Vu les procédures suivantes :
La société Boralex Massif du Devès a demandé à la cour administrative d'appel de Lyon d'annuler l'arrêté du 16 mars 2020 par lequel le préfet de la Haute-Loire a refusé de lui délivrer l'autorisation d'exploiter une installation de quatre éoliennes et deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Saint-Jean de Nay.
Par un arrêt n° 20LY01468 du 14 avril 2022, la cour administrative d'appel a annulé cet arrêté, délivré à la société Boralex Massif du Devès l'autorisation environnementale demandée et renvoyé cette société devant le préfet de la Haute-Loire afin qu'il fixe les prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
I. Sous le n° 464958, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 14 juin et 13 septembre 2022, le 7 juin 2023 et le 22 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Regards de la Durande et autres demandent Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête de la société Boralex Massif du Devès ;
3°) de mettre à la charge de la société Boralex Massif du Devès la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
II. Sous le n° 464970, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 juin et 13 septembre 2022 et le 1er juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... et l'association la Demeure historique demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon visé sous le n° 464958 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête de la société Boralex Massif du Devès ;
3°) de mettre à la charge de la société Boralex Massif du Devès la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association Regards de la Durande et autres, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la SARL Boralex Massif du Devès et à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier avocat de M. B... et autre ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées les 29 et 30 mai 2024, présentées par la société Boralex Massif du Devès ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 31 mai 2024, présentée par l'association Regards de la Durande et autres.
Considérant ce qui suit :
1. Les pourvois de l'association Regards de la Durande et autres et de M. B... et autre sont dirigés contre le même arrêt. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. La région Auvergne-Rhône-Alpes justifie, compte tenu notamment de ses compétences en matière de développement touristique régional et eu égard à la nature et à l'objet du présent litige qui concerne des sites et monuments d'intérêt majeur au plan régional tels que la cathédrale du Puy-en-Velay, inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO, d'un intérêt suffisant à intervenir au soutien du pourvoi de l'association Regards de la Durande et autres. Son intervention est, par suite, recevable.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Boralex Massif du Devès a présenté, le 12 juillet 2018, une demande d'autorisation environnementale de construire et d'exploiter un parc de quatre aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Saint-Jean de Nay. Par un arrêté du 16 mars 2020, le préfet de la Haute-Loire a rejeté cette demande. Par un arrêt du 14 avril 2022 contre lequel les requérants se pourvoient en cassation, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé cet arrêté, délivré à la société Boralex Massif du Devès l'autorisation environnementale demandée et renvoyé cette société devant le préfet de la Haute-Loire afin qu'il fixe les prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
4. En premier lieu, l'indication par la société Boralex Massif du Devès, dans sa note en délibéré du 24 mars 2022, que la délivrance de l'autorisation environnementale demandée conditionnait sa participation à un appel d'offres de la Commission de régulation de l'énergie ne constitue ni une circonstance de fait que la cour ne pouvait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, ni une circonstance de droit nouvelle ou qu'elle aurait dû relever d'office. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêt attaqué aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute pour la cour d'avoir rouvert l'instruction et soumis cette note au débat contradictoire.
5. En deuxième lieu, aux termes du III de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction alors applicable : " L'évaluation environnementale est un processus constitué de l'élaboration, par le maître d'ouvrage, d'un rapport d'évaluation des incidences sur l'environnement, dénommé ci-après " étude d'impact " (...). / L'évaluation environnementale permet de décrire et d'apprécier de manière appropriée, en fonction de chaque cas particulier, les incidences notables directes et indirectes d'un projet sur les facteurs suivants : (...) 4° Les biens matériels, le patrimoine culturel et le paysage (...) ". L'article R. 122-5 de ce code définit le contenu de l'étude d'impact, qui est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et à la nature des travaux, ouvrages et aménagements projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine, en prescrivant notamment une description des facteurs mentionnés au III de l'article L. 122-1 susceptibles d'être affectés de manière notable par le projet, dont, notamment, le patrimoine culturel, y compris les aspects architecturaux et archéologiques, et le paysage. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure que si elles peuvent avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou seraient de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.
6. Après avoir estimé, par un arrêt suffisamment motivé sur ce point et par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les photomontages versés à l'étude d'impact par la société pétitionnaire permettaient d'apprécier l'impact visuel des éoliennes projetées sur les paysages et leur insertion dans leur environnement, et la mesure selon laquelle les principaux sites et monuments étaient susceptibles d'être affectés par le projet litigieux, la cour a pu légalement en déduire que le préfet de la Haute-Loire avait à tort considéré que ces éléments de l'étude d'impact ne permettaient pas d'apprécier correctement les effets du projet sur les paysages et le patrimoine.
7. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, ait dénaturé les pièces du dossier ou commis une erreur de droit en estimant que l'erreur affectant le photomontage n° 41 depuis le sommet de la Durande n'avait pas été de nature à fausser l'information du public sur l'impact visuel du projet.
