Vu la procédure suivante :
Mme F... E..., Mme D... E... épouse A..., Mme G... E... épouse B..., M. H... E... et Mme I... C... épouse E... ont demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, d'annuler l'arrêté du 21 mars 2017 par lequel le maire de Savigny-le-Temple (Seine-et-Marne) a autorisé, au nom de l'Etat, la société SIM à démolir partiellement quatre bâtiments existants et à construire deux bâtiments de 9 logements sur un terrain situé 5 rue Grande à Savigny-le-Temple, l'arrêté du 29 avril 2019 par lequel le maire de Savigny-le-Temple a, au nom de l'Etat, délivré à la société SIM un permis de construire modificatif en vue de la régularisation des travaux pour démolition et la reconstruction de la façade sur rue à l'identique et la création d'un vide sanitaire sur le terrain situé 5 rue Grande à Savigny-le-Temple ainsi que les décisions implicites des 25 mars et 22 avril 2022 rejetant leurs recours administratifs et, d'autre part, d'ordonner une expertise pour déterminer l'état initial du terrain naturel et l'exactitude des cotes des permis de construire.
Par un jugement n° 2204750 du 10 mars 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 mai et 11 août 2023 et le 24 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme F... E..., Mme D... E... épouse A..., Mme G... E... épouse B..., M. H... E... et Mme I... C... épouse E... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de renvoyer l'affaire au tribunal administratif de Melun ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société SIM la somme de 4 000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de Mme E... et autres, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de la société SIM et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Savigny-le-Temple ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... et autres ont demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 21 mars 2017 par lequel le maire de Savigny-le-Temple (Seine-et-Marne) a autorisé, au nom de l'Etat, la société SIM à démolir partiellement quatre bâtiments existants et à construire deux bâtiments de neuf logements sur un terrain situé 5 rue Grande à Savigny-le-Temple, et l'arrêté du 29 avril 2019 par lequel le maire de Savigny-le-Temple a, au nom de l'Etat, délivré à la société SIM un permis de construire modificatif en vue de la régularisation des travaux pour démolition et la reconstruction de la façade sur rue à l'identique et la création d'un vide sanitaire, ainsi que des décisions implicites des 25 mars et 22 avril 2022 rejetant leurs recours administratifs tendant au retrait des permis délivrés les 21 mars 2017 et 29 avril 2019 et, d'autre part, d'ordonner une expertise pour déterminer l'état initial du terrain naturel et l'exactitude des cotes des permis de construire. Par un jugement du 10 mars 2023, contre lequel Mme E... et autres se pourvoient en cassation, le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande, considérant, d'une part, que le recours contre le permis initial était tardif et, d'autre part, qu'ils n'avaient pas intérêt à agir contre le permis modificatif.
Sur les demandes de première instance tendant à l'annulation du permis de construire initial et du permis de construire modificatif :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment d'un constat d'huissier produit en défense par la société pétitionnaire, que les 20 septembre, 20 octobre et 21 novembre 2017, un affichage du permis de construire du 21 mars 2017 a été réalisé au niveau du terrain d'assiette du projet, précisément à gauche du bar à l'enseigne " le 421 ", et qu'il était visible depuis la voie publique. La circonstance qu'un huissier, ait, à la demande des requérants, établi le 12 août 2021 que l'affichage n'était plus lisible, n'est pas par elle-même de nature à remettre en cause l'appréciation portée par les juges de fond sur la régularité de l'affichage réalisé et constaté à la suite de la délivrance du permis de construire le 21 mars 2017 ainsi que sur l'opposabilité du délai de recours contentieux qui en résultait. Les moyens tirés de ce que le tribunal, en jugeant qu'il ressortait de la photographie produite dans le constat d'huissier établi à la demande de la société pétitionnaire était visible et lisible depuis la voie publique, aurait entaché son jugement d'une dénaturation du constat d'huissier et d'insuffisance de motivation, doivent, par suite, être écartés.
3. En second lieu, aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. Le présent article n'est pas applicable aux décisions contestées par le pétitionnaire ".
4. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Lorsque le requérant, sans avoir contesté le permis initial ou après avoir épuisé les voies de recours contre le permis initial, ainsi devenu définitif, forme un recours contre un permis de construire modificatif, son intérêt pour agir doit être apprécié au regard de la portée des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé. Il appartient dans tous les cas au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction ou, lorsque le contentieux porte sur un permis de construire modificatif, des modifications apportées au projet.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les requérants, voisins immédiats du projet, se prévalaient, à l'encontre du permis de construire modificatif délivré le 29 avril 2019, de la non-conformité des travaux effectués à ce permis modificatif, d'un préjudice de vue, d'une perte d'ensoleillement et, par voie de conséquence, d'une dévalorisation de leur bien. Pour juger qu'ils ne justifiaient pas d'un intérêt à agir pour contester la légalité de ce permis, le tribunal a d'abord relevé que celui-ci porte sur la régularisation des travaux pour démolition et reconstruction de la façade sur rue à l'identique et qu'il autorise la création d'un vide sanitaire, puis a jugé, d'une part, que les requérants n'ont fait état d'aucun élément relatif à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction tel que modifié par le permis de construire modificatif, et d'autre part que la circonstance alléguée relative à la non-conformité des travaux effectués au permis modificatif est sans incidence sur l'appréciation de leur intérêt à agir. En statuant ainsi, le tribunal, qui n'a pas entaché sa décision d'insuffisance de motivation ni dénaturé les pièces du dossier, n'a pas commis d'erreur de qualification juridique.
Sur les demandes de première instance tendant à l'annulation des décisions rejetant leurs recours administratifs sollicitant le retrait du permis de construire initial et du permis de construire modificatif :
6. Si, ainsi que le prévoit l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration, la circonstance qu'un acte administratif a été obtenu par fraude permet à l'autorité administrative compétente de l'abroger ou de le retirer à tout moment, sans qu'y fassent obstacle, s'agissant d'un permis de construire, les dispositions de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme, selon lesquelles une telle décision ne peut faire l'objet d'aucun retrait, elle ne saurait, en revanche, proroger le délai du recours contentieux contre cette décision. Toutefois, un tiers justifiant d'un intérêt à agir est recevable à demander, dans le délai du recours contentieux, l'annulation de la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l'a saisie d'une demande à cette fin. Dans un tel cas, il incombe au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de vérifier la réalité de la fraude alléguée à la date du permis de construire puis, en cas de fraude, de contrôler que l'appréciation de l'administration sur l'opportunité de procéder ou non à l'abrogation ou au retrait n'est pas entachée d'erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter, soit du maintien de l'acte litigieux, soit de son abrogation ou de son retrait.
7. Il résulte des énonciations du jugement attaqué que, pour rejeter la demande de Mme E... et autres, le tribunal administratif de Melun s'est borné à déclarer irrecevables les conclusions dirigées contre les arrêtés délivrant le permis de construire et le permis de construire modificatif. En jugeant que Mme E... et autres ne justifiaient pas d'un intérêt à agir pour contester la légalité du permis de construire modificatif, ainsi qu'il a été dit au point 5, le tribunal administratif de Melun a implicitement mais nécessairement jugé que les requérants ne disposaient pas d'un intérêt pour agir contre les décisions implicites des 25 mars et 22 avril 2022 en tant qu'elles concernent ce permis modificatif. En revanche, en se bornant à juger que les conclusions dirigées contre le permis de construire initial étaient tardives, sans statuer sur les conclusions dirigées contre les décisions implicites de rejet des recours gracieux et hiérarchiques formés par Mme E... et autres, en tant qu'ils concernent ce permis de construire initial, alors que les requérants soutenaient, à l'appui de ces recours, que le permis de construire avait été obtenu frauduleusement et pouvait, à ce titre, être retiré à tout moment, le tribunal administratif de Melun a méconnu son office.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... et autres sont fondés à demander l'annulation du jugement qu'ils attaquent en tant qu'il n'a pas répondu aux moyens et conclusions dirigés contre les décisions implicites des 25 mars et 22 avril 2022, en tant seulement que ces décisions rejettent leurs demandes de retrait du permis de construire délivré le 21 mars 2017.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et de la société SIM la somme de 3 000 euros à verser à Mme E... et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme E... et autres qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement n° 2204750 du 10 mars 2023 du tribunal administratif de Melun est annulé en tant qu'il n'a pas répondu aux moyens et conclusions dirigés contre les décisions implicites des 25 mars et 22 avril 2022 en tant seulement qu'elles rejettent leurs demandes de retrait du permis délivré le 21 mars 2017.
Article 2 : La société SIM et l'Etat verseront à Mme E... et autres une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, au tribunal administratif de Melun.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Savigny-le-Temple et la société SIM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme F... E..., première dénommée pour l'ensemble des requérants, à la commune de Savigny-le-Temple, à la société SIM et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 juillet 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.
Rendu le 9 septembre 2024.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
Le rapporteur :
Signé : M. Antoine Berger
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo