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18/07/2024 | FRANCE | N°474167

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 18 juillet 2024, 474167


Vu la procédure suivante :



L'association de défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne, l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, la société civile immobilière Château de Rosières, Mme E... F..., M. et Mme C... B..., M. D... A... et M. D... G... ont demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 9 décembre 2015 par lequel le préfet de la région Bourgogne a autorisé la société Eole Res, devenue depuis société Res puis société Q Energy France, à exploiter un

parc éolien de dix-sept aérogénérateurs et cinq structures de livraison sur les terr...

Vu la procédure suivante :

L'association de défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne, l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, la société civile immobilière Château de Rosières, Mme E... F..., M. et Mme C... B..., M. D... A... et M. D... G... ont demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 9 décembre 2015 par lequel le préfet de la région Bourgogne a autorisé la société Eole Res, devenue depuis société Res puis société Q Energy France, à exploiter un parc éolien de dix-sept aérogénérateurs et cinq structures de livraison sur les territoires des communes de Montigny-Mornay-Villeneuve-sur-Vingeanne, de Pouilly-sur-Vingeanne et de Saint-Seine-sur-Vingeanne (Côte-d'Or). Par un jugement n° 1601325 du 25 juin 2018, le tribunal administratif de Dijon a annulé cet arrêté.

Par un arrêt avant-dire droit n° 18LY03261-18LY03416 du 11 février 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a sursis à statuer sur les requêtes d'appel de la société Res et du ministre de la transition écologique et solidaire tendant à l'annulation de ce jugement, jusqu'à la transmission d'un arrêté de régularisation dans un délai de dix mois.

Par un arrêt n° 18LY03261-18LY03416 du 15 mars 2023, la cour administrative d'appel de Lyon a, d'une part, annulé l'arrêté du préfet de la région Bourgogne du 9 décembre 2015, tel que modifié par l'arrêté du préfet de la Côte-d'Or du 2 mars 2022, en tant qu'il autorise l'éolienne T 13, qu'il ne prévoit aucune mesure de bridage à l'égard de l'éolienne T 12 et qu'il n'identifie pas précisément les espèces cibles du dispositif anticollision prévu par l'article 3.1 de l'autorisation modificative, d'autre part, complété l'article 5 de l'arrêté du préfet de la Côte-d'Or du 2 mars 2022 en y ajoutant l'éolienne T 12, enfin, enjoint au préfet de la Côte-d'Or de compléter l'article 3.1 de son arrêté du 2 mars 2022 en précisant les espèces cibles du dispositif anticollision qu'il prévoit.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 mai et 20 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ces arrêts ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les requêtes présentées par la société Res et par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la société Q Energy France la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 26 août 2011 de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement relatif à la remise en état et à la constitution des garanties financières pour les installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent ;

- l'arrêté du 22 juin 2020 de la ministre de la transition écologique et solidaire portant modification des prescriptions relatives aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association de défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres, et à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de la société Q Energy France ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 juin 2024, présentée par la société Q Energy France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 9 décembre 2015, le préfet de la région Bourgogne a autorisé la société Eole Res, devenue depuis société Res puis société Q Energy France, à exploiter un parc éolien composé de dix-sept aérogénérateurs et cinq postes de livraison sur le territoire des communes de Montigny-Mornay-Villeneuve-sur-Vingeanne, de Pouilly-sur-Vingeanne et de Saint-Seine-sur-Vingeanne (Côte-d'Or). Par un jugement du 25 juin 2018, le tribunal administratif de Dijon, saisi par l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres, a annulé cet arrêté. Par un arrêt avant-dire droit du 11 février 2021, la cour administrative d'appel a sursis à statuer sur les requêtes d'appel de la société Res et du ministre de la transition écologique et solidaire tendant à l'annulation de ce jugement, jusqu'à la transmission d'un arrêté de régularisation dans un délai de dix mois. Par un arrêt du 15 mars 2023, la cour administrative d'appel de Lyon a, d'une part, annulé l'arrêté du préfet de la région Bourgogne du 9 décembre 2015, tel que modifié par l'arrêté du préfet de la Côte-d'Or du 2 mars 2022, en tant qu'il autorise l'éolienne T 13, qu'il ne prévoit aucune mesure de bridage à l'égard de l'éolienne T 12 et qu'il n'identifie pas précisément les espèces cibles du dispositif anticollision prévu par l'article 3.1 de l'autorisation modificative, d'autre part, complété l'article 5 de l'arrêté du préfet de la Côte-d'Or du 2 mars 2022 en y ajoutant l'éolienne T 12, enfin, enjoint au préfet de la Côte-d'Or de compléter l'article 3.1 de son arrêté du 2 mars 2022 en précisant les espèces cibles du dispositif anticollision qu'il prévoit, et d'autre part, rejeté le surplus de leurs conclusions d'annulation. L'association de défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres se pourvoient en cassation contre ces deux arrêts.

