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11/07/2024 | FRANCE | N°492696

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 11 juillet 2024, 492696


Vu la procédure suivante :



M. C... B... et Mme D... B... ont demandé au tribunal administratif de Nice de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 21 décembre 2023 par laquelle le président de la commission de l'académie de Nice a rejeté le recours administratif préalable obligatoire qu'ils ont formé, sur le fondement des dispositions de l'article D. 131-11-10 du code de l'éducation, contre la décision du 5 octobre 2023 par laquelle le directeur académique des services de l'éduc

ation nationale (DASEN) des Alpes-Maritimes a refusé de leur délivrer l'a...

Vu la procédure suivante :

M. C... B... et Mme D... B... ont demandé au tribunal administratif de Nice de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 21 décembre 2023 par laquelle le président de la commission de l'académie de Nice a rejeté le recours administratif préalable obligatoire qu'ils ont formé, sur le fondement des dispositions de l'article D. 131-11-10 du code de l'éducation, contre la décision du 5 octobre 2023 par laquelle le directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN) des Alpes-Maritimes a refusé de leur délivrer l'autorisation d'instruire leur fils A... dans la famille. Par une ordonnance n° 2400717 du 1er mars 2024, le juge des référés a suspendu l'exécution de cette décision et enjoint à la rectrice de l'académie de Nice de délivrer à M. et à Mme B... une autorisation provisoire d'instruire leur fils A... dans la famille dans un délai de sept jours à compter de la notification de son ordonnance.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 et 29 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de suspension présentée par M. et Mme B....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Fraval, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Nice que le 25 septembre 2023, M. et Mme B... ont adressé au directeur académique des services de l'éducation nationale des Alpes-Maritimes une demande d'autorisation d'instruction dans la famille au titre de l'année scolaire 2023-2024 pour leur fils A..., né le 3 avril 2020, et scolarisé en classe de petite section à l'école Saint-Exupéry d'Escarène (Alpes-Maritimes). Par une décision du 5 octobre 2023, le directeur académique des services de l'éducation nationale des Alpes-Maritimes a rejeté leur demande. Par une décision du 21 décembre 2023, le président de la commission de l'académie de Nice a rejeté le recours administratif préalable obligatoire formé par M. et Mme B..., sur le fondement des dispositions de l'article D. 131-11-10 du code de l'éducation, contre cette décision. La ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 1er mars 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice a ordonné la suspension de l'exécution de la décision du 21 décembre 2023 du président de la commission de l'académie de Nice et enjoint à la rectrice de l'académie de Nice de délivrer à M. et Mme B... l'autorisation provisoire d'instruire leur fils dans la famille.

Sur les dispositions applicables :

3. En vertu de l'article L. 131-1 du code de l'éducation, l'instruction est obligatoire pour chaque enfant entre trois et seize ans. Cette instruction obligatoire est " assurée prioritairement dans les établissements d'enseignement ", ainsi que l'énonce l'article L. 131-1-1 du même code qui dispose, en outre, que : " Le droit de l'enfant à l'instruction a pour objet de lui garantir, d'une part, l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d'autre part, l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, de partager les valeurs de la République et d'exercer sa citoyenneté ".

4. Aux termes de l'article L. 131-5 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : " Les personnes responsables d'un enfant soumis à l'obligation scolaire définie à l'article L. 131-1 doivent le faire inscrire dans un établissement d'enseignement public ou privé ou bien, à condition d'y avoir été autorisées par l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation, lui donner l'instruction en famille (...) /. La présente obligation s'applique à compter de la rentrée scolaire de l'année civile où l'enfant atteint l'âge de trois ans./ L'autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour les motifs suivants, sans que puissent être invoquées d'autres raisons que l'intérêt supérieur de l'enfant : / 1° L'état de santé de l'enfant ou son handicap ; / 2° La pratique d'activités sportives ou artistiques intensives ; / 3° L'itinérance de la famille en France ou l'éloignement géographique de tout établissement scolaire public ; / 4° L'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d'instruire l'enfant à assurer l'instruction en famille dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant. Dans ce cas, la demande d'autorisation comporte une présentation écrite du projet éducatif, l'engagement d'assurer cette instruction majoritairement en langue française ainsi que les pièces justifiant de la capacité à assurer l'instruction en famille. / L'autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour une durée qui ne peut excéder l'année scolaire. Elle peut être accordée pour une durée supérieure lorsqu'elle est justifiée par l'un des motifs prévus au 1°. Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités de délivrance de cette autorisation (...) /. Lorsque, après concertation avec le directeur de l'établissement d'enseignement public ou privé dans lequel est inscrit un enfant, il est établi que l'intégrité physique ou morale de cet enfant est menacée, les personnes responsables de l'enfant peuvent lui donner l'instruction dans la famille après avoir sollicité l'autorisation mentionnée au premier alinéa du présent article, dans le délai restant à courir avant que cette autorisation ne leur soit accordée ou refusée (...) / ". Aux termes de l'article R. 131-11 du même code : " Les personnes responsables d'un enfant qui sollicitent la délivrance de l'autorisation d'instruction dans la famille dans les conditions prévues par l'article L. 131-5 adressent leur demande au directeur académique des services de l'éducation nationale du département de résidence de l'enfant entre le 1er mars et le 31 mai inclus précédant l'année scolaire au titre de laquelle cette demande est formulée. / La délivrance d'une autorisation peut toutefois être sollicitée en dehors de cette période pour des motifs apparus postérieurement à cette dernière et tenant à l'état de santé de l'enfant, à son handicap ou à son éloignement géographique de tout établissement scolaire public ". Enfin, aux termes de l'article D. 131-11-10 du même code : " Toute décision de refus d'autorisation d'instruction dans la famille peut être contestée dans un délai de quinze jours à compter de sa notification écrite par les personnes responsables de l'enfant auprès d'une commission présidée par le recteur d'académie ".

