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19/07/2024 | FRANCE | N°467621

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 19 juillet 2024, 467621


Vu la procédure suivante :



Par une requête et cinq nouveaux mémoires, enregistrés le 16 septembre 2022, les 27 avril, 26 juillet, 7 septembre et 27 octobre 2023 et le 30 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société ElecLink demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération n° 2022-85 de la Commission de régulation de l'énergie du 17 mars 2022 portant approbation du modèle de contrat d'accès au réseau public de transport d'électricité définitif pour les nouvelles

interconnexions dérogatoires, ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gard...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et cinq nouveaux mémoires, enregistrés le 16 septembre 2022, les 27 avril, 26 juillet, 7 septembre et 27 octobre 2023 et le 30 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société ElecLink demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération n° 2022-85 de la Commission de régulation de l'énergie du 17 mars 2022 portant approbation du modèle de contrat d'accès au réseau public de transport d'électricité définitif pour les nouvelles interconnexions dérogatoires, ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé par cette autorité sur son recours gracieux contre cette délibération ;

2°) de mettre à la charge de la Commission de régulation de l'énergie la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- l'accord de commerce et de coopération entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique, d'une part, et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, d'autre part ;

- le règlement (CE) n° 714/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ;

- la directive 2009/72/CE du Parlement Européen et du Conseil du

13 juillet 2009 ;

- le règlement (UE) 2019/943 du Parlement européen et du Conseil du

5 juin 2019 ;

- la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du

5 juin 2019 ;

- le code de l'énergie ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2006-1731 du 23 décembre 2006 ;

- la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du

28 août 2014 portant décision finale sur la demande de dérogation de la société ElecLink en application de l'article 17 du règlement (CE) n° 714/2009 du 13 juillet 2009 concernant une interconnexion entre la France et la Grande-Bretagne ;

- la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du

9 mai 2012 portant décision sur les conditions de raccordement et d'accès au réseau public de transport des nouvelles interconnexions mentionnées à l'article 17 du règlement (CE) n° 714/2009 du 13 juillet 2009 ;

- la délibération n° 2022-67 de la Commission de régulation de l'énergie du 8 mars 2022 portant approbation de la méthodologie de calcul de capacité long terme intérimaire à la frontière entre la France et la Grande-Bretagne ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyril Martin de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 juin 2024, présentée par la société ElecLink ;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

En ce qui concerne le droit de l'Union européenne :

1. D'une part, l'article 2 du règlement (CE) n° 714/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 sur les conditions d'accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d'électricité et abrogeant le règlement (CE) n° 1228/2003 définissait une interconnexion comme " une ligne de transport qui traverse ou enjambe une frontière entre des Etats membres et qui relie les réseaux de transport nationaux des Etats membres ", et une nouvelle interconnexion comme une interconnexion qui n'était pas achevée au 4 août 2003. Le même article définissait la " congestion " comme " une situation dans laquelle une interconnexion reliant des réseaux de transport nationaux ne peut pas accueillir tous les flux physiques résultant d'échanges internationaux demandés par les acteurs du marché, en raison d'un manque de capacité des interconnexions et/ou des réseaux nationaux de transport concernés ". L'article 2 du règlement (UE) 2019/943 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 sur le marché intérieur de l'électricité, qui a abrogé le règlement (CE) n° 714/2009 à compter du 1er janvier 2020, reprend ces définitions.

2. D'autre part, l'article 17 du règlement du 13 juillet 2009, dont les dispositions ont en substance été reprises à l'article 63 du règlement du 5 juin 2019, disposait, à son paragraphe 1, que " [l]es nouvelles interconnexions en courant continu peuvent, sur demande, bénéficier, pendant une durée limitée, d'une dérogation à l'article 16, paragraphe 6, du présent règlement, ainsi qu'aux articles 9 et 32 et à l'article 37, paragraphes 6 et 10, de la directive 2009/72/CE (...) ", lesquels prévoient des obligations relatives, notamment, à la dissociation des structures de propriété des réseaux de transport et des gestionnaires de réseau de transport, à l'accès non-discriminatoire des tiers aux réseaux de transport et à l'emploi des recettes tirées de la congestion perçues par les gestionnaires d'interconnexions. Le paragraphe 1 de l'article 17 du règlement du 13 juillet 2009 subordonnait l'octroi d'une telle dérogation au respect de certaines conditions, notamment celles tenant à ce que " le degré de risque associé à l'investissement est tel que l'investissement ne serait pas effectué si la dérogation n'était pas accordée ", " l'interconnexion doit être la propriété d'une personne physique ou morale distincte (...) des gestionnaires de réseau dans les réseaux desquels cette interconnexion sera construite " et " des redevances sont perçues auprès des utilisateurs de cette interconnexion ". Le paragraphe 4 de ce même article disposait que " [l]a décision relative à la dérogation (...) est prise au cas par cas par les autorités de régulation des Etats membres concernés (...) ".

En ce qui concerne le droit national :

3. Aux termes de l'article L. 134-1 du code de l'énergie : " Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires, la Commission de régulation de l'énergie précise, par décision publiée au Journal officiel de la République française, les règles concernant : / (...) / 3° Les conditions d'accès aux réseaux et de leur utilisation (...) ; / (...) / 8° Les conditions d'accès et de raccordement aux réseaux publics des nouvelles interconnexions mentionnées à l'article 63 du règlement (UE) 2019/943 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 sur le marché intérieur de l'électricité (...) ".

Sur le litige :

4. Il ressort des pièces du dossier que par une délibération du 28 août 2014 de la Commission de régulation de l'énergie et une décision du 16 septembre 2014 de l'Office of Gas and Electricity Markets, autorité de régulation britannique dans les secteurs de l'électricité et du gaz, ces deux autorités de régulation ont octroyé à la société ElecLink une dérogation sur le fondement des dispositions de l'article 17 du règlement (CE) n° 714/2009 du 13 juillet 2009 citées au point 2, en vue de l'exploitation d'une nouvelle interconnexion dérogatoire (NID) d'une capacité d'un gigawatt entre la France et la Grande-Bretagne. La société RTE Réseau de transport d'électricité (RTE) a soumis pour approbation à la Commission de régulation de l'énergie un modèle de contrat d'accès au réseau public de transport d'électricité définitif pour les nouvelles interconnexions dérogatoires (CART-NID définitif), comprenant des conditions générales et des conditions particulières, que cette commission a approuvé par sa délibération n° 2022-85 du 17 mars 2022. La société ElecLink demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette délibération.

En ce qui concerne la légalité externe :

5. En premier lieu, si la délibération attaquée aurait dû être publiée au Journal officiel en vertu des dispositions de l'article L. 134-1 du code de l'énergie citées au point 3, la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur sa légalité.

6. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ". S'agissant d'un organisme collégial, il est satisfait aux exigences découlant des prescriptions de cet article, dès lors que la décision prise comporte la signature de son président, accompagnée des mentions prévues par cet article. Il ressort des pièces du dossier que l'original de la délibération attaquée comporte la mention du prénom, du nom et de la qualité du président de la Commission de régulation de l'énergie ainsi que sa signature. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté.

7. En troisième et dernier lieu, la délibération litigieuse est un acte réglementaire, qui par suite ne relève pas des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, relatives à la motivation des décisions administratives individuelles défavorables, ni de celles de l'article L. 211-3 du même code, relatives à la motivation des décisions administratives individuelles qui dérogent aux règles générales fixées par la loi ou le règlement. En conséquence, la société requérante ne peut utilement soutenir qu'elle serait insuffisamment motivée.

