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23/07/2024 | FRANCE | N°481534

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 23 juillet 2024, 481534


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 10 août 2023 et le 15 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée à associé unique Bristol-Myers Squibb demande au Conseil d'Etat :



1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir, et à titre subsidiaire, d'abroger la décision du 13 février 2023 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et le ministre de la santé et de

la prévention ont refusé l'inscription sur la liste des spécialités pharmaceutiques prises e...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 10 août 2023 et le 15 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée à associé unique Bristol-Myers Squibb demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir, et à titre subsidiaire, d'abroger la décision du 13 février 2023 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et le ministre de la santé et de la prévention ont refusé l'inscription sur la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations d'hospitalisation, mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, de l'association des spécialités OPDIVO 10 mg/ml, solution à diluer pour perfusion et YERVOY 5 mg/ml, solution à diluer pour perfusion dans l'indication suivante : " en association à 2 cycles de chimiothérapie à base de sels de platine, en première ligne, dans le traitement des patients adultes atteints d'un cancer bronchique non à petites cellules métastatique dont les tumeurs ne présentent pas la mutation sensibilisante de l'EGFR, ni la translocation ALK ", ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux tendant au réexamen de cette décision et à l'inscription sollicitée ;

2°) d'enjoindre au ministre de la santé et de la prévention, dans le délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, à titre principal, de procéder à l'inscription de l'association des spécialités OPDIVO 10 mg/ml, solution à diluer pour perfusion, et YERVOY 5 mg/ml, solution à diluer pour perfusion, pour l'indication susmentionnée, sur la liste prévue à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du I de l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable à la date de la décision litigieuse : " L'Etat fixe, sur demande du titulaire de l'autorisation de mise sur le marché (...), la liste des spécialités pharmaceutiques bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché dispensées aux patients dans les établissements de santé mentionnés à l'article L. 162-22-6 qui peuvent être prises en charge, sur présentation des factures, par les régimes obligatoires d'assurance maladie en sus des prestations d'hospitalisation mentionnées au 1° du même article (...). Cette liste précise les seules indications thérapeutiques ouvrant droit à la prise en charge des médicaments et des produits et prestations en sus des prestations d'hospitalisation mentionnées à l'article L. 162-22-6 ". Le I de l'article R. 162-37 du même code précise que : " La liste des spécialités pharmaceutiques prévue à l'article L. 162-22-7 et leurs conditions de prise en charge sont fixées par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ".

2. Il ressort des pièces du dossier que la société Bristol-Myers Squibb a sollicité l'inscription sur la liste, prévue à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, des spécialités pharmaceutiques facturables en sus des prestations d'hospitalisation, dite " liste en sus ", de l'association des spécialités OPDIVO 10 mg/ml, solution à diluer pour perfusion et YERVOY 5 mg/ml, solution à diluer pour perfusion pour l'indication suivante : " en association à 2 cycles de chimiothérapie à base de sels de platine, en première ligne, dans le traitement des patients adultes atteints d'un cancer bronchique non à petites cellules métastatique dont les tumeurs ne présentent pas la mutation sensibilisante de l'EGFR, ni la translocation ALK ". Par une décision du 13 février 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et le ministre de la santé et de la prévention ont refusé cette inscription, en s'appropriant les motifs de l'avis rendu le 19 octobre 2022 par la commission de la transparence de la Haute autorité de santé qui a retenu, d'une part, un service médical rendu modéré et, d'autre part, une amélioration mineure du service médical rendu. La société Bristol-Myers Squibb demande, à titre principal, l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision et, à titre subsidiaire, son abrogation.

Sur la légalité externe :

3. Aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions(...) ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / 1° Les (...) directeurs d'administration centrale (...) ; / 2° Les (...) sous directeurs (...) ". Selon l'article 3 de ce même décret : " Les personnes mentionnées aux 1° et 3° de l'article 1er peuvent donner délégation pour signer tous actes relatifs aux affaires pour lesquelles elles ont elles-mêmes reçu délégation : / (...) aux fonctionnaires de catégorie A et aux agents contractuels chargés de fonctions d'un niveau équivalent, qui n'en disposent pas au titre de l'article 1er ". L'article D. 1421-2 du code de la santé publique prévoit que la direction générale de l'offre de soins " est chargée de l'élaboration, du pilotage et de l'évaluation de la politique de l'offre de soins ". L'article 4 de l'arrêté du 7 mai 2014 portant organisation de la direction générale de l'offre de soins en sous-directions et en bureaux, applicable à la date de la décision attaquée, prévoit que la sous-direction du pilotage de la performance des acteurs de l'offre de soins " met en œuvre, organise et évalue l'accès aux produits de santé et à leur bon usage, et contribue à définir leurs modalités de financement ". Par suite, Mme B... A..., adjointe à la sous-directrice du pilotage de la performance des acteurs de l'offre de soins à qui la directrice générale de l'offre de soins avait donné délégation pour signer tous les actes relevant de ses attributions, à l'exclusion des décrets, par un arrêté du 3 novembre 2022 publié au Journal officiel de la République française du 6 novembre 2022, avait compétence pour signer, au nom du ministre chargé de la santé, la décision attaquée. Il en résulte que le moyen tiré de ce que la décision attaquée n'aurait été pas été signée par délégation régulière du ministre chargé de la santé doit être écarté.

Sur la légalité interne :

4. Aux termes du I de l'article R. 162-37-2 du code de la sécurité sociale : " L'inscription d'une ou plusieurs indications d'une spécialité pharmaceutique bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché sur la liste mentionnée à l'article L. 162-22-7 est subordonnée au respect de l'ensemble des conditions suivantes : / (...)2° Le niveau de service médical rendu de la spécialité dans la ou les indications considérées, apprécié au regard des critères mentionnés au I de l'article R. 162-37-3 est majeur ou important ; / 3° Le niveau d'amélioration du service médical rendu de la spécialité dans la ou les indications considérées, apprécié au regard des critères mentionnés au II de l'article R. 162-37-3 est majeur, important, modéré ou mineur. Il peut être absent lorsque les comparateurs pertinents sont déjà inscrits sur la liste dans la ou les indications considérées (...) ".

5. L'article R. 162-37-3 du même code prévoit que : " I. - L'appréciation du service médical rendu mentionné au 2° du I de l'article R. 162-37-2 prend en compte l'efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de l'affection à laquelle il est destiné, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux et son intérêt pour la santé publique. / II. - L'appréciation de l'amélioration du service médical rendu mentionnée au 3° du I de l'article R. 162-37-2 s'appuie sur une comparaison du médicament, en termes de service médical rendu, avec tous les comparateurs pertinents au regard des connaissances médicales avérées que sont les médicaments, les produits, les actes et les prestations. / III. - Pour apprécier le service médical rendu et l'amélioration du service médical rendu il est tenu compte de l'évaluation mentionnée à l'article R. 163-18 de la commission prévue à l'article L. 5123-3 du code de la santé publique ", c'est-à-dire la commission de la transparence de la Haute autorité de santé.

6. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article R. 162-37-3 du code de la sécurité sociale citées ci-dessus que la commission de la transparence, lorsqu'elle apprécie, par l'avis au vu duquel les ministres prennent leur décision et qu'ils s'approprient le cas échéant à cette occasion, le bien-fondé de l'inscription d'un médicament sur la liste mentionnée à l'article L. 162-22-7 du même code, se fonde sur des critères objectifs et vérifiables au sens des dispositions du point 5 de l'article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 du Conseil concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance-maladie, aux termes duquel " toute décision d'exclure un produit de la liste des produits couverts par le système national d'assurance-maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables (...) ". L'absence de définition dans la réglementation applicable ou, en tout état de cause, dans le document dénommé " Doctrine de la commission de la transparence - Principes d'évaluation de la commission de la transparence relatifs aux médicaments en vue de leur accès au remboursement " actualisé en décembre 2020 et rendu public, des modalités de détermination d'un niveau de service médical rendu par rapport à un autre n'est pas de nature à priver ces critères de leur caractère objectif et vérifiable ou à porter atteinte au principe de sécurité juridique, la commission justifiant, dans son avis, le niveau retenu compte tenu des cinq critères prévus par la réglementation applicable.

