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24/07/2024 | FRANCE | N°489976

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 24 juillet 2024, 489976


Vu la procédure suivante :



Par une requête, un mémoire complémentaire et deux autres mémoires, enregistrés le 6 décembre 2023 et les 28 février et 29 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Formapriv, Forma Seine et Forma Grand Est demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 septembre 2023 de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et du ministre de la santé et de la prévention modifiant l'arrêté du 21 septembre 2021 relatif à l'organisation des épreuves nationale

s donnant accès au troisième cycle des études de médecine.





Vu...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et deux autres mémoires, enregistrés le 6 décembre 2023 et les 28 février et 29 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Formapriv, Forma Seine et Forma Grand Est demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 septembre 2023 de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et du ministre de la santé et de la prévention modifiant l'arrêté du 21 septembre 2021 relatif à l'organisation des épreuves nationales donnant accès au troisième cycle des études de médecine.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 ;

- le décret n° 2021-1156 du 7 septembre 2021 ;

- l'arrêté du 21 décembre 2021 relatif à l'organisation des épreuves nationales donnant accès au troisième cycle des études de médecine ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

Sur le litige :

1. L'article 2 de la loi 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé a réformé les conditions d'accès au troisième cycle des études de médecine et modifié à ce titre l'article L. 632-2 du code de l'éducation. Le décret du 7 septembre 2021 relatif à l'accès au troisième cycle des études de médecine, pris pour son application, prévoit que la procédure d'admission au troisième cycle de ces études repose désormais sur des épreuves d'évaluation des connaissances, sous forme d'épreuves dématérialisées, et sur des épreuves d'évaluation des compétences, sous forme d'examens cliniques objectifs structurés. Il dispose également que l'affectation des étudiants ayant validé ces épreuves, dans une spécialité et une subdivision territoriale, se fait selon une procédure nationale d'appariement, sur la base d'un dossier comprenant les notes obtenues par les étudiants et des points de valorisation attribués au vu de leur parcours de formation et de leur projet professionnel. L'article R. 632-2-7 du code de l'éducation, dans sa rédaction issue de ce décret, renvoie à un " arrêté conjoint des ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé et du ministre de la défense ", le soin de définir notamment " les conditions d'attribution des points de valorisation du parcours de formation et du projet professionnel de l'étudiant ".

2. Par un arrêté du 21 décembre 2021 relatif à l'organisation des épreuves nationales donnant accès au troisième cycle des études de médecine, la ministre des armées, le ministre des solidarités et de la santé et la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ont notamment fixé les conditions d'attribution des points destinés à valoriser le parcours de formation et le projet professionnel des étudiants en médecine. Il prévoit, à son article 21, que le parcours de formation des étudiants est examiné par l'université au vu d'un dossier, constitué par les étudiants, " sur la base d'une grille nationale de valorisation du parcours de formation, qui est commune à tous les dossiers examinés [et] comprend une pluralité de critères non-discriminatoires ". Cette grille, annexée à l'arrêté, comporte plusieurs rubriques, chacune étant assortie d'un barème de points, respectivement intitulées " cursus médecine " (obtention d'unités d'enseignements supplémentaires facultatives), " cursus hors médecine " (accomplissements d'études en plus des études de médecine ou publication d'article), " engagement étudiant " (engagement associatif, pédagogique, tels les tutorats universitaires, social ou civique), " mobilité " (réalisation de stages en France ou à l'étranger), " compétences linguistiques " (capacité en anglais) et " expérience professionnelle ". S'agissant de cette dernière rubrique, alors que l'arrêté du 21 décembre 2021 avait précisé qu'il pouvait s'agir d'une expérience professionnelle " réalisée dans tout domaine ", l'arrêté du 28 septembre 2023 de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et le ministre de la santé et de la prévention a restreint le champ des activités professionnelles susceptibles d'être valorisées à ce titre, en ajoutant après les mots : " réalisée dans tout domaine ", les mots : " hors champ de la formation en santé ".

3. La société Formapriv et deux autres sociétés, qui exploitent des centres de préparation privée aux épreuves d'admission en deuxième année des études de santé, demandent l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 28 septembre 2023. Eu égard aux moyens qu'elles soulèvent, elles doivent être regardées comme demandant l'annulation de cet arrêté en tant seulement qu'il a ajouté les mots " hors champ de la formation en santé ", dans la rubrique " expérience professionnelle " figurant dans le tableau relatif à la valorisation du parcours de formation des étudiants en médecine annexé à l'arrêté du 21 décembre 2021. Les sociétés requérantes justifiant d'un intérêt suffisamment direct et certain à l'annulation des mots ainsi ajoutés par l'arrêté attaqué, lesquels sont divisibles des autres dispositions de l'arrêté, les conclusions de leur requête sont recevables.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. En premier lieu, les requérantes font valoir que les dispositions de l'arrêté qu'elles attaquent ont été édictées en méconnaissance du principe d'égalité, d'une part, entre les étudiants en médecine selon qu'ils accomplissent des activités de tutorat ou qu'ils dispensent des formations dans les établissements privés préparant à l'admission en deuxième année des études de santé, d'autre part, entre les étudiants en médecine selon que, concomitamment à leurs études de santé, ils exercent une activité professionnelle dans un domaine hors du champ de la formation en santé ou, à l'inverse, dans ce champ.

5. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

6. Il résulte des dispositions litigieuses de l'arrêté du 28 septembre 2023, s'agissant du barème de valorisation du parcours de formation institué pour la procédure nationale d'appariement des étudiants en médecine admis en troisième cycle des études de médecine, un traitement différent, d'une part, entre les étudiants en médecine qui exercent en même temps que leurs études de médecine une activité professionnelle, selon que cette activité professionnelle est accomplie, ou non, hors du champ de la formation en santé, sa valorisation n'étant prévue que dans le premier cas, d'autre part, entre les étudiants en médecine qui dispensent une formation en santé, selon qu'elle est réalisée dans le cadre d'activités de tutorat ou dans un autre cadre, tel un centre de préparation privée à l'admission en deuxième année des études de santé, seule la première situation étant susceptible de donner lieu à attribution de points.

7. Toutefois, les étudiants ayant une activité de tutorat, valorisée au titre de l'" engagement étudiant ", qu'ils soient ou non rémunérés par l'université ou par l'association en charge de cette activité, ne sont pas dans la même situation que ceux qui dispensent une formation à destination d'étudiants inscrits dans une préparation privée au concours d'admission à la deuxième année du premier cycle des études de santé, valorisée comme " expérience professionnelle ". Par ailleurs, la différence de traitement entre les étudiants ayant une activité professionnelle, selon que celle-ci est assurée ou non dans le champ de la formation en santé, est justifiée par l'intérêt général qui s'attache à la diversification des profils des étudiants en médecine et de leur expérience durant leur parcours de formation, objectifs poursuivis par la réforme des études de santé opérée par la loi 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé. Les différences résultant des dispositions attaquées sont en rapport direct avec l'objet de la réglementation relative à la valorisation du parcours de formation et du projet professionnel des étudiants en médecine et ne sont pas manifestement disproportionnées. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions contestées méconnaitraient le principe d'égalité.

8. En second lieu, cependant, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 28 septembre 2023 n'a été signé que par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et le ministre de la santé et de la prévention, alors que l'article R. 632-2-7 du code de l'éducation imposait qu'il le fût également par le ministre de la défense. Par suite, les sociétés requérantes sont fondées à soutenir que les dispositions de cet arrêté qu'elles attaquent sont entachées d'incompétence.

9. Si les autres moyens soulevés à l'appui de la requête ne sont pas fondés, il résulte de ce qui précède que la société Formapriv et autres sont fondées à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 23 septembre 2023 en tant qu'il a ajouté les mots " hors champ de la formation en santé " dans la rubrique " expérience professionnelle " figurant dans le tableau relatif à la valorisation du parcours de formation des étudiants en médecine annexé à l'arrêté du 21 décembre 2021.

Sur les conséquences de l'illégalité :

10. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.

11. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la procédure d'appariement aura lieu entre la deuxième quinzaine du mois d'août et la première quinzaine du mois de septembre 2024, pour une affectation des étudiants en sixième année d'internat de médecine dans une spécialité et une subdivision territoriale à compter du 1er novembre 2024. Eu égard aux conséquences manifestement excessives qui résulteraient de l'annulation rétroactive des dispositions contestées, qui remettrait en cause toutes les décisions d'affectation, qui concernent un nombre significatif d'étudiants, et à l'intérêt général s'attachant au maintien de ces décisions compte tenu de la nécessité d'assurer le bon fonctionnement du service public de l'enseignement de l'enseignement supérieur et du service public hospitalier, il y a lieu de différer l'effet de l'annulation prononcée jusqu'au 1er novembre 2024 et de disposer que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur leur fondement, les effets des dispositions de l'arrêté litigieux doivent être regardés comme définitifs.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêté du 28 septembre 2023 de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et du ministre de la santé et de la prévention est annulé en tant qu'il ajoute au tableau annexé à l'arrêté du 21 décembre 2021 les mots " hors champ de la formation en santé " après les mots " expérience professionnelle réalisée dans tout domaine ". Cette annulation prendra effet au 1er novembre 2024.

Article 2 : Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets antérieurs à l'annulation, prononcée à l'article 1er de la présente décision, de l'arrêté du 28 septembre 2023 sont définitifs.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la Société Formapriv et autres est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Formapriv, représentante unique, pour l'ensemble des requérantes, à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie sera adressée au ministre des armées.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 juillet 2024 où siégeaient : M. Jacques Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, présidente de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat ; Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 24 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Sylvain Monteillet

Le secrétaire :

Signé : M. Christophe Bouba


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 489976
Date de la décision : 24/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 jui. 2024, n° 489976
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Sylvain Monteillet
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier

Origine de la décision
Date de l'import : 26/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:489976.20240724
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