Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 468529, par une requête, enregistrée le 27 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Guyane Nature Environnement et France Nature Environnement demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision implicite par laquelle la Première ministre et le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ont refusé de procéder au retrait des trois décrets du 25 avril 2022 accordant à la société Auplata Mining Group la prolongation respective des concessions de mines d'or dites " Concession Dieu-Merci ", " Concession Renaissance " et " Concession La Victoire " et réduisant la superficie des deux premières concessions ;
2°) d'annuler le décret du 25 avril 2022 accordant à la société Auplata Mining Group la prolongation de la concession de mines d'or dite " Concession Dieu-Merci " (Guyane) et réduisant la superficie de cette concession ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 468536, par une requête, enregistrée le 28 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Guyane Nature Environnement et France Nature Environnement demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision implicite par laquelle la Première ministre et le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ont refusé de procéder au retrait des trois décrets du 25 avril 2022 accordant à la société Auplata Mining Group la prolongation respective des concessions de mines d'or dites " Concession Dieu-Merci ", " Concession Renaissance " et " Concession La Victoire " et réduisant la superficie des deux premières concessions ;
2°) d'annuler le décret du 25 avril 2022 accordant à la société Auplata Mining Group la prolongation de la concession de mines d'or dite " Concession La Victoire " (Guyane) ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
3° Sous le n° 468537, par une requête, enregistrée le 28 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Guyane Nature Environnement et France Nature Environnement demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision implicite par laquelle la Première ministre et le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ont refusé de procéder au retrait des trois décrets du 25 avril 2022 accordant à la société Auplata Mining Group la prolongation respective des concessions de mines d'or dites " Concession Dieu-Merci ", " Concession Renaissance " et " Concession La Victoire " et réduisant la superficie des deux premières concessions ;
2°) d'annuler le décret du 25 avril 2022 accordant à la société Auplata Mining Group la prolongation de la concession de mines d'or dite " Concession Renaissance " (Guyane) et réduisant la superficie de cette concession ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention signée à Aarhus le 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement ;
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;
- la directive 2003/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 mai 2003 ;
- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code de l'environnement ;
- le code minier ;
- la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 ;
- l'ordonnance n° 2022-536 du 13 avril 2022 ;
- l'ordonnance n° 2022-1423 du 10 novembre 2022 ;
- les arrêts C-226/08 du 14 janvier 2010, C-290/15 du 27 octobre 2016, C-671/16 du 7 juin 2018, C-293/17 et C-294/17 du 7 novembre 2018, C-321/18 du 12 juin 2019 et C-24/19 du 25 juin 2020 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le décret n° 2006-648 du 2 juin 2006 ;
- le décret n° 2006-649 du 2 juin 2006 ;
- l'arrêté du 15 mai 1986 du ministre délégué auprès du ministre de l'équipement, du logement, de l'aménagement du territoire et des transports, chargé de l'environnement du ministre de l'agriculture, fixant sur tout ou partie du territoire national des mesures de protection des mammifères représentés dans le département de la Guyane ;
- l'arrêté du 25 mars 2015 de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement, fixant la liste des oiseaux représentés dans le département de la Guyane protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannontin Avocats, avocat de l'association Guyane Nature Environnement et autre et à la SARL cabinet Briard, avocat de la société Auplata Mining Group ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées le 31 mai 2024, présentées dans chacune des procédures par la société Auplata Mining Group ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées le 4 juin 2024, présentées dans chacune des procédures par les associations Guyane Nature Environnement et France Nature Environnement ;
Considérant ce qui suit :
1. L'article L. 111-1 du code minier fait relever " du régime légal des mines les gîtes renfermés dans le sein de la terre ou existant à la surface connus pour contenir les substances minérales ou fossiles suivantes : / (...) 9° (...) de l'or (...) ". L'article L. 131-1 du code minier pose pour principe que les mines ne peuvent être exploitées qu'en vertu d'une concession ou par l'Etat. Aux termes de l'article L. 142-7 de ce code, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " La durée d'une concession de mines peut faire l'objet de prolongations successives, chacune d'une durée inférieure ou égale à vingt-cinq ans ". Aux termes de son article L. 142-8 : " La prolongation d'une concession est accordée par décret en Conseil d'Etat ". Selon son article L. 142-9 : " Au cas où, à la date d'expiration de la période de validité en cours, il n'a pas été statué sur la demande de prolongation, le titulaire de la concession reste seul autorisé, jusqu'à l'intervention d'une décision de l'autorité administrative, à poursuivre ses travaux dans les limites du ou des périmètres sur lesquels porte la demande de prolongation ".
