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26/07/2024 | FRANCE | N°494251

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 26 juillet 2024, 494251


Vu la procédure suivante :



M. A... B..., à l'appui de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Marseille tendant à la condamnation de l'Etat au paiement d'une somme de 8 000 euros, en supplément de celle de 3 000 euros qui lui a été attribuée par une décision du 11 janvier 2023 de la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie à raison des préjudices résultant de l'indignité des conditions d'accueil et de vie auxquelles il a

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Vu la procédure suivante :

M. A... B..., à l'appui de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Marseille tendant à la condamnation de l'Etat au paiement d'une somme de 8 000 euros, en supplément de celle de 3 000 euros qui lui a été attribuée par une décision du 11 janvier 2023 de la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie à raison des préjudices résultant de l'indignité des conditions d'accueil et de vie auxquelles il a été soumis, a produit un mémoire, enregistré le 13 mars 2023 au greffe de ce tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 2302505 QPC du 14 mai 2024, enregistrée le 15 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la huitième chambre du tribunal administratif de Marseille, avant qu'il soit statué sur la requête de M. B..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 3 de la loi n° 2022-229 du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 2022-229 du 23 février 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. L'article 1er de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français dispose que : " La Nation exprime sa reconnaissance envers les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie et qu'elle a abandonnés. / Elle reconnaît sa responsabilité du fait de l'indignité des conditions d'accueil et de vie sur son territoire, à la suite des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l'Algérie, des personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et des membres de leurs familles, hébergés dans des structures de toute nature où ils ont été soumis à des conditions de vie particulièrement précaires ainsi qu'à des privations et à des atteintes aux libertés individuelles qui ont été source d'exclusion, de souffrances et de traumatismes durables ". En vertu de son article 3 : " Les personnes mentionnées à l'article 1er, leurs conjoints et leurs enfants qui ont séjourné, entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975, dans l'une des structures destinées à les accueillir et dont la liste est fixée par décret peuvent obtenir réparation des préjudices résultant de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans ces structures. / La réparation prend la forme d'une somme forfaitaire tenant compte de la durée du séjour dans ces structures, versée dans des conditions et selon un barème fixé par décret. Son montant est réputé couvrir l'ensemble des préjudices de toute nature subis en raison de ce séjour. En sont déduites, le cas échéant, les sommes déjà perçues en réparation des mêmes chefs de préjudice ".

3. A l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité qu'il soulève, M. B... soutient que l'article 3 de la loi du 23 février 2022 méconnaît le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le droit à une juste indemnisation, qui découlerait de l'article 17 de cette déclaration, en ce qu'il n'inclut pas dans le champ d'application du régime légal de responsabilité qu'il institue les préjudices résultant de séjours effectués dans les structures concernées après le 31 décembre 1975, alors que des personnes visées à l'article 1er de la même loi ont continué à séjourner, dans des conditions indignes, au sein de ces structures après cette date.

4. En adoptant les dispositions en cause, le législateur, à qui il est à tout moment loisible, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel, a souhaité instituer un mécanisme de réparation forfaitaire des préjudices subis par les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie et leurs familles, résultant de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans les structures dans lesquelles ils ont été accueillis sur le territoire national, à raison de la responsabilité fautive de l'Etat.

5. Le régime légal de responsabilité institué par l'article 3 de la loi du 23 février 2023 est fondé sur la faute de l'Etat à raison des atteintes aux libertés individuelles et des privations diverses infligées aux personnes visées au point 4 lors de leur séjour, dans une très grande précarité matérielle, au sein de structures dont il assurait la gestion directe jusqu'au 31 décembre 1975. Les éventuels préjudices subis à l'occasion de séjours dans ces structures postérieurement à la date à laquelle a pris fin cette gestion directe n'engagent donc plus la responsabilité de l'Etat à ce titre. Il en découle que la différence de traitement critiquée par le requérant selon que les séjours dans ces structures ont eu lieu jusqu'au 31 décembre 1975 ou après cette date, fondée sur une différence objective de situation, est en rapport direct avec l'objet des dispositions législatives en cause. M. B... n'est, par suite, pas fondé à soutenir que celles-ci méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi ni, en tout état de cause, l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

6. Il résulte de ce qui précède que la question de constitutionnalité soulevée par M. B..., qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre des armées.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au tribunal administratif de Marseille.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 juillet 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 26 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Emmanuel Weicheldinger

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 494251
Date de la décision : 26/07/2024
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 26 jui. 2024, n° 494251
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Emmanuel Weicheldinger
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:494251.20240726
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