En ce qui concerne la légalité interne :

8. Il résulte des dispositions citées au point 2 que le régime juridique particulier dont bénéficie le gestionnaire d'une NID a pour objet de lui permettre la réalisation d'un profit destiné, notamment, à rémunérer le risque associé à la construction et à l'exploitation d'une telle infrastructure. A ce titre, il perçoit des redevances dont le montant reflète principalement le différentiel de prix des marchés de gros de l'électricité entre les zones de prix qu'elle relie et qui ont à cet égard, pour partie, le caractère de recettes tirées de la congestion au sens de ces dispositions, en contrepartie de la cession de droits d'utilisation de la capacité de transport d'électricité de l'interconnexion, alloués à différentes échéances (long terme, journalière et infrajournalière). L'utilisation par ses clients de la capacité de transport de la NID nécessite que son gestionnaire dispose d'un accès aux deux réseaux publics de transport d'électricité qu'elle connecte l'un à l'autre. Cet accès aux réseaux publics de transport d'électricité peut toutefois être temporairement interrompu ou réduit du fait des contraintes inhérentes à la gestion de tels réseaux, obligeant le gestionnaire de la NID à limiter sa propre capacité de transport, soit en renonçant à vendre des droits d'utilisation correspondant à une capacité non encore allouée, soit en remettant en cause des droits d'utilisation déjà cédés, en contrepartie, dans cette dernière hypothèse, du versement de compensations à ses clients.

9. Le modèle de CART-NID définitif approuvé par la délibération attaquée prévoit qu'en principe, la société RTE, en sa qualité de gestionnaire du réseau public français de transport d'électricité, indemnise le gestionnaire de la NID des conséquences dommageables d'une limitation de la capacité de transport de la NID due à une indisponibilité non programmée ou à une intervention programmée affectant la partie " amont " du réseau public de transport, sous réserve d'un seuil et d'un plafond annuels précisés au point suivant. Aux termes de l'annexe 10 aux conditions générales du modèle de CART-NID définitif, une indisponibilité non programmée est une indisponibilité résultant soit du fonctionnement d'un automatisme, soit d'une action volontaire dans le cadre d'une intervention urgente pour assurer la sécurité des personnes ou des biens, tandis qu'une intervention programmée est une opération nécessaire à la maintenance, au renouvellement, au développement et à la réparation des ouvrages du réseau public de transport, pouvant conduire à interrompre ou réduire les capacités de transit de la NID.

10. Ainsi, d'une part, le modèle de CART-NID définitif approuvé par la délibération attaquée prévoit, dans le cas d'une NID reliant la France et le Royaume-Uni, un seuil annuel (le " Quota ") en-deçà duquel le gestionnaire de la NID n'est pas en droit d'être indemnisé du préjudice qu'il subit du fait d'interventions programmées. Ce seuil annuel, exprimé en quantité d'énergie, est égal à 35 % de la capacité technique de la NID sur une période de huit semaines (24 heures sur 7 jours). D'autre part, le modèle de CART-NID définitif prévoit un plafond annuel des indemnisations versées tant en cas d'indisponibilité non programmée que d'intervention programmée, fixé à dix millions d'euros par gigawatt de capacité de la NID. Toutefois, ce plafond ne s'applique pas, durant les quarante-huit premières heures d'interruption ou de réduction de capacité causée par une indisponibilité non programmée, à l'indemnisation correspondant aux capacités déjà allouées à ses utilisateurs par le gestionnaire de la NID.

11. Au titre de la légalité interne, la société ElecLink conteste la délibération attaquée en ce qu'elle approuve les stipulations du modèle de CART-NID définitif prévoyant ce quota et ce plafond annuels d'indemnisation.

S'agissant des moyens tirés de la méconnaissance des principes d'égalité, de transparence et de non-discrimination et d'une erreur de droit :

12. La société ElecLink soutient que la délibération attaquée méconnaît les principes d'égalité, de transparence et de non-discrimination garantis tant par le droit de l'Union européenne que par le droit national, au motif que les modalités d'indemnisation du gestionnaire d'une NID qu'elle approuve seraient excessivement défavorables par rapport, d'une part, à celles applicables aux autres utilisateurs du réseau public de transport d'électricité, à savoir les consommateurs, les producteurs, y compris les producteurs d'énergie éolienne en mer, et les gestionnaires de réseau de distribution, et, d'autre part, à la situation des " interconnexions régulées ". Elle soutient également que la Commission de régulation de l'énergie a commis une erreur de droit en prenant en compte, pour arrêter les conditions d'accès au réseau d'une NID, le régime juridique particulier dont celle-ci bénéficie.

13. Le principe d'égalité de traitement, en tant que principe général du droit de l'Union, impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié. Le caractère comparable de situations différentes s'apprécie eu égard à l'ensemble des éléments qui les caractérisent. Ces éléments doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l'objet et du but de l'acte qui institue la distinction en cause. Doivent, en outre, être pris en considération les principes et les objectifs du domaine dont relève l'acte en cause. Cependant, une différence de traitement entre des situations comparables est justifiée dès lors qu'elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c'est-à-dire lorsqu'elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation en cause et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné.

14. Le principe d'égalité, en tant que principe général du droit, ne s'oppose ni à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

15. En premier lieu, il ressort des termes mêmes de la délibération attaquée qu'en prévoyant les modalités d'indemnisation contestées, la Commission de régulation de l'énergie a poursuivi l'objectif " d'équilibrer le risque lié à des réductions de la capacité d'interconnexion entre RTE et la NID ", compte tenu de la situation particulière de cette dernière consistant à exploiter, dans les conditions décrites au point 8, une infrastructure transfrontalière de transport d'électricité connectée au réseau public de transport géré par RTE. En estimant ainsi que le risque de limitation de la capacité de transport de la NID due à des indisponibilités affectant l'un des réseaux publics de transport qu'elle relie était au nombre des risques d'exploitation auxquels le gestionnaire d'une NID, à l'instar de tout gestionnaire d'interconnexion, se trouve exposé, et en contrepartie desquels il bénéficie du régime juridique dérogatoire prévu par les dispositions citées au point 2, la Commission de régulation de l'énergie n'a pas commis d'erreur de droit.

16. En deuxième lieu, d'une part, le gestionnaire d'une NID se trouve, ainsi qu'il vient d'être dit, dans une situation particulière consistant à exploiter, dans les conditions décrites au point 8, une infrastructure transfrontalière de transport d'électricité entre deux réseaux publics de transport distincts. A ce titre, il injecte et soutire d'importants volumes d'électricité sur ces deux réseaux. Par ailleurs, en application de la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 9 mai 2012 portant décision sur les conditions de raccordement et d'accès au réseau public de transport des nouvelles interconnexions mentionnées à l'article 17 du règlement (CE) n° 714/2009 du 13 juillet 2009, il ne se voit facturer ni le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité ni les coûts correspondant au renforcement du réseau public de transport nécessaire à son raccordement. Il se trouve par suite, au regard de l'objet de la délibération attaquée, à savoir des conditions d'accès au réseau public de transport d'électricité, dans une situation qui n'est comparable, à la date de cette délibération, à celle d'aucune des autres catégories d'utilisateurs du réseau de transport d'électricité.

17. D'autre part, si les modalités d'indemnisation prévues en faveur des autres catégories d'utilisateurs du réseau public de transport prévoient, ainsi que le soutient la société ElecLink, des seuils d'indemnisation en cas d'indisponibilités programmées qui, ramenés à un nombre moyen de jours d'interruption par an, sont nettement inférieurs au quota mentionné au point 10, exprimé en nombre de jours d'interruption totale de l'interconnexion par an, et ne comportent en outre aucun plafond d'indemnisation, il ne ressort pas des pièces du dossier que la différence de traitement qui en résulte serait disproportionnée au regard des motifs qui la justifient.

18. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 321-6 du code de l'énergie : " Le gestionnaire du réseau public de transport exploite et entretient le réseau public de transport d'électricité. Il est responsable de son développement afin de permettre le raccordement des producteurs, des consommateurs, des exploitants d'installations de stockage, la connexion avec les réseaux publics de distribution et l'interconnexion avec les réseaux des autres pays européens ". L'article R. 321-1 du même code précise que " le réseau public de transport d'électricité assure (...) les fonctions d'interconnexion avec les réseaux de transport d'électricité des pays voisins ". Les " interconnexions régulées ", c'est-à-dire les interconnexions n'ayant pas fait l'objet d'une décision de dérogation prise sur le fondement des dispositions citées au point 2, font partie à ce titre du réseau public de transport d'électricité et sont exploitées par la société RTE en sa qualité de gestionnaire de ce réseau, de sorte que leur fonctionnement ne requiert la conclusion d'aucun contrat d'accès au réseau. Par suite, la société ElecLink ne saurait utilement se prévaloir, à l'appui des moyens tirés de la méconnaissance des principes d'égalité, de transparence et de non-discrimination qu'elle soulève, de la situation des " interconnexions régulées ".

19. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que, s'agissant du quota annuel d'indemnisation mentionné au point 10, applicable dans le cas d'une NID reliant la France et le Royaume-Uni, celui-ci a été calculé en fonction des besoins particuliers d'entretien et de maintenance du réseau public de transport dans la zone correspondante. Il ressort également des pièces du dossier que, s'agissant du plafond d'indemnisation de dix millions d'euros mentionné au même point 10, celui-ci n'est susceptible de s'appliquer, eu égard notamment à la circonstance que la plupart des indisponibilités non programmées sont d'une durée inférieure à 48 heures, que dans des situations exceptionnelles. Dans ces conditions, la société ElecLink n'est pas fondée à soutenir que ces modalités d'indemnisation seraient excessivement défavorables, " arbitraires " ou entachées, à supposer un tel moyen soulevé, d'une erreur manifeste d'appréciation.

20. Il résulte de ce qui a été dit aux points 15 à 19 que les moyens tirés de la méconnaissance des principes d'égalité, de transparence et de non-discrimination, ainsi que d'une erreur de droit, doivent être écartés.

S'agissant des autres moyens :

21. En premier lieu, l'argumentation développée au soutien des moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 4 du traité sur l'Union européenne, combinées aux dispositions de l'article 3 de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019, ainsi que de celles de l'article 216 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, combinées à celles des articles 306 et suivants de l'accord de commerce et de coopération entre l'Union européenne et la Communauté Européenne de l'énergie atomique, d'une part, et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, d'autre part, repose sur l'allégation selon laquelle les modalités d'indemnisation approuvées par la délibération attaquée seraient à ce point défavorables au gestionnaire d'une NID qu'elles seraient incompatibles avec l'objectif de développement des échanges transfrontaliers d'électricité qui résulte des dispositions et stipulations invoquées. Eu égard à ce qui a été dit au point 19, ces moyens ne peuvent, en tout état de cause, qu'être écartés.

22. En deuxième lieu, l'argumentation développée au soutien du moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 4 du traité sur l'Union européenne, combinées à celles des articles 106 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, repose sur l'allégation selon laquelle les modalités d'indemnisation approuvées par la délibération attaquée seraient à ce point défavorables au gestionnaire d'une NID qu'elles permettraient à la société RTE d'abuser de sa position dominante, de renforcer celle dont il dispose sur le " marché des interconnexions " et de dégrader les conditions de la concurrence sur celui des garanties de capacité. Eu égard à ce qui a été dit au point 19, et alors en outre qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la société RTE serait incitée à dégrader les conditions d'exploitation du gestionnaire d'une NID, ce moyen ne peut qu'être écarté.

23. En troisième lieu, les dispositions des articles 17 et 18 du cahier des charges type de concession du réseau public de transport d'électricité annexé au décret du 23 décembre 2006 approuvant ce cahier des charges se bornent à prévoir qu'en cas de méconnaissance par le gestionnaire du réseau public de transport de ses engagements relatifs, d'une part, à la qualité de l'électricité, notamment aux interruptions d'alimentation fortuites, d'autre part, aux interruptions programmées de l'accès au réseau, il dédommage les utilisateurs en fonction du préjudice subi, et renvoient aux contrats d'accès au réseau le soin de préciser, notamment, les modalités financières. Le moyen tiré de ce que les modalités d'indemnisation approuvées par la délibération attaquée méconnaîtraient ces dispositions ne peut, eu égard notamment à ce qui a été dit au point 19, qu'être écarté.