5. En vertu de l'article L. 131-5 du code de l'éducation, l'autorisation d'instruction dans la famille " est accordée pour une durée qui ne peut excéder l'année scolaire ", une durée supérieure pouvant être prévue lorsque l'autorisation est justifiée par l'état de santé de l'enfant ou sa situation de handicap. L'article R. 131-11 du code de l'éducation prévoit que les demandes d'autorisation de l'instruction dans la famille doivent être adressées entre le 1er mars et le 31 mai inclus précédant l'année scolaire au titre de laquelle ces demandes sont formulées. Cet article prévoit également la possibilité de solliciter la délivrance d'une autorisation en dehors de cette période pour des motifs tenant à l'état de santé de l'enfant, à sa situation de handicap ou à son éloignement géographique, ainsi qu'en cas de menace pour l'intégrité physique ou morale d'un enfant scolarisé. La fixation de la période mentionnée au premier alinéa de l'article R. 131-11 du code de l'éducation, pour solliciter une dérogation à l'instruction dans un établissement ou école d'enseignement, est cohérente avec le calendrier d'inscription des enfants dans ces établissements et permet que les parents souhaitant instruire leur enfant dans la famille aient, en principe, reçu une réponse définitive à leurs demandes d'autorisation avant la rentrée scolaire. En outre, ce calendrier n'est pas manifestement inapproprié aux cas de demandes présentées pour des motifs liés à la pratique d'activités sportives ou artistiques intensives ou pour une situation propre à l'enfant, dès lors que ces deux motifs de demande correspondent à des situations prévisibles. Au demeurant, il est toujours loisible à l'autorité administrative d'examiner, à titre gracieux, une demande formulée hors délai.

Sur le pourvoi :

6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. et Mme B... ont, en dehors de la période mentionnée au premier alinéa de l'article R. 131-11 du code de l'éducation, sollicité la délivrance d'une autorisation d'instruction de leur fils A... dans la famille au motif de l'existence d'une situation propre à cet enfant motivant leur projet éducatif, visée au 4° de l'article L. 131-5 du code de l'éducation. Le juge des référés, qui a retenu que la demande de M. et Mme A... était présentée au titre du motif prévu au 1° de l'article L. 131-5 de ce code, soit l'état de santé de l'enfant ou son handicap, et en a déduit que le moyen tiré de l'illégalité de la décision contestée en ce qu'elle était motivée par le non-respect du calendrier prévu au premier alinéa de l'article R. 131-11 du code de l'éducation était de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision en litige, a, dès lors, entaché son ordonnance de dénaturation des pièces du dossier. Son ordonnance doit, dès lors, être annulée sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la demande en référé :

8. Pour l'application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, cité au point 1, l'urgence justifie que soit prononcée la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

9. Il résulte de l'instruction que, pour justifier du respect de la condition d'urgence exposée au point précédent, M. et Mme B... se bornent à faire valoir, d'une part, que la scolarisation de leur enfant lui a été défavorable, conduisant à un changement de son comportement, de sorte que son maintien à l'école est contraire à son intérêt, d'autre part, qu'ayant été destinataires d'un premier avertissement du rectorat, ils encourent des sanctions pénales s'ils ne scolarisent par leur enfant à l'école. Par ces seuls éléments, ceux relatifs à la situation de leur fils n'étant par ailleurs assortis d'aucune pièce probante, ils n'établissent pas qu'il y aurait urgence à suspendre l'exécution de la décision qu'ils contestent.

10. Il résulte de tout ce qui précède que, la condition d'urgence n'étant pas satisfaite, il y a lieu, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le caractère sérieux des moyens invoqués, de rejeter la demande de M. et Mme B... tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 21 décembre 2023 du président de la commission de l'académie de Nice, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 1er mars 2024 est annulée.

Article 2 : Les conclusions de la demande de M. et de Mme B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Nice sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, à M. C... B... et à Mme D... B....


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 492696
Date de la décision : 11/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 jui. 2024, n° 492696
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Fraval
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492696.20240711
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