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18/09/2024 | FRANCE | N°495309

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 18 septembre 2024, 495309


Vu la procédure suivante :



Mme B... A..., à l'appui de sa requête d'appel tendant à l'annulation du jugement n° 2106352 du 24 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 10 juin 2021 par laquelle la directrice générale de l'agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes l'a suspendue du droit d'exercer la maïeutique pour une durée de cinq mois en application de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, a produit un mémoire, enregistré le 23 mai 2024 au greffe de la

cour administrative d'appel de Lyon, en application de l'article 23-1 de l'o...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A..., à l'appui de sa requête d'appel tendant à l'annulation du jugement n° 2106352 du 24 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 10 juin 2021 par laquelle la directrice générale de l'agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes l'a suspendue du droit d'exercer la maïeutique pour une durée de cinq mois en application de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, a produit un mémoire, enregistré le 23 mai 2024 au greffe de la cour administrative d'appel de Lyon, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 23LY01069 QPC du 18 juin 2024, enregistrée le 21 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Lyon, avant qu'il soit statué sur la requête de Mme B... A..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Fraval, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique : " En cas d'urgence, lorsque la poursuite de son exercice par (...) une sage-femme expose ses patients à un danger grave, le directeur général de l'agence régionale de santé dont relève le lieu d'exercice du professionnel prononce la suspension immédiate du droit d'exercer pour une durée maximale de cinq mois. Il entend l'intéressé au plus tard dans un délai de trois jours suivant la décision de suspension. / Le directeur général de l'agence régionale de santé dont relève le lieu d'exercice du professionnel informe immédiatement de sa décision le président du conseil départemental compétent et saisit sans délai le conseil régional ou interrégional lorsque le danger est lié à une infirmité, un état pathologique ou l'insuffisance professionnelle du praticien, ou la chambre disciplinaire de première instance dans les autres cas. Le conseil régional ou interrégional ou la chambre disciplinaire de première instance statue dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. En l'absence de décision dans ce délai, l'affaire est portée devant le Conseil national ou la Chambre disciplinaire nationale, qui statue dans un délai de deux mois. A défaut de décision dans ce délai, la mesure de suspension prend fin automatiquement. / Le directeur général de l'agence régionale de santé dont relève le lieu d'exercice du professionnel informe également les organismes d'assurance maladie dont dépend le professionnel concerné par sa décision et le représentant de l'Etat dans le département. / Le directeur général de l'agence régionale de santé dont relève le lieu d'exercice du professionnel peut à tout moment mettre fin à la suspension qu'il a prononcée lorsqu'il constate la cessation du danger. Il en informe le conseil départemental et le conseil régional ou interrégional compétents et, le cas échéant, la chambre disciplinaire compétente, ainsi que les organismes d'assurance maladie et le représentant de l'Etat dans le département. / (...) la sage-femme dont le droit d'exercer a été suspendu selon la procédure prévue au présent article peut exercer un recours contre la décision du directeur général de l'agence régionale de santé dont relève le lieu d'exercice du professionnel devant le tribunal administratif, qui statue en référé dans un délai de quarante-huit heures. / Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat. / Le présent article n'est pas applicable aux (...) sages-femmes qui relèvent des dispositions de l'article L. 4138-2 du code de la défense ".

3. A l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle soulève à l'encontre des dispositions de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, citées au point précédent, Mme A... soutient qu'elles méconnaissent, premièrement, l'article 8 et l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, faute d'assurer le respect des droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif, deuxièmement, les articles 1er et 6 de cette Déclaration, en ce qu'en cas de prononcé d'une mesure de suspension sur leur fondement, seul le professionnel qui exerce à titre libéral est privé de rémunération, troisièmement, l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, le législateur n'ayant pas épuisé sa compétence, ainsi que l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

4. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ". Les principes énoncés par l'article 8 de cette Déclaration ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

5. De deuxième part, aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Sont garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées d'exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, ainsi que les droits de la défense lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition.

6. De dernière part, ni l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ni aucune autre règle ou principe de valeur constitutionnelle n'imposent, par eux-mêmes, à une décision à caractère conservatoire émanant d'une autorité administrative, qui n'est pas une sanction ayant le caractère d'une punition, de faire l'objet d'une procédure contradictoire préalable.

7. Par ailleurs, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence, telle que découlant notamment de l'article 34 de la Constitution, ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

8. En outre, si l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques, sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.

9. En l'espèce, les dispositions de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, qui prévoient qu'en cas d'urgence, lorsque la poursuite de son exercice professionnel par une sage-femme expose ses patients à un danger grave, le directeur général de l'agence régionale de santé dont relève le lieu d'exercice du professionnel, peut prononcer la suspension immédiate de son droit d'exercer pour une durée maximale de cinq mois, ont pour objet d'assurer la protection de la santé et de la sécurité des patients. La décision de suspension du professionnel prise sur leur fondement constitue ainsi non une sanction, mais une mesure conservatoire. Il s'ensuit, ainsi qu'il a été dit au point 6, qu'est inopérant le moyen tiré de ce que ces dispositions, en ce qu'elles ne prévoient pas que le prononcé de la mesure de suspension est précédé par un entretien avec la sage-femme, n'assureraient pas le respect des droits de la défense. Par voie de conséquence, le moyen tiré de ce que le législateur serait, faute d'avoir édicté de telles dispositions, resté en-deçà de sa compétence dans des conditions de nature à affecter le respect des droits de la défense, ne peut qu'être également écarté.

10. Par ailleurs, si à défaut de toute précision dans la loi en ce qui concerne, notamment, la nature des pouvoirs du juge des référés dont l'intervention est prévue par les dispositions citées ci-dessus de l'antépénultième alinéa de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, ces dispositions n'ont pu entrer en vigueur en l'absence de définition de leurs modalités d'application par le décret en Conseil d'Etat prévu à l'avant-dernier alinéa de cet article, la sage-femme qui fait l'objet d'une décision prise sur le fondement de ces dispositions peut toutefois, si elle s'y croit fondée, saisir le tribunal administratif d'une demande d'annulation pour excès de pouvoir assortie, le cas échéant, d'une demande tendant à ce que, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés en suspende l'exécution, ou saisir le juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Elle dispose en outre des mêmes voies de droit à l'encontre d'une décision par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé refuse d'abroger un arrêté pris, à son égard, sur le fondement de ces dispositions. Il suit de là que les moyens tirés de ce que les dispositions de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, faute de comporter des dispositions, immédiatement applicables, relatives aux voies de recours contre les décisions de suspension, méconnaitraient le droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions de nature à affecter le respect de ce droit ne peuvent qu'être écartés. Par ailleurs, Mme A... ne peut utilement soutenir que, pour les mêmes raisons, ces dispositions ne répondraient pas à l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, une telle méconnaissance ne pouvant, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité, ainsi qu'il a été dit au point 8.

11. En second lieu, aux termes de l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. (...) ". Aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. (...) ". Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

12. Si Mme A... soutient que, dès lors que, par l'effet d'autres dispositions législatives, les sages-femmes, employées en qualité de salariées ou d'agentes publiques, conservent leur rémunération lorsqu'elles font l'objet d'une suspension prononcée sur le fondement des dispositions de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, ces dernières dispositions auraient dû comporter une même règle pour les sages-femmes exerçant à titre libéral, il n'en résulte pas que les dispositions à l'article L. 4113-14 seraient, par elles-mêmes, entachées d'une méconnaissance du principe d'égalité, ni, en tout état de cause, que le législateur aurait, ce faisant, méconnu sa compétence dans des conditions de nature à affecter le respect du principe d'égalité. Enfin, comme il a été précédemment dit, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées, compte tenu de la carence ainsi alléguée, ne répondraient pas à l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi est inopérant.

13. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A..., à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et au Premier ministre.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la cour administrative d'appel de Lyon.

Délibéré à l'issue de la séance du 9 septembre 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Cécile Fraval, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 18 septembre 2024.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

La rapporteure :

Signé : Mme Cécile Fraval

Le secrétaire :

Signé : M. Christophe Bouba


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 495309
Date de la décision : 18/09/2024
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 18 sep. 2024, n° 495309
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Fraval
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier

Origine de la décision
Date de l'import : 29/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:495309.20240918
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