2. Par trois décrets du 25 avril 2022, le Premier ministre a accordé à la société Auplata Mining Group la prolongation, jusqu'au 31 décembre 2043, des trois concessions de mines d'or dites " Dieu-Merci ", " Renaissance " et " La Victoire ", situées sur le territoire de la commune de Saint-Elie (Guyane) ainsi que la réduction de la superficie des deux premières concessions. Par trois requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, les associations Guyane Nature Environnement et France Nature Environnement demandent l'annulation de ces trois décrets ainsi que de la décision par laquelle le Premier ministre et le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et économique ont rejeté leur recours gracieux contre ces décrets.
Sur la légalité externe des décrets attaqués :
S'agissant de la procédure de participation du public :
3. En vertu de l'article L. 132-3 du code minier, dans sa rédaction en vigueur à la date des décrets attaqués : " La concession est accordée après une enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l'environnement ". Aux termes de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement, qui, en son I, définit les conditions dans lesquelles les décisions individuelles des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement qui n'appartiennent pas à une catégorie pour lesquelles des dispositions législatives particulières ont prévu les cas et conditions dans lesquels elles doivent être soumises à participation du public sont soumises à une telle procédure : " I. - (...) Les décisions qui modifient, prorogent, retirent ou abrogent une décision appartenant à une telle catégorie ne sont pas (...) soumises aux dispositions du présent article. / (...). II.- Le projet d'une décision mentionnée au I ou, lorsque la décision est prise sur demande, le dossier de demande est mis à disposition du public par voie électronique (...). / (...) Les observations et propositions du public, déposées par voie électronique, doivent parvenir à l'autorité publique concernée dans un délai qui ne peut être inférieur à quinze jours à compter de la mise à disposition. / Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public. Sauf en cas d'absence d'observations et propositions, ce délai ne peut être inférieur à trois jours à compter de la date de clôture de la consultation (...) ".
4. Si l'article L. 132-3 du code minier dispose qu'une concession minière est accordée après une enquête publique, il ne résulte d'aucun texte qu'une telle exigence serait également requise préalablement à la prolongation d'une concession minière. Eu égard à son objet et à ses effets, la décision par laquelle l'autorité administrative accorde la prolongation d'une concession ne peut toutefois être regardée comme une simple prorogation de la décision accordant la concession initiale au sens de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement. Dès lors, en l'absence de dispositions législatives particulières régissant les conditions dans lesquelles une telle décision de prolongation de concession minière est prise, et eu égard à ses incidences directes et significatives sur l'environnement, il résulte des dispositions du I de l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement, qui met en œuvre le principe de participation du public prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, que la prolongation d'une concession minière doit être soumise à une procédure préalable de participation du public dans les conditions définies par cet article.
5. En l'espèce, il résulte de l'instruction qu'une consultation du public sur les trois demandes de prolongation de concession ayant donné lieu aux décrets attaqués a été menée, par voie électronique, sur le site internet du ministère chargé des mines, du 29 octobre au 18 novembre 2018. Il ressort, en particulier, de la synthèse élaborée par l'administration que cette consultation a donné lieu à la production de plus de trente contributions, dont une émanant de l'une des requérantes.
6. D'une part, la circonstance que les observations formulées à l'occasion de la consultation du public aient été, en majorité, défavorables aux projets et que ceux-ci n'aient pas été modifiés en conséquence n'est pas, par elle-même, de nature à entacher d'illégalité les décrets attaqués.
7. D'autre part, la soumission des trois demandes de prolongation de concession à une consultation du public régie par les dispositions de l'article L. 123-19-2 précité doit être regardée comme une modalité d'information et de participation du public assurant la mise en œuvre des objectifs fixés aussi bien par la directive 2003/35/CE du 26 mai 2003 prévoyant la participation du public lors de l'élaboration de certains plans et programmes relatifs à l'environnement, que par la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement et par la convention d'Aarhus du 25 juin 1998. Ainsi, le principe de participation invoqué par les requérantes en application de ces différents textes n'a, en tout état de cause, pas été méconnu.
S'agissant de la procédure d'évaluation environnementale :
8. Les requérantes soutiennent que les trois décrets attaqués méconnaissent les dispositions de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement, ainsi que celles de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement et de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, faute d'avoir fait l'objet d'une procédure d'évaluation environnementale.
En ce qui concerne la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement :
9. En premier lieu, aux termes de l'article 2 de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement, constituent, pour son application, des plans et programmes, ceux : " - élaborés et/ou adoptés par une autorité au niveau national, régional ou local ou élaborés par une autorité en vue de leur adoption par le parlement ou par le gouvernement, par le biais d'une procédure législative, et / - exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives (...) ". L'article 3 de la directive prévoit qu'une évaluation environnementale, qui doit, selon l'article 4, être effectuée " pendant l'élaboration du plan ou du programme et avant qu'il ne soit adopté ou soumis à la procédure législative ", est nécessaire " 2. pour tous les plans et programmes : a) qui sont élaborés pour les secteurs (...) de l'énergie, de l'industrie, (...) de la gestion des déchets, de la gestion de l'eau, (...) de l'aménagement du territoire urbain et rural ou de l'affectation des sols et qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets énumérés aux annexes I et II de la directive 85/337/CEE pourra être autorisée à l'avenir ; / ou b) pour lesquels, étant donné les incidences qu'ils sont susceptibles d'avoir sur des sites, une évaluation est requise en vertu des articles 6 et 7 de la directive 92/43/CEE. / (...) 4. Pour les plans et programmes, autres que ceux visés au paragraphe 2, qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets pourra être autorisée à l'avenir, les Etats membres déterminent s'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ", ces projets étant ceux qui sont définis à l'article 1er de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement comme " la réalisation de travaux de construction ou d'autres installations ou ouvrages " ou " d'autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l'exploitation des ressources du sol ".
10. L'évaluation environnementale prévue par cette directive doit, en vertu de son article 6, être mise à la disposition du public et soumise à la consultation des autorités, désignées par les Etats membres, " qui, étant donné leur responsabilité spécifique en matière d'environnement, sont susceptibles d'être concernées par les incidences environnementales de la mise en œuvre de plans et de programmes ".
11. Selon l'article L. 122-4 du code de l'environnement, adopté notamment pour la transposition de l'article 3 de cette directive : " I.- (...) on entend par : / 1° "Plans et programmes" : les plans, schémas, programmes et autres documents de planification élaborés ou adoptés par l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements et les établissements publics en dépendant, ainsi que leur modification, dès lors qu'ils sont prévus par des dispositions législatives ou réglementaires (...) ; / (...) II. - Font l'objet d'une évaluation environnementale systématique : / 1° Les plans et programmes qui sont élaborés dans les domaines (...) de l'énergie, de l'industrie, (...) de la gestion des déchets, de la gestion de l'eau (...) ou de l'aménagement du territoire et qui définissent le cadre dans lequel les projets mentionnés à l'article L. 122-1 pourront être autorisés ; (...) / III. - Font l'objet d'une évaluation environnementale systématique ou après examen au cas par cas par l'autorité environnementale : / 1° Les plans et programmes mentionnés au II qui portent sur des territoires de faible superficie s'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ; / 2° Les plans et programmes, autres que ceux mentionnés au II, qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre de projets pourra être autorisée si ces plans sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement (...) ". L'évaluation environnementale est régie par les dispositions de l'article L. 122-6 du même code qui prévoient l'établissement d'un rapport sur les incidences environnementales. Conformément à l'article L. 122-7 du même code, la personne responsable de l'élaboration d'un plan ou d'un programme soumis à évaluation environnementale transmet pour avis à l'autorité environnementale le projet de plan ou de programme accompagné du rapport sur les incidences environnementales.
12. Selon la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans ses arrêts du 27 octobre 2016, D'Oultremont e.a. (C-290/15), du 7 juin 2018, Inter-Environnement Bruxelles e.a. (C-671/16), du 12 juin 2019, Terre Wallonne (C-321/18) et du 25 juin 2020, A. e.a (Éoliennes à Aalter et à Nevele) (C-24/19), la notion de " plans et programmes " soumis à évaluation environnementale en application du paragraphe 2 de l'article 3 de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 précitée se rapporte à tout acte qui établit, en définissant des règles et des procédures de contrôle applicables au secteur concerné, un ensemble significatif de critères et de modalités pour l'autorisation et la mise en œuvre d'un ou de plusieurs projets, mentionnés par la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011, susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. Sont également soumis à évaluation environnementale les plans et programmes mentionnés au paragraphe 4 de l'article 3, qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre d'autres projets pourra être autorisée à l'avenir, lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement.