Sur les conclusions du pourvoi dirigées contre l'arrêt avant-dire droit du 11 février 2021 :

2. Aux termes de l'article L. 515-46 du code de l'environnement : " L'exploitant d'une installation produisant de l'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent ou, en cas de défaillance, la société mère est responsable de son démantèlement et de la remise en état du site, dès qu'il est mis fin à l'exploitation, quel que soit le motif de la cessation de l'activité. Dès le début de la production, puis au titre des exercices comptables suivants, l'exploitant ou la société propriétaire constitue les garanties financières nécessaires (...) ". Aux termes de l'article R. 515-101 du même code : " I. - La mise en service d'une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent soumise à autorisation au titre du 2° de l'article L. 181-1 est subordonnée à la constitution de garanties financières visant à couvrir, en cas de défaillance de l'exploitant lors de la remise en état du site, les opérations prévues à l'article R. 515-106. Le montant des garanties financières exigées ainsi que les modalités d'actualisation de ce montant sont fixés par l'arrêté d'autorisation de l'installation. / II. - Un arrêté du ministre chargé de l'environnement fixe, en fonction de l'importance des installations, les modalités de détermination et de réactualisation du montant des garanties financières qui tiennent notamment compte du coût des travaux de démantèlement (...) ".

3. En application de ces dispositions, la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement a pris, le 26 août 2011, un arrêté relatif à la remise en état et à la constitution des garanties financières pour les installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent qui fixait, en son annexe I, le montant initial de la garantie financière. Ce montant était égal au nombre d'aérogénérateurs, multiplié par le coût unitaire forfaitaire correspondant au démantèlement d'une unité, à la remise en état des terrains et à l'élimination ou à la valorisation des déchets générés, lui-même fixé à 50 000 euros par le même arrêté. Les dispositions de cet arrêté ont toutefois été modifiées par de nouvelles dispositions issues de l'arrêté du 22 juin 2020, portant modification des prescriptions relatives aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement. L'arrêté du 26 août 2011 modifié relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement prévoit ainsi, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêt attaqué, au II de son annexe I, que le montant initial de la garantie financière d'un aérogénérateur dont la puissance unitaire est supérieure à 2 MW, est désormais calculé selon la formule définie par le b) de ce II, selon laquelle : " Cu = 50 000 + 10 000 * (P-2) / où : / Cu est le montant initial de la garantie financière d'un aérogénérateur ; / P est la puissance unitaire installée de l'aérogénérateur, en mégawatt (MW) ".

4. Il appartient au juge des installations classées pour la protection de l'environnement d'apprécier le respect des règles relatives à la forme et la procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation, et d'appliquer les règles de fond applicables au projet en cause en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme, qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation. Lorsqu'il relève que l'autorisation environnementale contestée devant lui méconnaît une règle de fond applicable à la date à laquelle il se prononce, il peut, dans le cadre de son office de plein contentieux, lorsque les conditions sont remplies, modifier ou compléter l'autorisation environnementale délivrée afin de remédier à l'illégalité constatée, ou faire application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le montant initial des garanties financières, fixé à 868 860 euros par l'article 5 de l'arrêté attaqué, a été calculé sur la base d'un coût unitaire forfaitaire de 50 000 euros par aérogénérateur, quelle que soit la puissance de celui-ci, par application des dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 26 août 2011 mentionné au point 3, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué. Pour écarter le moyen tiré de l'insuffisance du montant des garanties financières de démantèlement et de remise en état du site, la cour a considéré que l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres n'établissaient pas que le montant du coût unitaire de démantèlement ainsi fixé serait excessivement faible. La cour en a déduit que l'association et les autres requérants n'étaient pas fondés à soutenir que le préfet aurait été tenu d'écarter, en raison de son illégalité, l'annexe I de l'arrêté du 26 août 2011 dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de faire application des dispositions réglementaires applicables à l'installation dans leur rédaction en vigueur à la date à laquelle elle s'est prononcée, soit l'annexe I de l'arrêté du 26 août 2011 modifié par l'arrêté du 22 juin 2020, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt avant-dire droit qu'ils attaquent.

Sur les conclusions du pourvoi dirigé contre l'arrêt du 15 mars 2023 :

7. Lorsque le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime par un premier jugement ou arrêt avant-dire droit, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de l'acte attaqué est susceptible d'être régularisé et sursoit en conséquence à statuer par application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, les motifs de ce premier jugement ou de ce premier arrêt qui écartent les autres moyens sont au nombre des motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif du jugement qui clôt finalement l'instance, si ce second jugement ou arrêt rejette les conclusions à fin d'annulation en retenant que le vice relevé dans le premier jugement ou arrêt a été régularisé, dans le délai imparti, par la délivrance d'une mesure de régularisation. Dans ces conditions, il appartient au juge d'appel ou de cassation, saisi de conclusions dirigées contre ces deux jugements ou ces deux arrêts, s'il annule le premier jugement ou arrêt, d'annuler en conséquence, le cas échéant d'office, le second jugement ou arrêt.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi soulevés à l'appui des conclusions dirigées contre l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Lyon le 15 mars 2023, que cet arrêt doit être annulé par voie de conséquence de l'annulation de l'arrêt du 11 février 2021.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Q Energy France et de l'Etat la somme de 1 500 euros chacun à verser à l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les arrêts des 11 février 2021 et 15 mars 2023 de la cour administrative d'appel de Lyon sont annulés.

Article 2 : Les affaires sont renvoyées à la cour administrative d'appel de Lyon.

Article 3 : La société Q Energy France et l'Etat verseront chacun à l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres une somme de 1 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société Q Energy France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne, représentante unique, pour l'ensemble des requérants, à la société Q Energy France et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 juin 2024 où siégeaient : M. Stéphane Hoynck, assesseur, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 18 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Stéphane Hoynck

Le rapporteur :

Signé : M. Cédric Fraisseix

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 474167
Date de la décision : 18/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 jui. 2024, n° 474167
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cédric Fraisseix
Rapporteur public ?: M. Frédéric Puigserver
Avocat(s) : SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES ; SCP MARLANGE, DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:474167.20240718
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