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26/09/2024 | FRANCE | N°492558

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 26 septembre 2024, 492558


Vu la procédure suivante :



M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun de suspendre, en application des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 4 décembre 2023, notifiée par un courrier du lendemain, par laquelle le président du conseil départemental du Val de-Marne a mis un terme à sa prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance en tant que jeune majeur ou, à défaut, d'enjoindre sous astreinte à ce président de réexaminer sa situation dans le d

élai de quinze jours. Par une ordonnance n° 2401389 du 29 février 2024, le ju...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun de suspendre, en application des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 4 décembre 2023, notifiée par un courrier du lendemain, par laquelle le président du conseil départemental du Val de-Marne a mis un terme à sa prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance en tant que jeune majeur ou, à défaut, d'enjoindre sous astreinte à ce président de réexaminer sa situation dans le délai de quinze jours. Par une ordonnance n° 2401389 du 29 février 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a fait droit à cette demande.

Par un pourvoi, enregistré le 13 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département du Val-de-Marne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de M. B....

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat du département du Val-de-Marne et à la SARL Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que M. A... B..., ressortissant ivoirien, après avoir été confié durant sa minorité aux services de l'aide sociale à l'enfance du département du Val-de-Marne, a bénéficié d'une prise en charge en qualité de jeune majeur à compter de la date de sa majorité, survenue le 20 mai 2023. Par une décision du 4 décembre 2023, le président du conseil départemental du Val-de-Marne a mis un terme à cette prise en charge au motif qu'une décision d'obligation de quitter le territoire français avait été prise à l'encontre de l'intéressé par un arrêté du 4 novembre 2023 du préfet de la Seine-Saint-Denis. Le département du Val-de-Marne se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 29 février 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Melun a, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, suspendu l'exécution de cette décision et enjoint au président du conseil départemental de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de quinze jours et, dans l'attente de ce réexamen, de reprendre sans délai l'accompagnement dont il faisait l'objet tant en ce qui concerne son hébergement que le suivi de sa situation administrative et sa formation professionnelle.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...) ". L'article L. 222-5 du code de l'aide sociale et des familles, dans sa rédaction issue de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration dispose : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) 5° Les majeurs âgés de moins de vingt et un ans et les mineurs émancipés qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants, lorsqu'ils ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance avant leur majorité, y compris lorsqu'ils ne bénéficient plus d'aucune prise en charge par l'aide sociale à l'enfance au moment de la décision mentionnée au premier alinéa du présent article et à l'exclusion de ceux faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. / Peuvent être également pris en charge à titre temporaire, par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance, les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants. (...) "

4. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision refusant une prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance ou mettant fin à une telle prise en charge, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner la situation de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler, s'il y a lieu, cette décision en accueillant lui-même la demande de l'intéressé s'il apparaît, à la date à laquelle il statue, eu égard à la marge d'appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans leur mise en œuvre, qu'un défaut de prise en charge conduirait à une méconnaissance des dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à la protection de l'enfance et en renvoyant l'intéressé devant l'administration afin qu'elle précise les modalités de cette prise en charge sur la base des motifs de son jugement. Saisi d'une demande de suspension de l'exécution d'une telle décision, il appartient, ainsi, au juge des référés de rechercher si, à la date à laquelle il se prononce, ces éléments font apparaître, en dépit de cette marge d'appréciation, un doute sérieux quant à la légalité d'un défaut de prise en charge.

5. Pour suspendre l'exécution de la décision attaquée par laquelle le département du Val-de-Marne a mis fin à la prise en charge de M. B... au titre de l'aide sociale à l'enfance comme jeune majeur, le juge des référés du tribunal administratif a jugé qu'étaient propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision les moyens tirés du défaut d'examen sérieux de la situation de M. B... et de l'erreur de droit commise au regard des dispositions de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles dans leur rédaction applicable à la date à laquelle la décision en litige avait été prise. En se déterminant ainsi, alors qu'il lui appartenait de se placer à la date à laquelle il se prononçait, en prenant dès lors en compte la marge d'appréciation désormais reconnue au département par le 5° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles s'agissant de la prise en charge des majeurs âgés de moins de vingt et un ans confiés à l'aide sociale à l'enfance avant leur majorité lorsque ceux-ci font l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, et de rechercher lui-même si, à cette date et en dépit de cette marge d'appréciation, les éléments relatifs à la situation de M. B... qui lui étaient soumis faisaient apparaître un doute sérieux quant à la légalité de la décision mettant fin à son contrat jeune majeur, le juge des référés a commis une erreur de droit. Il suit de là que le département du Val-de-Marne est fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander pour ce motif l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de régler l'affaire au titre de la procédure engagée.

Sur l'urgence :

7. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Eu égard aux effets particuliers d'une décision mettant fin à la prise en charge d'un jeune au titre de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, la condition d'urgence doit en principe être constatée lorsqu'il demande la suspension d'une telle décision. Il peut toutefois en aller autrement dans les cas où l'administration justifie de circonstances particulières, qu'il appartient au juge des référés de prendre en considération en procédant à une appréciation globale des circonstances de l'espèce qui lui est soumise.

8. En l'espèce, le département du Val-de-Marne fait valoir que M. B... dispose d'une épargne de 1 200 euros, qu'il peut faire appel à l'aide sociale de droit commun et qu'il a été interpellé et placé en garde en vue à la suite d'un contrôle de police lors d'un accident de la route provoqué par le véhicule dont il était passager. Il ne peut être regardé comme justifiant, ce faisant, alors qu'il résulte par ailleurs de l'instruction que la décision en litige a eu pour effet de priver M. B... de l'hébergement dont il bénéficiait dans le cadre de sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance et que l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet a conduit à l'interruption de la formation professionnelle dont il bénéficiait et des ressources afférentes, de circonstances particulières de nature à faire regarder la condition d'urgence comme n'étant pas remplie.

Sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse :

9. Il résulte de l'instruction que, par un jugement du 20 mars 2024, le tribunal administratif de Melun a annulé pour excès de pouvoir la décision du 4 novembre 2023 du préfet de la Seine-Saint-Denis faisant obligation à M. B... de quitter le territoire français. L'existence de cette décision constituant, comme il a été dit au point 1, le motif de la décision en litige du 4 décembre 2023 du président du conseil départemental du Val-de-Marne mettant fin à la prise en charge de M. B... au titre de l'aide sociale à l'enfance en tant que jeune majeur, celui-ci est fondé à soutenir que cette circonstance est propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à demander la suspension de l'exécution de la décision du 4 décembre 2023 du président du conseil départemental du Val-de-Marne.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SARL Thouvenin, Coudray Grévy, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge du département du Val-de-Marne la somme de 3 000 euros à verser à cette société.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 29 février 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Melun est annulée.

Article 2 : L'exécution de la décision du 4 décembre 2023 par laquelle le président du conseil départemental du Val-de-Marne a mis fin à la prise en charge de M. B... au titre de l'aide sociale à l'enfance en qualité de jeune majeur est suspendue.

Article 3 : Le département du Val-de-Marne versera une somme de 3 000 euros à la SARL Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de M. B..., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au département du Val-de-Marne et à M. A... B....

Délibéré à l'issue de la séance du 12 septembre 2024 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 26 septembre 2024.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

Le rapporteur :

Signé : M. Pierre Boussaroque

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 492558
Date de la décision : 26/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 sep. 2024, n° 492558
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Pierre Boussaroque
Rapporteur public ?: M. Mathieu Le Coq
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 29/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492558.20240926
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