Vu la procédure suivante :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, d'une part, la décision du 9 avril 2021 par laquelle la caisse d'allocations familiales de la Haute-Marne a décidé la récupération d'une somme de 11 189,23 euros correspondant à un indu de revenu de solidarité active constitué sur la période de janvier 2018 à juin 2020 ainsi que d'une somme de 152,45 euros correspondant à un indu d'aide exceptionnelle de fin d'année pour l'année 2019 et, d'autre part, de la rétablir dans ses droits au revenu de solidarité active depuis l'interruption des versements en juillet 2020. Par un jugement n° 2101904 du 4 janvier 2023, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 juillet et 12 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge du département de la Haute-Marne et de la caisse d'allocations familiales de la Haute-Marne, in solidum, la somme de 3 000 euros, à verser à la SCP Thomas-Raquin, Le Guérer, Bouniol-Brochier, son avocat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2019-1323 du 10 décembre 2019 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thomas-Raquin, Le Guérer, Bouniol-Brochier, avocat de Mme B... et à la SCP Foussard, Froger, avocat du département de la Haute-Marne ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 9 avril 2021, la caisse d'allocations familiales de la Haute-Marne a décidé la récupération sur Mme B... d'une somme de 11 189,23 euros correspondant à un indu de revenu de solidarité active constitué sur la période de janvier 2018 à juin 2020, ainsi que d'une somme de 152,45 euros correspondant à un indu d'aide exceptionnelle de fin d'année pour l'année 2019. Ces indus ont été confirmés, s'agissant du revenu de solidarité active, par une décision du département de la Haute-Marne du 13 juillet 2021 sur recours administratif préalable obligatoire et, s'agissant de l'indu d'aide exceptionnelle de fin d'année, par une décision du 15 juin 2021 de la commission de recours amiable de la caisse d'allocations familiales. Mme B... se pourvoit en cassation contre le jugement du 4 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.
2. En premier lieu, aux termes des deux premiers alinéas de l'article R. 711 2 du code de justice administrative : " Toute partie est avertie, par une notification faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par la voie administrative mentionnée à l'article R. 611-4, du jour où l'affaire sera appelée à l'audience. / L'avis d'audience reproduit les dispositions des articles R. 731-3 et R. 732-1-1. Il mentionne également les modalités selon lesquelles les parties ou leurs mandataires peuvent prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public, en application du premier alinéa de l'article R. 711-3 ou, si l'affaire relève des dispositions de l'article R. 732-1-1, de la décision prise sur la dispense de conclusions du rapporteur public, en application du second alinéa de l'article R. 711-3 ". L'article R. 732-1-1 du même code prévoit que : " Sans préjudice de l'application des dispositions spécifiques à certains contentieux prévoyant que l'audience se déroule sans conclusions du rapporteur public, le président de la formation de jugement ou le magistrat statuant seul peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience sur tout litige relevant des contentieux suivants : / (...) 6° Prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi ". Aux termes du second alinéa de l'article R. 711-3 de ce code : " Lorsque l'affaire est susceptible d'être dispensée de conclusions du rapporteur public, en application de l'article R. 732-1-1, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, si le rapporteur public prononcera ou non des conclusions et, dans le cas où il n'en est pas dispensé, le sens de ces conclusions ". Pour l'application des dispositions de l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, si l'affaire sera ou non dispensée de conclusions du rapporteur public.
3. La demande de Mme B... relevait des contentieux énumérés par l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative et était ainsi susceptible d'être dispensée de conclusions du rapporteur public. Mme B... fait valoir qu'elle n'a pas été mise en mesure de connaître avant l'audience si une telle dispense était décidée. Il ressort des pièces de la procédure que l'avis d'audience qui lui a été adressé le 22 novembre 2022 se bornait à l'informer que l'audience peut se dérouler sans conclusions du rapporteur public et que l'état de l'instruction du dossier peut être consulté sur le site de l'application " Sagace ", sans comporter les informations relatives aux conclusions du rapporteur public prévues par le deuxième alinéa de l'article R. 711-2 du code de justice administrative. Cette méconnaissance des dispositions mentionnées ci-dessus a privé Mme B..., en l'espèce, d'une garantie, en ne la mettant pas en mesure de prendre connaissance de la dispense de conclusions du rapporteur public. Par suite, elle est fondée à soutenir que le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière.
4. En second lieu et au surplus, aux termes du premier alinéa de l'article L. 262-47 du code de l'action sociale et des familles : " Toute réclamation dirigée contre une décision relative au revenu de solidarité active fait l'objet, préalablement à l'exercice d'un recours contentieux, d'un recours administratif auprès du président du conseil départemental. Ce recours est, dans les conditions et limites prévues par la convention mentionnée à l'article L. 262-25, soumis pour avis à la commission de recours amiable qui connaît des réclamations relevant de l'article L. 142-1 du code de la sécurité sociale (...) ", laquelle est composée et constituée au sein du conseil d'administration de la caisse d'allocations familiales. Aux termes du I de l'article L. 262-25 du code de l'action sociale et des familles : " Une convention est conclue entre le département et chacun des organismes mentionnés à l'article L. 262-16. / Cette convention précise en particulier : / 1° Les conditions dans lesquelles le revenu de solidarité active est servi et contrôlé ; / 2° Les modalités d'échange des données entre les parties ; / 3° La liste et les modalités d'exercice et de contrôle des compétences déléguées, le cas échéant, par le département aux organismes mentionnés à l'article L. 262-16 (...) ". Aux termes de l'article R. 262-60 de ce code : " La convention prévue à l'article L. 262-25 comporte des dispositions générales relatives à : / (...) 4° Les conditions et limites dans lesquelles la commission de recours amiable de ces organismes rend un avis sur les recours administratifs adressés au président du conseil départemental ; ces stipulations portent notamment sur l'objet et le montant des litiges dont la commission est saisie et les conditions financières de cette intervention (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 262-90 du code de l'action sociale et des familles : " Lorsqu'elle est saisie, la commission de recours amiable se prononce dans un délai d'un mois à compter de la date de saisine. A réception de l'avis, le président du conseil départemental statue, sous un mois, sur le recours administratif qui lui a été adressé. / Si elle ne s'est pas prononcée au terme du délai mentionné au précédent alinéa, son avis est réputé rendu et le président du conseil départemental statue, sous un mois, sur le recours administratif qui lui a été adressé. (...) "
5. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. L'application de ce principe n'est pas exclue en cas d'omission d'une procédure obligatoire, à condition qu'une telle omission n'ait pas pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte. Toutefois, la circonstance que le législateur ait entendu permettre à chaque département, agissant par voie de convention avec l'organisme chargé du service du revenu de solidarité active, de déterminer les hypothèses dans lesquelles les réclamations dirigées contre des décisions relatives au revenu de solidarité active sont soumises pour avis à la commission de recours amiable de cet organisme n'a pas pour effet de retirer à la consultation de cette commission, eu égard à sa nature et à sa composition, le caractère d'une garantie apportée, lorsqu'elle est prévue, au bénéficiaire du revenu de solidarité active.
6. Par suite, le tribunal administratif a commis une erreur de droit en déduisant de ce qu'il appartient au département, lequel doit en vertu de l'article L. 262-47 du code de l'action sociale et des familles être saisi préalablement à tout recours contentieux contre un indu de revenu de solidarité active, d'arrêter la position définitive de l'administration en la matière, que le défaut de consultation de la commission de recours amiable ne pouvait être regardé comme privant l'intéressée d'une garantie.
7. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, Mme B... est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué.
8. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Thomas-Raquin, Le Guérer, Bouniol-Brochier, avocat de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge du département de la Haute-Marne la somme de 2 000 euros à verser à cette société. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 4 janvier 2023 du tribunal administratif de Châlons en Champagne est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Article 3 : Le département de la Haute-Marne versera à la SCP Thomas-Raquin, Le Guérer, Bouniol-Brochier, avocat de Mme B..., une somme de 2 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Les conclusions présentées par le département de la Haute-Marne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au département de la Haute-Marne.
Copie en sera adressée à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 juin 2024 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 23 juillet 2024.
La présidente :
Signé : Mme Gaëlle Dumortier
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Luc Matt
Le secrétaire :
Signé : M. Mickaël Lemasson