Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 3 août 2023 et les 19 janvier, 21 mai et 24 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société E-Pango demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision de la Commission de régulation de l'énergie du 24 juillet 2023 lui notifiant un complément de prix au titre de l'année 2022, dans le cadre du dispositif de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), la délibération n° 2023-176 du 29 juin 2023 de cette Commission portant décision sur le calcul du complément de prix de l'ARENH sur l'année 2022 et la délibération n° 2023-207 du
20 juillet 2023 portant correction de la délibération du 29 juin 2023 ;
2°) de mettre à la charge de la Commission de régulation de l'énergie la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu :
- le code de l'énergie ;
- l'arrêté du 17 mai 2011 relatif au calcul des droits à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ;
- l'arrêté du 17 mai 2011 fixant le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique à compter du 1er janvier 2012 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Pau, auditeur,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique relatif à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique :
En ce qui concerne la détermination des droits :
1. En vertu des articles L. 336-1 et L. 336-2 du code de l'énergie, un accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) a été ouvert, jusqu'au 31 décembre 2025, aux fournisseurs d'électricité qui le demandent, dans la limite d'un volume global maximal, ne pouvant excéder 100 térawattheures par an jusqu'au 31 décembre 2019 et 150 térawattheures par an à compter du 1er janvier 2020. L'article L. 336-3 du même code prévoit que " le volume maximal cédé à un fournisseur mentionné à l'article L. 336-2 est calculé pour une année par la Commission de régulation de l'énergie (...) en fonction des caractéristiques et des prévisions d'évolution de la consommation des consommateurs finals (...) que l'intéressé fournit et prévoit de fournir sur le territoire métropolitain continental, et en fonction de ce que représente la part de la production des centrales mentionnées à l'article L. 336-2 dans la consommation totale des consommateurs finals ". En vertu de l'article L. 337-13 de ce code, le prix de l'électricité cédé par Electricité de France en application de ces dispositions est arrêté par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie, pris sur proposition de la Commission de régulation de l'électricité. En vertu d'un arrêté du 17 mai 2011, ce prix est fixé à 42 euros, hors taxes, par mégawattheure depuis le 1er janvier 2012.
2. Aux termes de l'article R. 336-1 du code de l'énergie : " Dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) prévu par l'article L. 336-1, l'électricité est cédée par la société EDF aux fournisseurs d'électricité autorisés sous la forme de produits livrés par périodes d'une durée d'un an, caractérisés par une quantité et un profil ". Aux termes de l'article R. 336-2 du même code, dans sa rédaction applicable à la date des décisions attaquées : " Les périodes de livraison commencent le 1er janvier et le 1er juillet. La quantité d'un produit, exprimée en mégawatts, est la puissance moyenne d'électricité délivrée pendant la période de livraison de ce produit ". Aux termes de l'article R. 336-3 du même code : " Le profil du produit est la chronique demi-heure par demi-heure de la puissance délivrée pendant la période de livraison ". L'article R. 336-10 du même code prévoit que la transmission d'un dossier de demande d'électricité nucléaire historique vaut engagement ferme de la part du fournisseur d'acheter les quantités totales de produit qui lui seront cédées au cours de la période de livraison en application de la décision de la Commission de régulation de l'énergie.
3. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 336-14 du même code, dans sa rédaction applicable à la date des décisions attaquées : " La quantité de produit théorique est déterminée pour chacune des sous-catégories de consommateurs en fonction de la consommation prévisionnelle durant les heures de faible consommation d'électricité sur le territoire métropolitain continental, selon des modalités définies par arrêté du ministre chargé de l'énergie, après avis de la Commission de régulation de l'énergie ". L'article 2 de l'arrêté du 17 mai 2011 relatif au calcul des droits à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, pris pour l'application de cet article, prévoit que la consommation prévisionnelle durant les heures de faible consommation d'électricité sur le territoire métropolitain continental est établie sur la base d'une période dite " de référence " courant du 1er avril au 30 octobre, constituée " des heures creuses d'avril à juin et de septembre à octobre " ainsi que des heures des mois de juillet et août.