24. En quatrième lieu, la société ElecLink soutient que la délibération attaquée serait contraire aux règles d'indemnisations prévues, d'une part, par la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 9 mai 2012 portant décision sur les conditions de raccordement et d'accès au réseau public de transport des nouvelles interconnexions mentionnées à l'article 17 du règlement (CE) n° 714/2009 du 13 juillet 2009, et d'autre part, par la convention de raccordement conclue le 29 septembre 2016 avec la société RTE. Toutefois, d'une part, il résulte des termes mêmes de la délibération du 9 mai 2012 que les modalités d'indemnisation qu'elle prévoit n'avaient vocation à figurer que dans la convention de raccordement conclue entre le gestionnaire de la NID et celui du réseau public de transport, et non dans le contrat d'accès au réseau. D'autre part, il ressort des stipulations de la convention de raccordement conclue le 29 septembre 2016 entre la société ElecLink et la société RTE que les règles d'indemnisation qu'elle comporte n'avaient vocation à s'appliquer que jusqu'à la fin d'une " Deuxième Période " devant s'achever à la mise en service, au plus tard en mars 2019, d'un ensemble de projets de renforcement du réseau public de transport. Il suit de là que la société ElecLink ne peut utilement se prévaloir, à l'encontre de la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 17 mars 2022 dont elle demande l'annulation, qui a pour objet d'approuver le modèle de contrat d'accès au réseau public de transport d'électricité définitif pour les nouvelles interconnexions dérogatoires, ni de la délibération de la même commission du 9 mai 2012 ni de la convention de raccordement conclue le 29 septembre 2016 avec la société RTE. Les moyens tirés sur ce point d'une erreur de droit, de la méconnaissance du principe de sécurité juridique et de l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme, de l'atteinte, à supposer un tel moyen soulevé, à des conventions légalement conclues, ainsi que de la violation de l'article 309 de l'accord de commerce et de coopération entre l'Union européenne et la Communauté Européenne de l'énergie atomique, d'une part, et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, d'autre part, ne peuvent, dès lors, et en tout état de cause, qu'être écartés.

25. En cinquième et dernier lieu, la délibération attaquée n'a ni pour objet ni pour effet de régir la méthodologie applicable au calcul de la capacité de transport à la frontière entre la France et la Grande-Bretagne ou d'arrêter les règles relatives à l'allocation des capacités de transport de la NID. Elle est, notamment, sans incidence sur le niveau minimal de capacité de transport, égal à 35 % de la capacité totale de l'interconnexion, que la société RTE est tenue de garantir à la société ElecLink, en cas d'indisponibilité programmée, en vertu de la délibération n° 2022-67 de la Commission de régulation de l'énergie du 8 mars 2022 portant approbation de la méthodologie de calcul de capacité long terme intérimaire à la frontière entre la France et la Grande-Bretagne. Il suit de là que les moyens tirés de la confusion entre calcul de la capacité de transport sur cette frontière, processus d'allocation des capacités de la NID et accès au réseau, qui procéderaient d'un détournement de pouvoir, ne peuvent qu'être écartés.

26. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société ElecLink doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société ElecLink la somme de 3 000 euros à verser à la société RTE à ce titre.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société ElecLink est rejetée.

Article 2 : La société ElecLink versera à la société RTE la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société ElecLink, à la Commission de régulation de l'énergie et à la société RTE Réseau de transport d'électricité.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 26 juin 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Cyril Martin de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 19 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

Le rapporteur :

Signé : M. Cyril Martin de Lagarde

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 467621
Date de la décision : 19/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 jui. 2024, n° 467621
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyril Martin de Lagarde
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:467621.20240719
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