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13/09/2024 | FRANCE | N°497087

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, formation collégiale, 13 septembre 2024, 497087


Vu la procédure suivante :

Mme A... E... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 25 juillet 2024 par laquelle le docteur D..., médecin au service d'anesthésie et de réanimation du centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Etienne, a décidé, à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, de limiter les traitements prodigués à son époux, M. C... E...

. Par une ordonnance n° 2407407 du 2 août 2024, le juge des référés du tri...

Vu la procédure suivante :

Mme A... E... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 25 juillet 2024 par laquelle le docteur D..., médecin au service d'anesthésie et de réanimation du centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Etienne, a décidé, à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, de limiter les traitements prodigués à son époux, M. C... E.... Par une ordonnance n° 2407407 du 2 août 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 19 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 2 août 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de suspendre l'exécution de la décision du 25 juillet 2024 ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise pour déterminer l'état de conscience de M. E... ;

4°) de mettre à la charge du CHU de Saint-Etienne la somme de 3 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie de M. E... ;

- la décision contestée a été prise au terme d'une procédure qui méconnaît les dispositions de l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique en ce que, d'une part, l'absence de liens hiérarchiques entre le médecin en charge du patient et ceux appelés en tant que consultants ne peut être établie et, d'autre part, elle ne comporte aucune motivation ;

- la décision de limitation de soins est manifestement illégale, dès lors que M. E... est capable d'exprimer sa volonté et lutte pour recouvrer la santé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 septembre 2024, le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, que les moyens soulevés à l'encontre de la décision du 25 juillet 2024 ne sont pas fondés et qu'une nouvelle décision de limitation des traitements a été prise le 4 septembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme E... et, d'autre part, le CHU de Saint-Etienne ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 10 septembre 2024, à 10 heures 30 :

- Me Occhipinti, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme E... ;

- Mme A... E... et Mme F... E... ;

- Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du CHU de Saint-Etienne ;

- le représentant du CHU de Saint-Etienne ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...) ".

Sur le cadre juridique applicable au litige :

2. Aux termes de l'article L. 1110-1 du code la santé publique : " Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. (...) ". L'article L. 1110-2 de ce code dispose que : " La personne malade a droit au respect de sa dignité ".

3. Aux termes de l'article L. 1110-5 du même code : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (...) ". Aux termes de l'article L. 1110-5-1 du même code : " Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire (...) ". Aux termes de l'article L. 1111-4 du même code : " Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. / Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement (...) / Le médecin a l'obligation de respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de refuser ou d'interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. Elle peut faire appel à un autre membre du corps médical. (...) / Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. / Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible d'entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical (...) ".

4. L'article R. 4127-37 du code de la santé publique énonce, au titre des devoirs envers les patients, qui incombent aux médecins en vertu du code de déontologie médicale : " En toutes circonstances, le médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l'assister moralement. Il doit s'abstenir de toute obstination déraisonnable et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie (...) ".

5. Par les dispositions citées au point 3, le législateur a déterminé le cadre dans lequel peut être prise, par un médecin, une décision de limiter ou d'arrêter un traitement dans le cas où sa poursuite traduirait une obstination déraisonnable. Il résulte des dispositions précédemment citées que toute personne doit recevoir les soins les plus appropriés à son état de santé, sans que les actes de prévention, d'investigation et de soins qui sont pratiqués lui fassent courir des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces actes ne doivent toutefois pas être poursuivis par une obstination déraisonnable et ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris lorsqu'ils apparaissent inutiles ou disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, que la personne malade soit ou non en fin de vie.

Sur le litige en référé :

6. Il résulte de l'instruction que M. C... E..., né le 9 novembre 1947, a été opéré le 7 mars 2024 au service de chirurgie vasculaire du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne d'un anévrisme de l'aorte sous-rénale. A la suite de cette opération sont apparues de graves complications, liées notamment à une ischémie aiguë du membre inférieur droit, puis à un syndrome des loges et à une rhabdomyolyse ayant entraîné une insuffisance rénale aiguë nécessitant le recours à une épuration extra-rénale. Ces complications ont conduit à l'admission du patient, le 11 mars 2024, dans un des services d'anesthésie et de réanimation du CHU de Saint-Etienne et ont nécessité dix-neuf nouvelles interventions chirurgicales entre le 9 mars et le 15 mai 2024. Au cours des presque six mois d'hospitalisation au sein du service de réanimation, l'état de santé de M. E... s'est fortement dégradé, notamment en raison d'une perforation de l'intestin grêle ayant entraîné des écoulements de liquide digestif et un sepsis, de difficultés d'alimentation et d'une neuromyopathie de réanimation. La dégradation de l'état de santé de M. E... a conduit les médecins du service d'anesthésie et de réanimation, à partir du 25 avril 2024, à prendre plusieurs décisions successives de limitation des thérapeutiques actives susceptibles d'être prodiguées au patient, consistant, le 25 avril et le 2 mai 2024, à ne pas traiter les complications les plus graves, notamment un choc septique grave, puis, par les décisions du 23 mai et du 28 juin, à exclure la mise en œuvre d'une éventuelle reventilation, d'une épuration extra-rénale et de nouveaux actes chirurgicaux.

7. Par une nouvelle décision du 25 juillet 2024, prise à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique pour le cas où le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, le docteur D..., médecin de ce service de réanimation, a étendu le champ de la limitation des traitements susceptibles d'être prodigués à M. E..., en excluant également une réanimation en cas d'arrêt cardio-respiratoire, l'administration de drogues vaso-actives, la réalisation de nouvelles endoscopies et d'examens d'imagerie nécessitant un transfert de service et l'administration de nouvelles antibiothérapies. Mme A... E..., épouse du patient, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à la suspension de l'exécution de cette décision. Par la présente requête, elle relève appel de l'ordonnance du 2 août 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande.

8. Au cours de l'instruction de cet appel devant le juge des référés du Conseil d'Etat, alors que M. E... est conscient et a pu, en dépit de la faiblesse de son état général et de la mise en place, depuis le 5 mai 2024, d'une trachéotomie qui limitent ses capacités d'expression, exprimer sa volonté à l'équipe médicale, une nouvelle décision de limitation des soins susceptibles de lui être prodigués a été prise le 4 septembre 2024 par le professeur B..., responsable du service d'anesthésie et de réanimation au sein duquel est hospitalisé M. E.... Cette décision lève certaines des limitations qui avaient été prévues par la décision du 25 juillet 2024, notamment en ce qui concerne les antibiothérapies et la possibilité d'un changement de sonde urinaire, de la réalisation de gastroscopie et de transfusion, sauf en cas de saignement massif. Elle exclut en revanche les traitements lourds de réanimation en cas d'arrêt cardiaque ou de syndrome de détresse respiratoire aiguë, l'administration de drogues vaso-actives ou la dialyse et retient que la chirurgie abdominale est contre indiquée. Cette décision a été prise sans mise en œuvre de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, le médecin ayant pu brièvement communiquer avec le patient et constater qu'il était en état d'exprimer sa volonté.

9. L'intervention de cette nouvelle décision le 4 septembre 2024 a conduit à mettre fin aux effets de la décision prise le 25 juillet 2024. Eu égard à l'office du juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la contestation des conditions d'intervention de la décision du 25 juillet 2024, reprise en appel devant le juge des référés du Conseil d'Etat, se trouve désormais privée d'objet.

10. Il résulte, en outre, de l'instruction écrite ainsi que des échanges intervenus au cours de l'audience de référé que l'état de santé de M. E..., qui ne peut être accueilli dans un autre cadre qu'un service de réanimation, est particulièrement dégradé et que la mise en œuvre des traitements lourds et invasifs visés par la décision du 4 septembre 2024 est susceptible de l'aggraver sans présenter de réelles perspectives thérapeutiques. Dans les circonstances propres à l'espèce, l'appréciation portée par le médecin, selon laquelle la mise en œuvre des soins visés par cette décision emporterait des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté et traduirait une obstination déraisonnable, et sa décision de ne pas y recourir ou de les limiter ne peuvent être regardées, alors même que M. E... et sa famille s'opposent à la mise en œuvre de cette décision, comme ayant porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale invoquée.

11. Il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par l'ordonnance du 2 août 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Sa requête d'appel doit, par suite, être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de de Mme E... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... E... et au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne.

Délibéré à l'issue de la séance du 10 septembre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Anne Egerszegi et M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat, juges des référés.


Synthèse
Formation : Juge des référés, formation collégiale
Numéro d'arrêt : 497087
Date de la décision : 13/09/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 sep. 2024, n° 497087
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. J-Y Ollier
Avocat(s) : OCCHIPINTI ; SARL LE PRADO – GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 18/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:497087.20240913
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