8. Enfin, en estimant, après avoir relevé que l'étude d'impact comportait des indications sur les risques encourus par le milan royal au regard des enjeux locaux de préservation de cette espèce, ainsi que sur les mesures d'évitement envisageables, que le préfet de la Haute-Loire ne pouvait légalement se fonder, pour motiver son refus, sur l'insuffisance de l'étude d'impact s'agissant des effets du projet sur l'avifaune, la cour n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas davantage dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 414-4 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après " Evaluation des incidences Natura 2000 " : (...) 2° les programmes ou projets d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations (...) / III. (...) les documents de planification, programmes ou projets (...) soumis à un régime administratif d'autorisation (...) ne font l'objet d'une évaluation des incidences Natura 2000 que s'ils figurent : / 1° (...) sur une liste nationale établie par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article R. 414-19 du même code dans sa version alors applicable : " La liste nationale des documents de planification, programmes ou projets (...) qui doivent faire l'objet d'une évaluation des incidences sur un ou plusieurs sites Natura 2000 en application du 1° du III de l'article L. 414-4 est la suivante : / (...) 3° Les projets soumis à évaluation environnementale au titre du tableau annexé à l'article R. 122-2 (...) ". Aux termes du V de l'article R. 122-5 du même code : " (...) L'étude d'impact tient lieu d'évaluation des incidences Natura 2000 si elle contient les éléments exigés par l'article R. 414-23 ".
10. Il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'extension du périmètre du site Natura 2000 des gorges de l'Allier et ses affluents par un arrêté du 11 juillet 2019 ait modifié les incidences du projet litigieux au regard des objectifs de conservation de ce site. Dès lors, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier en jugeant que cette circonstance n'invalidait pas l'analyse du biotope qui figurait dans l'étude d'impact en tant que celle-ci était fondée sur le périmètre antérieur du site résultant de l'arrêté ministériel du 11 juillet 2016.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale (...) qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages (...), soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 512-1 du même code : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1 ".
12. En estimant, d'une part, que la perception des quatre éoliennes projetées depuis le château de Thiolent serait atténuée par des massifs de végétation, d'autre part, que leur éloignement du sommet de la Durande ainsi que du Puy-en Velay rendrait négligeable leur impact visuel sur les sites et monuments concernés et, enfin, que la présence d'un autre parc éolien, distant d'au moins 10 kilomètres et séparé du projet litigieux par une ligne de crête, n'entraînerait pas d'effet cumulé de saturation visuelle, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
13. En cinquième lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, qui transposent en droit interne l'article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive " Habitats ", que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, comme le prévoient les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant, d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.
14. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".
15. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que pour juger qu'une dérogation " espèces protégées " n'était pas requise en l'espèce, la cour a indiqué que " l'impact résiduel " du projet serait " négligeable sur le milan royal " et que la réalisation du parc éolien n'était " pas susceptible de remettre en cause l'état de conservation ou l'habitat " d'espèces protégées. Elle doit être regardée comme ayant, ce faisant, estimé que le risque invoqué par l'administration pour cette espèce n'était pas suffisamment caractérisé et n'a, par suite, pas commis d'erreur de droit ni entaché son arrêt d'une dénaturation des pièces du dossier. En estimant à cet égard que les motifs, invoqués par l'administration en cours d'instance, tirés de l'atteinte portée à la préservation du milan royal et de la flore n'étaient pas assortis d'éléments probants, la cour n'a pas davantage dénaturé les pièces du dossier.
16. Enfin, en délivrant à la société Boralex Massif du Devès l'autorisation environnementale demandée après avoir annulé l'arrêté de refus du préfet de la Haute-Loire et relevé que l'administration n'avait invoqué aucun motif fondé faisant obstacle à la délivrance de cette autorisation dans le respect des intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de de l'environnement, la cour n'a commis aucune erreur de droit.
17. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Boralex Massif du Devès qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre, respectivement, à la charge de l'association Regards de la Durande et autres, d'une part, et de M. B... et autre, d'autre part, les sommes de 1 500 euros qu'ils devront verser à cette société au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la région Auvergne-Rhône-Alpes au soutien du pourvoi de l'association Regards de la Durande et autres est admise.
Article 2 : Le pourvoi n° 464958 de l'association Regards de la Durande et autres et le pourvoi n° 464970 de M. B... et autre sont rejetés.
Article 3 : L'association Regards de la Durande et autres, d'une part, et M. B... et autre, d'autre part, verseront la somme de 1 500 euros à la société Boralex Massif du Devès au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association Regards de la Durande, première dénommée pour l'ensemble des requérants du pourvoi n° 464958, à M. A... B..., premier dénommé des requérants du pourvoi n° 464970, à la société Boralex Massif du Devès, à la région Auvergne-Rhône-Alpes et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 mai 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Alain Seban, Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan conseillers d'Etat ; Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes et M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 12 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Bachini
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain