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09/09/2024 | FRANCE | N°472364

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 09 septembre 2024, 472364


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 mars et 22 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Acora Audit et M. B... A... demandent au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler la décision n° FR 2021-02 S du 23 janvier 2023 par laquelle la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes a, d'une part, prononcé à l'encontre de la société Acora Audit la sanction disciplinaire d'interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux

comptes pendant un mois, assortie du sursis pour l'intégralité de sa durée et, d'autre...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 mars et 22 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Acora Audit et M. B... A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° FR 2021-02 S du 23 janvier 2023 par laquelle la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes a, d'une part, prononcé à l'encontre de la société Acora Audit la sanction disciplinaire d'interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pendant un mois, assortie du sursis pour l'intégralité de sa durée et, d'autre part, prononcé à l'encontre de M. B... A... la sanction disciplinaire d'interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pendant un mois, assortie du sursis pour l'intégralité de sa durée ;

2°) de dire que la société Acora Audit, en sa qualité de commissaire aux comptes titulaire du mandat de certification des comptes de l'exercice 2012 de la société Sermi-Plast, et M. B... A..., en sa qualité de commissaire aux comptes signataire du rapport de certification de ces comptes, n'ont pas commis de faute disciplinaire justifiant le prononcé d'une sanction ;

3°) à titre subsidiaire, de prononcer à leur encontre la sanction disciplinaire la moins sévère ;

4°) de mettre à la charge du Haut conseil du commissariat aux comptes la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Acora Audit et autre et à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de la Haute autorité de l'audit ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que la société Sermi-Plast, spécialisée dans la fabrication de pièces techniques à base de matières plastiques, a, successivement, désigné en qualité de commissaire aux comptes M. B... A..., de 1994 à 2004, puis la société Acora Audit, représentée par M. A... en qualité de signataire, de 2004 jusqu'au 28 juin 2013, date de l'assemblée générale d'approbation des comptes de l'exercice 2012. Ces derniers comptes ont fait l'objet d'un rapport de certification sans réserve de la société Acora Audit, signé par M. A..., le 6 juin 2013. Par un courriel du 28 juin 2013, la société Acora Audit a informé le président de la société Sermi-Plat de la présence d'écritures anormales dans les comptes de la société, susceptibles de caractériser une erreur de comptabilisation ou l'existence d'une fraude. Un rapport établi le 1er octobre 2013, à la suite d'une revue fiscale réalisée par une société d'expertise comptable, a mis en évidence des majorations de la taxe sur la valeur ajoutée déductible, avec pour contrepartie des dettes fournisseurs fictives ayant permis de masquer des détournements de fonds, pour un montant de 416 327 euros sur cinq ans, dont 279 468 euros entre 2010 et 2012. Le 8 janvier 2019, à la suite d'une plainte déposée par la société Sermi-Plast, la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse a déclaré la comptable de cette société coupable de faux, usage de faux et abus de confiance. Par ailleurs, à la suite d'un signalement de la société Sermi-Plast, le procureur général près la cour d'appel de Lyon a saisi le rapporteur général du Haut conseil du commissariat aux comptes, lequel a ouvert, le 13 octobre 2017, une enquête concernant le respect par la société Acora Audit et M. A... des obligations légales et réglementaires relatives à l'exercice du commissariat aux comptes. Par une décision du 23 janvier 2023, la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes a prononcé à l'encontre, d'une part, de la société Acora Audit et, d'autre part, de M. A... une sanction d'interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pendant un mois, assortie du sursis pour l'intégralité de sa durée. La société Acora Audit et M. A... demandent l'annulation de cette décision.

Sur les manquements retenus :

2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 823-9 du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits en litige : " Les commissaires aux comptes certifient, en justifiant de leurs appréciations, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l'entité à la fin de cet exercice ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 823-13 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " A toute époque de l'année, les commissaires aux comptes, ensemble ou séparément, opèrent toutes vérifications et tous contrôles qu'ils jugent opportuns et peuvent se faire communiquer sur place toutes les pièces qu'ils estiment utiles à l'exercice de leur mission et notamment tous contrats, livres, documents comptables et registres des procès-verbaux ". Aux termes de l'article R. 822-32 de ce code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Toute infraction aux lois, règlements et normes d'exercice professionnel homologuées par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice (...), toute négligence grave (...) constitue une faute disciplinaire passible de l'une des sanctions disciplinaires énoncées à l'article L. 822-8 ".

3. D'autre part, aux termes du point 11 de la norme d'exercice professionnel 700, reprise à l'article A. 823-26 du code de commerce dans sa version alors en vigueur : " 11. Le commissaire aux comptes formule une certification sans réserve lorsque l'audit des comptes qu'il a mis en œuvre lui a permis d'obtenir l'assurance élevée, mais non absolue du fait des limites de l'audit, et qualifiée par convention d'assurance raisonnable que les comptes, pris dans leur ensemble, ne comportent pas d'anomalies significatives ". Aux termes des points 25 et 26 de la norme d'exercice professionnel 330, reprise à l'article A. 823-8 du code de commerce, dans sa version alors en vigueur : " 25. Le commissaire aux comptes conclut sur le caractère suffisant et approprié des éléments collectés afin de réduire le risque d'audit à un niveau suffisamment faible pour obtenir l'assurance recherchée. Pour ce faire, le commissaire aux comptes tient compte à la fois des éléments qui confirment et de ceux qui contredisent le respect des assertions. / 26. Si le commissaire aux comptes n'a pas obtenu d'éléments suffisants et appropriés pour confirmer un élément significatif au niveau des comptes, il s'efforce d'obtenir des éléments complémentaires. S'il n'est pas en mesure de collecter des éléments suffisants et appropriés, il formule une opinion avec réserve ou une impossibilité de certifier ".

4. Il résulte de l'instruction qu'à la date de signature du rapport de certification des comptes de la société Sermi-Plast pour l'exercice 2012, le 6 juin 2013, la société Acora Audit et M. A... n'avaient identifié qu'une seule anomalie comptable résultant du journal des achats de janvier 2013. S'il est constant, ainsi que le font valoir les requérants, que cette anomalie, d'un montant non significatif, ne concernait pas les comptes de l'exercice 2012, il résulte toutefois de l'instruction que les commissaires aux comptes disposaient également, à la date de la signature du rapport de certification, du journal des achats de décembre 2012, lequel comportait sept autres écritures, d'un montant total de 19 000 euros, présentant le même schéma comptable anormal que celui identifié pour le mois de janvier 2013. Il résulte en outre de l'instruction que le journal des achats de l'intégralité de l'année 2012, dont les commissaires aux comptes n'ont demandé la communication que postérieurement à leur certification des comptes, comportait un total de trente-deux écritures présentant la même anomalie comptable, pour un montant total d'environ 100 000 euros. Il suit de là que c'est à bon droit que la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes a retenu que la société Acora Audit et M. A... ont certifié sans réserve les comptes de la société Sermi-Plast au titre de l'exercice 2012, alors, d'une part, que ceux-ci étaient affectés d'irrégularités significatives, susceptibles de révéler l'existence d'une fraude, dont ils auraient dû avoir connaissance au regard des documents dont ils disposaient à la date de la signature du rapport de certification et, d'autre part, qu'aucune investigation complémentaire, malgré l'identification d'une anomalie comptable sur le mois de janvier 2013, n'a été menée, antérieurement à cette certification, en vue d'obtenir les éléments suffisants et appropriés permettant d'obtenir l'assurance raisonnable que les comptes en cause, pris dans leur ensemble, ne comportaient pas d'anomalies significatives. Par ailleurs, la circonstance, invoquée par les requérants, que des experts-comptables ou d'autres experts n'auraient pas identifié les anomalies affectant les comptes antérieurs à l'exercice 2012 de la société Sermi-Plast est, en tout état de cause, sans incidence sur l'appréciation des manquements des commissaires aux comptes en cause à leurs propres obligations législatives et réglementaires. Est également sans incidence sur la question de la régularité et de la sincérité des comptes certifiés sans réserve par les commissaires aux comptes la circonstance, invoquée par les requérants, que seul le Trésor public aurait été pénalisé par la fraude en cause. Dès lors, les requérants ne sont pas fondés à reprocher à la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes d'avoir retenu les manquements à leurs obligations professionnelles tirés de ce qu'ils ont certifié sans réserve les comptes de la société Sermi-Plast de l'exercice 2012, lesquels étaient pourtant affectés d'irrégularités significatives dont ils avaient ou aurait dû avoir connaissance, et de ce qu'ils ont ainsi méconnu le premier alinéa de l'article L. 823-9 du code de commerce, le premier alinéa de l'article L. 823-13 du même code et les normes d'exercice professionnel 330 et 700, reprises respectivement aux articles A. 823-8 et A. 823-26 de ce code.

Sur la sanction prononcée :

5. Aux termes de l'article L. 824-2 du code de commerce : " I.- Les commissaires aux comptes sont passibles des sanctions suivantes : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° L'interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pour une durée n'excédant pas cinq ans ; / 4° La radiation de la liste ; / 5° Le retrait de l'honorariat (...) ". Aux termes de l'article L. 824-12 du même code : " Les sanctions sont déterminées en tenant compte : / 1° De la gravité et de la durée de la faute ou du manquement reprochés ; / 2° De la qualité et du degré d'implication de la personne intéressée ; / 3° De la situation et de la capacité financière de la personne intéressée, au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ; / 4° De l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne intéressée, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ; / 5° Du degré de coopération dont a fait preuve la personne intéressée dans le cadre de l'enquête ; / 6° Des manquements commis précédemment par la personne intéressée ; / 7° Lorsque la sanction est prononcée en raison de manquement aux dispositions des sections 3 à 6 du chapitre Ier du titre VI du livre V du code monétaire et financier, elle est en outre déterminée en tenant compte, le cas échéant, de l'importance du préjudice subi par les tiers ".

6. Il résulte de ces dispositions que si le Haut conseil du commissariat aux comptes statuant en formation restreinte, chargé, en vertu de l'article L. 824-10 du code de commerce, de connaître de l'action disciplinaire intentée à l'encontre des commissaires aux comptes inscrits sur la liste mentionnée au I de l'article L. 822-1 de ce code, ne peut déterminer la sanction qu'il prononce qu'au regard des seuls critères que l'article L. 824-12 du même code énumère, il peut, toutefois, ne se fonder que sur ceux de ces critères qui sont pertinents au regard des faits de l'espèce.

7. D'une part, il résulte des termes mêmes de la décision attaquée que le Haut conseil du commissariat aux comptes, après avoir écarté les critères non pertinents en l'espèce, a déterminé la sanction prononcée au regard des critères mentionnés aux 1°, 5° et 6° de l'article L. 824-12 du code de commerce. La circonstance qu'il ait, pour apprécier la gravité du manquement au titre du 1° de cet article, pris en considération certains des éléments avancés devant lui par la société Acora Audit et par M. A... n'est pas, par elle-même, de nature à caractériser une erreur de droit ni une méconnaissance des droits de la défense et du droit à un procès équitable. Par suite, le moyen tiré de ce que le Haut conseil du commissariat aux comptes se serait fondé sur des critères étrangers à ceux énumérés par l'article L. 824-12 du code de commerce doit être écarté.

8. D'autre part, pour prononcer à l'encontre des requérants la sanction d'interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pendant une durée limitée à un mois et assortie du sursis pour l'intégralité de sa durée, le Haut conseil du commissariat aux comptes s'est fondé sur la gravité de la faute disciplinaire en cause, mais a également relevé qu'un seul grief, ponctuel, était retenu à leur encontre, qu'aucun manquement professionnel ne leur avait été antérieurement reproché et qu'ils avaient pleinement coopéré dans le cadre de l'enquête. Au regard de l'ensemble de ces éléments, et notamment de la grave négligence dont ont fait preuve les requérants dans l'exercice de leur mission de commissaires aux comptes, la sanction retenue est proportionnée.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Acora Audit et M. A... ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision de la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes qu'ils attaquent. Leur requête doit, par suite, être rejetée, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Acora Audit et de M. A... la somme de 3 500 euros à verser au Haut conseil du commissariat aux comptes, devenu Haute autorité de l'audit, au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Acora Audit et de M. A... est rejetée.

Article 2 : La société Acora Audit et M. A... verseront à la Haute autorité de l'audit la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Acora Audit, à M. B... A... et à la Haute autorité de l'audit.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 juillet 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 9 septembre 2024.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :

Signé : Mme Juliette Mongin

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 472364
Date de la décision : 09/09/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 09 sep. 2024, n° 472364
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Juliette Mongin
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP OHL, VEXLIARD ; SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:472364.20240909
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