13. En second lieu, d'une part, selon l'article L. 132-1 du code minier : " Nul ne peut obtenir une concession de mines s'il ne possède les capacités techniques et financières nécessaires pour mener à bien les travaux d'exploitation et assumer les obligations mentionnées dans des décrets pris pour préserver les intérêts mentionnés à l'article L. 161-1 et aux articles L. 161-1, L. 161-2 et L. 163-1 à L. 163-9 (...) ". En vertu de l'article L. 132-2 du même code, la concession minière " (...) est accordée par décret en Conseil d'Etat sous réserve de l'engagement pris par le demandeur de respecter des conditions générales complétées, le cas échéant, par des conditions spécifiques faisant l'objet d'un cahier des charges. Les conditions générales et, le cas échéant, spécifiques de la concession, sont définies par décret en Conseil d'Etat et préalablement portées à la connaissance du demandeur ". Selon l'article 24 du décret du 2 juin 2006 relatif aux titres miniers et aux titres de stockage souterrain, la demande de concession est assortie d'un dossier comportant un mémoire technique, un descriptif des travaux d'exploitation, des documents cartographiques, l'engagement de respecter les conditions générales de la concession ainsi qu'une notice d'impact. Le décret du 2 juin 2006 relatif aux travaux miniers, aux travaux de stockage souterrain et à la police des mines et des stockages souterrains impose quant à lui aux exploitants de tenir à jour un document unique d'évaluation des risques, de porter à la connaissance du préfet tout fait, incident ou accident de nature à porter atteinte aux intérêts énumérés à l'article L. 161-1 du code minier et de déclarer tout accident ayant entraîné la mort ou des blessures graves auprès de l'agent de contrôle de l'inspection du travail. Aux termes de l'article L. 114-3 du code minier, applicable, en vertu de l'article 67 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, aux demandes en cours d'instruction à la date de promulgation de cette loi : " II.- La demande d'octroi, d'extension ou de prolongation (...) d'une concession est refusée si l'autorité compétente émet un doute sérieux sur la possibilité de procéder aux recherches ou à l'exploitation du type de gisement mentionné sans porter une atteinte grave aux intérêts mentionnés à l'article L. 161-1 (...) ", au nombre desquels figurent " la préservation de la sécurité et de la salubrité publiques, (...) la conservation (...) de la mine et des autres mines, des caractéristiques essentielles du milieu environnant, terrestre ou maritime, et plus généralement la protection des espaces naturels et des paysages, de la faune et de la flore, des équilibres biologiques et des ressources naturelles (...), la conservation des intérêts de l'archéologie (...) ainsi que des intérêts agricoles des sites et des lieux affectés par les travaux et les installations afférents à l'exploitation " et, en outre, " la bonne utilisation du gisement et la conservation de la mine ".
14. D'autre part, en vertu de l'article L. 132-8 du code minier, l'institution d'une concession, même au profit du propriétaire de la surface, crée un droit immobilier distinct de la propriété de la surface. Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " A l'intérieur du périmètre d'une concession (...), le concessionnaire (...) jouit, à l'exclusion de tous autres y compris le propriétaire de la surface, du droit de rechercher la ou les substances qui font l'objet de la concession (...) ainsi que les substances connexes ". En vertu de l'article L. 132-9 du même code, le concessionnaire a le droit de disposer, pour les besoins de son exploitation, des substances non concessibles dont ses travaux entraînent nécessairement l'abattage. Enfin, en vertu de l'article L. 132-10 de ce code : " L'étendue de la concession est déterminée par l'acte de concession. Elle est limitée par la surface engendrée par les verticales indéfiniment prolongées en profondeur et s'appuyant sur un périmètre défini en surface ".
15. Il résulte des dispositions du code minier et des décrets pris pour leur application, citées aux points 13 et 14, que la décision d'octroi, d'extension ou de prolongation d'une concession minière détermine le cadre général et le périmètre des travaux miniers qui seront ultérieurement réalisés. Si elle confère à son bénéficiaire un droit immobilier lui garantissant le droit de procéder à des travaux de recherches, d'exploration ou d'exploitation miniers, elle a également pour objet d'encadrer les conditions dans lesquelles de tels travaux pourront être réalisés et, dans ce cadre, de prendre en compte les conséquences sur l'environnement de la concession, nonobstant la circonstance que certaines d'entre elles pourront, le cas échéant, être prises en considération ultérieurement à l'occasion des autorisations ou déclarations de recherches et de travaux devant se dérouler sur le périmètre de la concession. En conséquence, et compte tenu de ce qui a été dit au point 12, une telle décision doit être regardée comme définissant, au sens de l'article L. 122-4 du code de l'environnement pris pour la transposition de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001, le cadre d'autorisation et de mise en œuvre de projets et comme devant faire l'objet d'une évaluation environnementale.