7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que, pour attribuer à l'association des spécialités OPDIVO et YERVOY en vue du traitement des patients adultes atteints d'un cancer bronchique non à petites cellules métastatique un niveau de service médical rendu modéré, d'une part, et un niveau d'amélioration du service médical rendu mineur, d'autre part, la commission de la transparence, dans son avis du 19 octobre 2022 dont les ministres se sont appropriés les motifs, a apprécié les caractéristiques et les effets de cette association au regard de chacun des critères réglementaires applicables en vertu de l'article R. 162-37-3 du code de la sécurité sociale pour, respectivement, le service médical rendu et l'amélioration du service médical rendu, en tenant notamment compte, pour évaluer ses effets indésirables, de l'absence de données évaluant la contribution relative de chacun des éléments de cette association. Ce faisant, les ministres n'ont pas méconnu ces dispositions ni commis d'erreur manifeste d'appréciation.

8. En troisième lieu, en vertu de l'article R. 162-37-2 du code de la sécurité sociale, pour qu'une spécialité pharmaceutique bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché soit inscrite sur la liste mentionnée à l'article L. 162-22-7 de ce code, elle doit avoir, dans l'indication considérée, un niveau de service médical rendu majeur ou important, l'appréciation du service médical rendu prenant en compte les critères mentionnés à l'article R. 162-37-3, au nombre desquels sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en évaluant le service médical rendu de l'association des spécialités OPDIVO et YERVOY à un niveau modéré pour les patients atteints d'un cancer bronchique non à petites cellules métastatique, sur la base du rapport entre les données d'efficacité du traitement et ses effets indésirables graves et en l'absence de données permettant une comparaison directe avec les autres traitements de la maladie, les ministres, qui se sont appropriés l'avis émis par la commission de la transparence, auraient commis une erreur manifeste d'appréciation, la circonstance que, dans une indication différente, pour le traitement par la même association de spécialités du mésothéliome pleural malin non résécable, un service médical rendu important ait été reconnu étant à cet égard sans incidence.

9. En quatrième lieu, l'appréciation du service médical rendu d'une spécialité pharmaceutique tient notamment compte, en vertu de l'article R. 162-37-3 du code de la sécurité sociale, de son intérêt pour la santé publique. En évaluant le service médical rendu de l'association des spécialités OPDIVO et YERVOY à un niveau modéré pour les patients atteints d'un cancer bronchique non à petites cellules métastatique, les ministres, qui se sont appropriés l'avis de la commission de la transparence, n'ont pas méconnu ces dispositions en estimant qu'elle n'était pas susceptible d'avoir un intérêt de santé publique, au regard du besoin médical déjà partiellement couvert et de la réponse supplémentaire seulement partielle qu'elle y apporterait, sans que la société requérante puisse utilement soutenir que le droit fondamental à la protection de la santé garanti par les articles L. 1110-1 et L. 1110-5 du code de la santé publique aurait, ce faisant, été méconnu.

10. En dernier lieu, le respect du principe d'égalité devant la loi impose aux ministres compétents de s'assurer que les différences pouvant exister dans les conditions d'inscription, sur la liste prévue par l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, de spécialités étroitement comparables dans le traitement d'une même pathologie ne soient pas manifestement disproportionnées au regard des motifs susceptibles de les justifier. En l'espèce, le refus d'inscrire l'association des spécialités OPDIVO et YERVOY sur la liste prévue à l'article L. 162-22-7 de ce code ne constitue pas une différence de traitement manifestement disproportionné avec le comparateur de cette association qu'est le pembrolizumab utilisé en monothérapie ou associé à une chimiothérapie, eu égard à leur différence de profil de toxicité.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société Bristol-Myers Squibb doit être rejetée, y compris, en tout état de cause, ses conclusions subsidiaires à fin d'abrogation, reposant sur une unique publication scientifique récente n'ayant pas donné lieu à une réévaluation de la place de l'association des spécialités en cause dans la stratégie thérapeutique, ainsi que celles à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société Bristol-Myers Squibb est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée à associé unique Bristol-Myers Squibb et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Délibéré à l'issue de la séance du 27 juin 2024 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 23 juillet 2024.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

Le rapporteur :

Signé : M. Jean-Luc Matt

Le secrétaire :

Signé : M. Mickaël Lemasson


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 481534
Date de la décision : 23/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 jui. 2024, n° 481534
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Luc Matt
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot

Origine de la décision
Date de l'import : 25/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:481534.20240723
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