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23/07/2024 | FRANCE | N°494489

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 23 juillet 2024, 494489


Vu la procédure suivante :



Par une ordonnance n° 2404945 du 22 mai 2024, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Lille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le jugement n° RG 23/00080 du 12 janvier 2024 par lequel le tribunal judiciaire de Valenciennes a sursis à statuer dans le litige opposant M. A... B... à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut et saisi le juge administratif de la question de la légalit

, d'une part, de l'ordonnance n° 2020-505 du 2 mai 2020 instituant un...

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2404945 du 22 mai 2024, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Lille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le jugement n° RG 23/00080 du 12 janvier 2024 par lequel le tribunal judiciaire de Valenciennes a sursis à statuer dans le litige opposant M. A... B... à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut et saisi le juge administratif de la question de la légalité, d'une part, de l'ordonnance n° 2020-505 du 2 mai 2020 instituant une aide aux acteurs de santé conventionnés dont l'activité est particulièrement affectée par l'épidémie de covid-19 et, d'autre part, du décret n° 2020-1807 du 30 décembre 2020 relatif à la mise en œuvre de l'aide aux acteurs de santé conventionnés dont l'activité est particulièrement affectée par l'épidémie de covid-19.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-309 du 25 mars 2020 ;

- l'arrêté du 6 mai 2020 relatif à la garantie de financement des établissements de santé pour faire face à l'épidémie du covid-19 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyril Noël, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 29 mars 2024, le tribunal judiciaire de Valenciennes, saisi d'un litige opposant M. B... à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut, a sursis à statuer et saisi le juge administratif de la question de la légalité de l'ordonnance du 2 mai 2020 instituant une aide aux acteurs de santé conventionnés dont l'activité est particulièrement affectée par l'épidémie de covid-19 ainsi que des articles 1er et 2 du décret du 30 décembre 2020 relatif à la mise en œuvre de l'aide aux acteurs de santé conventionnés dont l'activité est particulièrement affectée par l'épidémie de covid-19.

Sur le cadre juridique :

2. L'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 prévoit que : " I. - Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi (...) : / 1° Afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi, en prenant toute mesure : a) D'aide directe ou indirecte à ces personnes dont la viabilité est mise en cause, notamment par la mise en place de mesures de soutien à la trésorerie de ces personnes ainsi que d'un fonds (...) ".

3. Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a pris l'ordonnance du 2 mai 2020, dont l'appréciation de la légalité est soumise au Conseil d'Etat, en vertu de laquelle la Caisse nationale de l'assurance maladie a financé, par un fonds d'aide aux professionnels de santé conventionnés, un dispositif d'indemnisation de la perte d'activité (DIPA) permettant à ces professionnels de couvrir leurs charges malgré la baisse de leur activité au cours de la période allant du 12 mars 2020 jusqu'à une date fixée par décret et au plus tard le 31 décembre 2020. Le décret du 30 décembre 2020, pris pour l'application de cette ordonnance, dont l'appréciation de la légalité est également soumise au Conseil d'Etat, a précisé les modalités de calcul de cette aide ainsi que la période d'activité qu'elle couvre.

Sur la légalité de l'ordonnance du 2 mai 2020 :

4. L'article 1er de l'ordonnance du 2 mai 2020 prévoit que : " La Caisse nationale de l'assurance maladie gère un fonds d'aide aux professionnels de santé conventionnés dont l'activité est particulièrement affectée par l'épidémie de covid-19. L'aide vise, afin de garantir le bon fonctionnement du système de soins, à préserver la viabilité de ces professionnels en leur permettant de couvrir leurs charges malgré la baisse de leur activité au cours de la période allant du 12 mars 2020 jusqu'à une date fixée par décret et au plus tard le 31 décembre 2020. / Peuvent bénéficier, sur leur demande, de cette aide les professionnels de santé, les centres de santé et les prestataires exerçant leur activité dans le cadre des conventions prévues aux articles L. 162-5, L. 162-9, L. 162-12-2, L. 162-12-9, L. 162-14, L. 162-16-1, L. 162-32-1, L. 165-6, L. 322-5 et L. 322-5-2 du code de la sécurité sociale et dont les revenus d'activité sont financés pour une part majoritaire par l'assurance maladie. (...) ". L'article 2 de cette ordonnance dispose que : " L'aide tient compte du niveau moyen des charges fixes de la profession, en fonction, le cas échéant, de la spécialité médicale et des conditions d'exercice et du niveau de la baisse des revenus d'activité du demandeur financés par l'assurance maladie. / Il est également tenu compte : / - des indemnités journalisées versées au demandeur par les régimes de sécurité sociale depuis le 12 mars 2020 ; / - des allocations d'activité partielle perçues depuis la même date pour ses salariés en application des dispositions de l'article L. 5122-1 du code du travail ; / - des aides versées par le fonds de solidarité prévu par l'ordonnance du 25 mars 2020 (...) ". Enfin, l'article 3 de cette ordonnance précise que l'aide peut faire l'objet d'acomptes et que la Caisse nationale de l'assurance maladie arrête le montant définitif de l'aide au vu de la baisse des revenus d'activité effectivement subie par le demandeur et procède, s'il y a lieu, au versement du solde ou à la récupération du trop-perçu et son article 5 renvoie ses modalités d'application à un décret.