En ce qui concerne la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement :
16. La directive 2011/92/UE, transposée aux articles L. 122-1 à L. 122-3-4 du code de l'environnement, est relative à des projets. Ainsi, elle ne saurait s'appliquer à des plans et programmes relevant de la directive 2001/42/CE. Par suite, les décisions portant prolongation d'une concession minière relevant, ainsi qu'il a été dit au point 15, de la directive 2001/42/CE et des dispositions des articles L. 122-4 à L. 122-11 du code de l'environnement, ne peuvent être regardés comme des projets soumis aux dispositions des articles L. 122-1 à L. 122-3-4 du code de l'environnement.
En ce qui concerne la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages :
17. Aux termes du paragraphe 3 de l'article 6 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive " habitats " : " 3. Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d'affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d'autres plans et projets, fait l'objet d'une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site (...) ". Ces dispositions ont été transposées à l'article L. 414-4 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après " Evaluation des incidences Natura 2000 " : / 1° Les documents de planification qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations, sont applicables à leur réalisation ; / 2° Les programmes ou projets d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations ; / 3° Les manifestations et interventions dans le milieu naturel ou le paysage (...) ".
18. La décision de prolongation d'une concession minière n'autorise pas son bénéficiaire à procéder à des travaux miniers et, ainsi, à réaliser des opérations de nature à modifier la réalité physique d'un site. Par suite, elle ne peut être regardée comme susceptible d'affecter un site de manière significative au sens de l'article L. 414-4 du code de l'environnement. Les dispositions de cet article ne lui sont donc pas applicables.
19. Il résulte de l'instruction que les demandes de prolongation de concession minière ayant donné lieu aux trois décrets contestés ont été, en vertu des dispositions des articles 17 et 24 du décret du 2 juin 2006 relatif aux titres miniers et aux titres de stockage souterrain, accompagnées d'une notice d'impact, datée de février 2018, comportant, sur plus de cent-dix pages, une description du projet, une analyse des principales composantes de l'état initial environnemental et des principaux impacts potentiels de la prolongation des concessions sur l'environnement, des pistes de mesures d'évitement, de réduction, de compensation, d'accompagnement et de suivi, ainsi qu'une description des conditions de réaménagement du site et qu'est annexé à chacun des trois décrets attaqués un cahier des charges précisant les modalités selon lesquelles la société bénéficiaire rend compte de l'activité de la concession ainsi que des suivis environnementaux. En revanche, si les trois demandes de prolongation des concessions litigieuses ont été soumises aux avis respectifs du préfet de la Guyane, de la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de la Guyane, de la direction générale des territoires et de la mer de Guyane, de la commission départementale des mines et du conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies, il n'est pas contesté qu'elle n'ont pas été précédées de la consultation d'une autorité dotée d'une responsabilité spécifique en matière d'environnement et disposant des garanties d'autonomie, dans les conditions prévues par les dispositions de l'article L. 122-7 du code de l'environnement pris pour la transposition de l'article 6 de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001. Dès lors, les décrets attaqués ne peuvent être regardés comme ayant été pris selon une procédure d'évaluation environnementale conforme à ces dispositions.
S'agissant de la demande de dérogation " espèces protégées " :
20. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. -Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits: / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; (...) ". Les arrêtés du 15 mai 1986 et du 25 mars 2015 des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement fixent, respectivement, la liste des mammifères et des oiseaux représentés dans le département de la Guyane protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection.
21. Il ne résulte ni des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement cités au point précédent, ni d'aucune autre disposition que la décision de prolongation d'une concession minière serait subordonnée à l'octroi d'une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées. Par suite, les requérantes ne peuvent utilement soutenir que les décrets attaqués seraient illégaux au motif qu'une telle dérogation n'a pas été demandée.
22. Enfin, le moyen tiré de ce que les décrets contestés seraient illégaux, faute qu'aient été prises les dispositions réglementaires d'application des articles L. 114-1 et L. 114-2 du code minier, tels que modifiés par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, et dont l'entrée en vigueur a été reportée au 1er juillet 2024, est inopérant.
