Vu la procédure suivante :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision en date du 30 mai 2018 de la commission permanente du conseil régional d'Ile-de-France lui refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle et d'enjoindre, sous astreinte, à la région Ile-de-France de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa demande dans un délai de quatorze jours à compter de la notification du jugement à intervenir. Par un jugement n° 1807032, 1808491 du 12 février 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 21PA01886 du 3 juin 2021, la présidente de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 2123-34, L. 2123-35, L. 4135-28 et L. 4135-29 du code général des collectivités territoriales.
Par un arrêt n° 21PA01886 du 14 octobre 2022, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. C... contre le jugement du tribunal administratif de Montreuil.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 décembre 2022 et 14 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de région Ile-de-France la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Autret, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. B... C... et à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de la région Ile-de-France ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... C..., conseiller régional d'Ile-de-France, a été cité à comparaître devant le tribunal de grande instance de Paris pour des faits de diffamation envers la présidente du conseil régional à raison de propos tenus dans la presse en sa qualité de président de la mission d'information et d'évaluation, instituée en vertu de l'article L. 4132-21-1 du code général des collectivités territoriales, en vue d'éclairer le choix du site retenu pour le déménagement et le regroupement des services du conseil régional d'Ile-de-France dans le département de la Seine-Saint-Denis. Il a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle, prévue au second alinéa de l'article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales, qui lui a été refusé par une délibération du 30 mai 2018 de la commission permanente du conseil régional. Par un jugement du 12 février 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de M. C... tendant à l'annulation de cette décision. M. C... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 octobre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après que la présidente de la 4ème chambre de cette cour a, par une ordonnance du 3 juin 2021, refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution qu'il avait soulevée à l'encontre des dispositions des articles L. 2123-34, L. 2123-35, L. 4135-28 et L. 4135-29 du code général des collectivités territoriales, a rejeté son appel dirigé contre ce jugement et conteste, à l'occasion de ce pourvoi, le refus de transmission qui lui a été opposé.
Sur la contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Il résulte en outre des dispositions de l'article 23-5 de cette ordonnance que, lorsque le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. Aux termes de l'article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales : " (...) La région est tenue d'accorder sa protection au président du conseil régional, au conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ses fonctions ". Aux termes de l'article L. 4135-29 du même code dans sa version en vigueur à la date de la décision en litige : " Le président du conseil régional, les vice-présidents ou les conseillers régionaux ayant reçu délégation bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la région conformément aux règles fixées par le code pénal, les lois spéciales et le présent code. / La région est tenue de protéger le président du conseil régional, les vice-présidents ou les conseillers régionaux ayant reçu délégation contre les violences, menaces ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ".
4. A l'appui de son pourvoi, M. C... demande au Conseil d'Etat, d'une part, d'annuler l'ordonnance du 3 juin 2021 par laquelle la présidente de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qu'il avait soulevée devant cette cour, en tant que ce refus porte sur la question soulevée à l'encontre des articles L. 4135-28 et L. 4135-29 du code général des collectivités territoriales, et d'autre part, de renvoyer dans cette mesure cette question au Conseil constitutionnel. Il soutient que ces dispositions, en réservant le bénéfice de la protection fonctionnelle qu'elles instaurent aux membres du conseil régional chargés d'une fonction exécutive et en en excluant les autres membres, méconnaissent, d'une part, le principe d'égalité devant la loi qui découle de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et, d'autre part, les principes de liberté d'expression et de pluralisme des courants de pensées et d'opinions, garantis respectivement par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et par l'article 4 de la Constitution.
En ce qui concerne l'applicabilité au litige des dispositions contestées :
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la décision litigieuse, par laquelle la commission permanente du conseil régional a refusé d'accorder à M. C... le bénéfice de la protection fonctionnelle à la suite de la demande qu'il a formulée en raison de la citation directe devant le tribunal de grande instance de Paris dont il a été l'objet pour des faits de diffamation, a pour fondement les dispositions du second alinéa de l'article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales. Par suite, seules les dispositions de cet article sont applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, le bénéfice de la protection prévue au deuxième alinéa de l'article L. 4135-29 du même code ne trouvant à s'appliquer qu'en cas de violences, menaces ou outrages dont peuvent être victimes à l'occasion de leurs fonctions les élus régionaux mentionnés par ces dispositions. M. C... n'est, par suite, pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance par laquelle la présidente de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, en tant que ce refus porte sur les dispositions de l'article L. 4135-29 du code général des collectivités territoriales.
En ce qui concerne le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité :
6. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
7. Les dispositions de l'article L. 4135-28 n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment qu'elles porteraient atteinte au principe d'égalité qui découle de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, présente un caractère sérieux.
8. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, d'une part, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée en application des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et, d'autre part, d'annuler l'ordonnance du 3 juin 2021 de la présidente de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'elle refuse la transmission de la question portant sur ces dispositions.
Sur les autres moyens du pourvoi :
9. Il y a lieu de surseoir à statuer sur les autres moyens du pourvoi jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché cette question prioritaire de constitutionnalité.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 3 juin 2021 de la présidente de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris est annulée en tant qu'elle refuse la transmission au Conseil d'Etat de la question de la conformité à la Constitution de l'article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales.
Article 2 : La question de la conformité à la Constitution de l'article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 3 : Le surplus des conclusions tendant à l'annulation de l'ordonnance du 3 juin 2021 est rejeté.
Article 4 : Il est sursis à statuer sur le surplus des conclusions du pourvoi de M. C... jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité mentionné à l'article 2.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à la région Ile-de-France et au Conseil constitutionnel.
Copie en sera adressée au Premier ministre.