5. Lorsque le délai d'habilitation est expiré, la contestation, au regard des droits et libertés que la Constitution garantit, des dispositions d'une ordonnance relevant du domaine de la loi n'est recevable qu'au travers d'une question prioritaire de constitutionnalité, qui doit être transmise au Conseil constitutionnel si les conditions fixées par les articles 23-2, 23-4 et 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 sont remplies. La circonstance qu'une question prioritaire de constitutionnalité puisse, dans une telle hypothèse, être soulevée, ne saurait cependant faire obstacle à ce que le juge statue sur la légalité d'une ordonnance, notamment en réponse à une question préjudicielle qui lui est posée, pour d'autres motifs. A ce titre, le requérant a le choix des moyens qu'il entend soulever, en particulier lorsque des principes voisins peuvent trouver leur source dans la Constitution, dans des engagements internationaux ou dans des principes généraux du droit. A défaut de précision quant à la source du principe invoqué, il appartient au juge d'opérer son contrôle au regard de la norme de référence la plus conforme à l'argumentation dont il est saisi et à la forme de sa présentation.

6. En l'espèce, le moyen invoqué par M. B... que le tribunal judiciaire de Valenciennes a retenu pour justifier le renvoi d'une question préjudicielle en appréciation de la légalité de l'ordonnance du 2 mai 2020 est tiré de la méconnaissance du principe général d'égalité. Aucune atteinte au principe d'égalité ne saurait toutefois résulter de ce que l'aide instituée par l'ordonnance attaquée en faveur des professionnels de santé conventionnés vise, non à leur assurer une garantie minimale de recettes comme c'est le cas pour l'aide instituée en faveur des établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique par l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la garantie de financement des établissements de santé et aux régimes complémentaires obligatoires de sécurité sociale, mais à leur permettre de couvrir leurs charges malgré la baisse de leur activité au cours de la période prévue.

Sur la légalité du décret du 30 décembre 2020 :

7. En premier lieu, la formule de calcul du montant de l'aide fixée à l'article 2 du décret consiste à appliquer le taux de charges fixes moyen du professionnel à un montant évaluant sa baisse d'activité sur la période d'activité couverte, en retirant du résultat obtenu le montant des indemnités, des allocations et des aides mentionnées à l'article 2 de l'ordonnance du 2 mai 2020, perçues ou à percevoir au titre de la même période. La baisse d'activité est égale à la différence entre le montant des honoraires sans dépassement perçus en 2019 réduit à due proportion de la période et le montant des honoraires sans dépassement facturés ou à facturer par le professionnel en 2020 durant la même période. Dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le montant des rémunérations forfaitaires versées aux professionnels de santé, en plus des honoraires sans dépassement qu'ils facturent, aurait été affecté de manière significative par la baisse d'activité subie par les professionnels durant cette période, le pouvoir réglementaire pouvait, sans méconnaître les dispositions de l'ordonnance du 2 mai 2020, ne se fonder, pour évaluer la baisse d'activité, que sur les honoraires sans dépassement facturés ou à facturer par ces professionnels, sans inclure également les rémunérations forfaitaires perçues au cours de ces périodes.

8. En second lieu, les dispositions de l'ordonnance du 2 mai 2020 ont déterminé les bénéficiaires de l'aide et les éléments dont cette aide devait tenir compte, sans toutefois en indiquer les modalités de calcul qui, conformément à l'article 5 de l'ordonnance, devaient être précisées par décret. Si, afin de soutenir rapidement les professionnels de santé, il a été prévu, à l'article 3 de l'ordonnance, que l'aide serait versée sous forme d'acomptes, il était également spécifié que la Caisse nationale de l'assurance maladie, une fois le montant définitif de l'aide arrêté, procéderait s'il y a lieu au versement du solde ou à la récupération du trop-perçu au plus tard le 1er juillet 2021. Il s'ensuit que les acomptes d'aide versés avant l'intervention du décret du 30 décembre 2020 l'ont été à titre provisoire, ce que ne pouvaient ignorer les professionnels de santé en ayant bénéficié. Par suite, ce décret, en dépit du fait qu'il est venu préciser les modalités de calcul de l'aide plusieurs mois après les versements d'acomptes et sans reprendre à l'identique les critères retenus à titre provisoire pour ces versements, ce qui a conduit à des récupérations de trop-perçus, n'a pas porté une atteinte excessive aux intérêts des professionnels concernés par ces régularisations et n'a méconnu aucune espérance légitime de bénéficier d'une aide d'un montant supérieur. Il s'ensuit que le décret du 30 décembre 2020, en précisant les modalités de calcul de l'aide instituée par l'ordonnance du 2 mai 2020, n'a porté aucune atteinte au principe de sécurité juridique et n'a pas méconnu l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de déclarer que les exceptions d'illégalité soulevées ne sont pas fondées.

D E C I D E :

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Article 1er : Il est déclaré que l'exception d'illégalité de l'ordonnance du 2 mai 2020 n'est pas fondée.

Article 2 : Il est déclaré que l'exception d'illégalité du décret du 30 décembre 2020 n'est pas fondée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie en sera adressée au Premier ministre et au président du tribunal judiciaire de Valenciennes.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 juin 2024 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et M. Cyril Noël, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 23 juillet 2024.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

Le rapporteur :

Signé : M. Cyril Noël

Le secrétaire :

Signé : M. Mickaël Lemasson


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 494489
Date de la décision : 23/07/2024
Type de recours : Appréciation de la légalité

Publications
Proposition de citation : CE, 23 jui. 2024, n° 494489
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyril Noël
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot

Origine de la décision
Date de l'import : 25/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:494489.20240723
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