée dans les six mois qui ont suivi. Les experts estiment qu'il n'existe aucune perspective réaliste d'évolution vers un état de conscience moins altéré et qu'au contraire, le risque de complications, y compris fatale, est majeur à court terme compte tenu de la fragilité de l'état du patient, notamment de la faiblesse de son système immunitaire. Ils indiquent également que le patient présente, alors même qu'il se trouve en état pauci-relationnel, des réflexes douloureux témoignant d'un inconfort corporel qui nécessite une organisation palliative lourde. Ils rappellent que les patients présentant, comme M. D..., un trouble majeur de la conscience, peuvent donner le sentiment d'être en mesure de répondre à certains stimuli, voire à des ordres simples, émanant en particulier de leur entourage proche, mais que le caractère non reproductible de ces réactions s'oppose à la mise en place d'une véritable communication.
3. Dans ces conditions, la décision de l'équipe médicale de limiter la mise en œuvre de thérapeutiques actives en cas d'aggravation de l'état de M. D..., au motif que celles-ci relèveraient d'une obstination déraisonnable, ne peut être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il suit de là que l'appel formé par Mme D... doit être rejeté, y compris les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de partager les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du Conseil d'Etat entre Mme D... et l'AP-HP en mettant à la charge de Mme D... une somme de 1 000 euros, le reliquat étant mis à la charge de l'AP-HP.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du Conseil d'Etat le 19 août 2024 sont partagés entre Mme D... pour une somme de 1000 euros et l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris pour le reliquat.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme E... D... et à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 septembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Alain Seban et M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat, juges des référés.
Fait à Paris, le 30 septembre 2024
Signé : Pierre Collin