4. Il résulte des dispositions citées aux points 1 à 3 que les droits alloués à un fournisseur dans le cadre du dispositif de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, en amont du début de la période de livraison, sont déterminés sur une base annuelle et selon un profil constant d'un mois à l'autre, en fonction de la consommation prévisionnelle annuelle de base du portefeuille des clients calculée à partir de celle estimée durant la période de référence.
En ce qui concerne le complément de prix en cas de livraisons excédentaires :
5. Aux termes du premier alinéa du II de l'article L. 336-5 du code de l'énergie : " Dans le cas où les droits alloués à un fournisseur en début de période en application de l'article L. 336-3 s'avèrent supérieurs aux droits correspondant (...) à la consommation constatée des consommateurs finals sur le territoire métropolitain continental (...) fournis par ce fournisseur, la Commission de régulation de l'énergie notifie au fournisseur et à Electricité de France le complément de prix à acquitter par le premier au titre des volumes excédentaires ". Aux termes de l'article R. 336-35 du même code, dans sa rédaction applicable à la date des décisions attaquées : " Le complément de prix est constitué pour chaque fournisseur : / 1° D'un terme " CP1 " égal à la somme pour chaque catégorie de consommateurs, de la différence, si elle est positive, entre la valorisation sur le marché, sur l'année calendaire considérée, de la quantité de produit excédentaire et le montant correspondant à l'achat de cette quantité au prix de l'électricité nucléaire historique ; / (...) ". L'article R. 336-33 du même code précise que, pour déterminer la quantité de produit excédentaire, la Commission de régulation de l'énergie calcule, pour l'année calendaire écoulée, " la quantité " Q " égale à la moyenne des quantités de produit cédées au fournisseur au titre de l'ARENH au cours des deux semestres de l'année considérée, pondérée par le nombre de jours de chacun des deux semestres " et " la quantité "Qmax " égale à la somme des quantités de produit théoriques (...) calculées conformément à la méthode mentionnée à l'article R. 336-14 sur la base des consommations constatées par le gestionnaire du réseau public de transport ".
6. Il résulte de ces dispositions que, dans l'hypothèse où les volumes d'électricité nucléaire historique alloués ex ante à un fournisseur en amont du début de la période de livraison annuelle s'avèrent rétrospectivement supérieurs aux volumes qui auraient dû lui être alloués compte tenu de la consommation constatée ex post de son portefeuille de clients, la Commission de régulation de l'énergie notifie à ce fournisseur un complément de prix, dit " CP1 ", dont il doit s'acquitter, correspondant à la différence entre la valorisation sur le marché, au cours de l'année calendaire écoulée, de la quantité excédentaire livrée et la valorisation de cette même quantité au prix d'achat réglementairement fixé à 42 euros par mégawattheure.
7. La délibération n° 2020-285 du 2 décembre 2020 de la Commission de régulation de l'énergie portant décision relative aux modalités de calcul et de répartition du complément de prix en cas d'atteinte du plafond prévoit, au titre du traitement des cas particuliers, que lorsque les livraisons d'un fournisseur ont été interrompues en cours d'année, il est procédé notamment à une annualisation des quantités " Q " et " Qmax ".
Sur le litige :
8. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de la résiliation le 7 février 2022, par la société RTE, de l'accord de participation la liant à la société E-Pango pour l'exercice, par cette dernière, de son activité de responsable d'équilibre, qui lui permettait notamment d'assurer, dans le cadre de son activité de fournisseur d'électricité, la prise en charge de ses propres écarts, et en l'absence de rattachement à un autre responsable d'équilibre, la livraison des volumes d'électricité nucléaire historique qui avaient été octroyés à cette société au titre de l'année 2022 a été interrompue à compter du 8 février 2022. Par un courrier du 24 juillet 2023, la Commission de régulation de l'énergie a notifié à la société E-Pango, en application des dispositions citées aux points 5 à 7, un complément de prix " CP1 " d'un montant de plus de 3,3 millions d'euros, correspondant à l'avantage économique retiré des livraisons dont la société avait bénéficié sur la période du 1er janvier au 7 février 2022. La société E-Pango demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision du 24 juillet 2023 ainsi que des délibérations de la Commission de régulation de l'énergie n° 2023-1756 du 29 juin 2023 et n° 2023-207 du 20 juillet 2023 portant décision sur le calcul du complément de prix sur l'année 2022.
9. En premier lieu, la société E-Pango soutient, par la voie de l'exception d'illégalité, que les dispositions des articles R. 336-14, cité au point 3, et R. 336-33 à R. 336-35, cités au point 5, du code de l'énergie, de l'arrêté du 17 mai 2011, cité au point 3, et de la délibération n° 2020-285 du 2 décembre 2020 de la Commission de régulation de l'énergie, citée au point 7, méconnaissent l'article L. 336-5 du code de l'énergie, cité au point 5, dès lors qu'elles auraient pour effet, dans l'hypothèse où les livraisons d'électricité nucléaire historique à un fournisseur d'électricité sont interrompues avant le début de la période de référence mentionnée au point 3, de mettre à la charge de ce fournisseur un complément de prix " CP1 " fondé sur la totalité des quantités d'électricité nucléaire historique livrées au motif que la consommation constatée sur la période de référence est nulle, alors même que les quantités livrées auraient été effectivement utilisées pour approvisionner son portefeuille de clients et n'ont pas été revendues sur le marché de l'électricité.
10. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 4, les droits alloués dans le cadre du dispositif de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique sont déterminés sur une base annuelle et selon un profil constant d'un mois à l'autre, excluant dès lors toute livraison pour une période infra-annuelle. Il résulte de ce principe d'annualité qu'aucun droit n'est ouvert ex ante à un fournisseur qui n'envisagerait de n'être livré que pour une période infra-annuelle. Il en résulte également que l'interruption de livraison, pour quelque raison que ce soit, révèle ex post l'absence de droit à ce dispositif et justifie le reversement, par le fournisseur, via le complément de prix " CP1 ", du montant correspondant à la valorisation financière de la totalité des volumes effectivement livrés au cours de la période. Par suite, la société requérante n'est pas fondée, en tout état de cause, à soutenir, par la voie de l'exception, que les dispositions contestées méconnaissent les dispositions de l'article L. 336-5 du code de l'énergie, faute de prévoir une période de référence spécifique en cas de cessation anticipée des livraisons d'électricité nucléaire historique avant le 1er avril.
11. En deuxième lieu, le complément de prix " CP1 " neutralise financièrement l'avantage économique retiré par un fournisseur qui a bénéficié de livraisons d'électricité nucléaire historique excédant celles auxquelles il avait droit eu égard à la consommation de base constatée de son portefeuille de clients, et ne présente pas le caractère d'une sanction. Par suite, la circonstance que l'interruption de livraison dont a fait l'objet la société requérante procèderait d'une décision illégale de la Commission de régulation de l'énergie est sans incidence sur la légalité du montant du complément de prix " CP1 " mis à la charge de cette société, à qui il est loisible, si elle s'y croit fondée, d'introduire un recours indemnitaire à l'encontre de cette Autorité.
12. En troisième lieu, le moyen tiré de ce que l'application des dispositions attaquées, mentionnées au point 9, conduiraient à réattribuer illégalement les droits d'accès à l'électricité nucléaire historique de la société requérante à Electricité de France est inopérant et ne peut, par suite, qu'être écarté.
13. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société E-Pango doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société E-Pango est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société E-Pango et à la Commission de régulation de l'énergie.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 juin 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Olivier Pau, auditeur-rapporteur.
Rendu le 19 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Pau
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :