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15/07/2024 | FRANCE | N°487682

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 15 juillet 2024, 487682


Vu la procédure suivante :



Par une requête, enregistrée le 28 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... C... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 21 juin 2023 rapportant le décret du 12 août 2020 lui accordant la nationalité française ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





Vu les autres pièces du dossier ;





Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 28 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 21 juin 2023 rapportant le décret du 12 août 2020 lui accordant la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

2. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., ressortissant bulgare, a déposé une demande de naturalisation le 28 septembre 2017 dans laquelle il a indiqué être célibataire. Au vu de ses déclarations, il a été naturalisé par décret du 12 août 2020, publié au Journal officiel de la République française du 14 août 2020. Toutefois, par bordereau reçu le 25 juin 2021, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations de ce que M. C... a épousé à Veliko Tarnovo (Bulgarie), le 5 juillet 2019, Mme A... B..., ressortissante bulgare. Par décret du 21 juin 2023, publié au Journal officiel de la République française du 23 juin 2023, la Première ministre a rapporté le décret de naturalisation de M. C... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation maritale. M. C... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

3. En premier lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de naturalisation a commencé à courir à compter de la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressé a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés des éléments relatifs au mariage de l'intéressé, transmis par bordereau du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, que le 25 juin 2021, ainsi que l'atteste le tampon apposé sur ce bordereau. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 21 juin 2023, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil. En outre, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit la communication à l'intéressé du document par lequel le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations de la situation de l'intéressé.

4. En deuxième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a épousé à Veliko Tarnovo (Bulgarie), le 5 juillet 2019, Mme A... B..., ressortissante bulgare. Ce mariage a constitué un changement de sa situation personnelle et familiale qu'il aurait dû porter à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, comme il s'y était engagé lors de son dépôt de cette demande. Il n'a notamment pas fait état de sa nouvelle situation maritale lors de l'entretien d'assimilation qui s'est tenu le 10 juillet 2019 au cours duquel il se présentait comme étant toujours célibataire. L'intéressé, qui maîtrise la langue française ainsi qu'il ressort du compte-rendu de cet entretien, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'il a signée. S'il soutient que, s'étant marié avec une ressortissante de l'Union européenne dans un pays membre, il n'aurait cherché aucun avantage à dissimuler la réalité de sa situation familiale, il ne fait état d'aucune circonstance qui l'aurait mis dans l'impossibilité de faire part de la réalité de sa situation familiale au service chargé de l'instruction de son dossier avant l'intervention du décret lui accordant la nationalité française. Dans ces conditions, M. C... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale. Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, la Première ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.

6. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, M. C... ne saurait utilement se prévaloir d'une méconnaissance du délai prévu par l'article 21-25-1 du code civil pour statuer sur une demande de naturalisation pour soutenir que le décret attaqué porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 21 juin 2023 par lequel la Première ministre a rapporté le décret du 12 août 2020. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. D... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 juin 2024 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 15 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Nicolas Boulouis

Le rapporteur :

Signé : M. Jérôme Goldenberg

La secrétaire :

Signé : Mme Sandrine Mendy


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 487682
Date de la décision : 15/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 15 jui. 2024, n° 487682
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jérôme Goldenberg
Rapporteur public ?: Mme Dorothée Pradines

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:487682.20240715
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