Sur la légalité interne des décrets attaqués :
23. Aux termes de l'article L. 132-1 du code minier : " Nul ne peut obtenir une concession de mines s'il ne possède les capacités techniques et financières nécessaires pour mener à bien les travaux d'exploitation et assumer les obligations mentionnées dans des décrets pris pour préserver les intérêts mentionnés à l'article L. 161-1 et aux articles L. 161-1, L. 161-2 et L. 163-1 à L. 163-9. Un décret en Conseil d'Etat définit les critères d'appréciation de ces capacités, les conditions d'attribution des titres ainsi que la procédure d'instruction des demandes ".
24. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les pertes financières subies par la société pétitionnaire et la baisse du cours de ses actions au cours de la période comprise entre 2015 et 2018 seraient à elles seules de nature à révéler qu'elle ne dispose pas des capacités financières pour mener à bien les travaux d'exploitation qu'elle envisage et pour assumer ses obligations dans la mesure où, d'une part, cette société a connu une modification dans son capital en 2019 par la prise de contrôle d'une autre société exploitant des mines de métaux de base et de métaux précieux et où, d'autre part, elle s'est dotée d'un plan destiné à financer les dépenses de réhabilitation des sites existants ainsi que celles nécessaires au développement du projet autorisé par les trois décrets attaqués.
25. En deuxième lieu, il n'est pas davantage établi que les équipements et infrastructures présentés par la société pour la réalisation des travaux de réhabilitation et l'exploitation des fosses d'extraction, non plus que les moyens humains qu'elle envisage d'affecter à cette fin, ne lui permettraient pas de justifier des capacités techniques nécessaires pour bénéficier de la prolongation des trois concessions litigieuses.
Sur la régularisation du vice de procédure entachant les décrets attaqués :
26. Aux termes de l'article L. 115-1 du code minier : " Les décisions, titres et autorisations pris en application du présent code sont soumis au contentieux de pleine juridiction (...) ". En vertu de l'article L. 115-2 du même code, entré en vigueur à compter du 15 avril 2022 conformément à l'article 27 de l'ordonnance du 13 avril 2022 modifiant le modèle minier et les régimes légaux relevant du code minier : " I.- Le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre une décision, un titre ou une autorisation mentionnés à l'article L. 115-1 du présent code, qui estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'acte ou une partie de cet acte, peut limiter à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ; / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par un acte modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si un tel acte modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. / II.- En cas d'annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l'acte, le juge détermine s'il y a lieu de suspendre l'exécution des parties de l'acte non viciées (...) ".
27. Le vice de procédure relevé au point 19 peut être régularisé par la consultation d'une autorité présentant les garanties d'autonomie nécessaires, dans les conditions prévues par les articles R. 122-17 et R. 122-21 du code de l'environnement. L'avis de l'autorité environnementale ainsi recueilli devra être porté, également à titre de régularisation, à la connaissance du public selon la procédure prévue à l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement dans le cadre de laquelle sera également soumis au public tout autre élément de nature à régulariser d'éventuels vices révélés par l'avis.
28. Eu égard aux modalités de régularisation ainsi fixées, les mesures de régularisation devront être notifiées au Conseil d'Etat dans un délai de douze mois, à compter de la notification de la présente décision. Pendant cette période, le ministre chargé des mines communiquera au Conseil d'Etat, au fur et à mesure de leur accomplissement, les actes entrepris en vue de la régularisation.
29. Enfin, compte tenu de la nature du vice relevé au point 19, relatif à la procédure d'évaluation environnementale, il y a lieu de réserver la réponse aux autres moyens dans l'attente de l'éventuelle régularisation.
D E C I D E :
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Article 1er : Il est sursis à statuer sur les demandes des associations Guyane Nature Environnement et France Nature Environnement jusqu'à l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la notification de la présente décision, en vue de la notification des mesures de régularisation prises selon les modalités mentionnées au point 27.
Article 2 : Pendant la période mentionnée à l'article précédent, le ministre chargé des mines communiquera au Conseil d'Etat, au fur et à mesure de leur accomplissement, les actes entrepris en vue de la régularisation prévue à l'article précédent.
Article 3 : Tous droits et conclusions des parties sur lesquels il n'a pas été statué par la présente décision sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association Guyane Nature Environnement, première dénommée pour l'ensemble des requérantes, au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Auplata Mining Group.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 mai 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Alain Seban, Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 12 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Cédric Fraisseix
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain