Vu la procédure suivante :
Par une décision du 22 mars 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) tendant à l'annulation de la décision n° 20016437, 20005472 du 9 décembre 2020 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a reconnu à M. A... B... la qualité de réfugié, a sursis à statuer sur les conclusions de ce pourvoi jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :
1° Indépendamment des dispositions du droit national autorisant, sous certaines conditions, le séjour d'un étranger en raison de son état de santé et le protégeant, le cas échéant, d'une mesure d'éloignement, les dispositions de l'article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95/UE doivent-elles être interprétées en ce sens qu'un réfugié palestinien malade qui, après avoir eu effectivement recours à la protection ou à l'assistance de l'UNRWA, quitte l'Etat ou le territoire situé dans la zone d'intervention de cet organisme dans lequel il avait sa résidence habituelle au motif qu'il ne peut y avoir un accès suffisant aux soins et traitements que son état de santé nécessite et que ce défaut de prise en charge entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique, peut être regardé comme se trouvant dans un état personnel d'insécurité grave et dans une situation où l'UNRWA est dans l'impossibilité de lui assurer des conditions de vie conformes à la mission lui incombant '
2° Dans l'affirmative, quels critères - tenant par exemple à la gravité de la maladie ou à la nature des soins nécessaires - permettent d'identifier une telle situation '
Par un arrêt du 5 octobre 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides c/ SW (C-294/22), la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur ces questions.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;
- la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêt du 5 octobre 2023 Office français de protection des réfugiés et apatrides c/ SW (C-294/22) de la Cour de Justice de l'Union Européenne ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, et à la SCP Spinosi, avocat de M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B..., d'origine palestinienne, né le 28 novembre 1976 à Saïda au Liban, y a vécu jusqu'à ce qu'il quitte ce pays en février 2019 et arrive en France le 11 août 2019. Par une décision du 11 octobre 2019, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a refusé de faire droit à sa demande tendant à ce que lui soit reconnu le statut de réfugié. L'OFPRA se pourvoit en cassation contre la décision du 9 décembre 2020 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a annulé cette décision et reconnu à M. B... la qualité de réfugié. Par une décision du 22 mars 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a sursis à statuer sur ce pourvoi jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se prononce sur les questions qu'il lui avait renvoyées à titre préjudiciel. Par son arrêt du 5 octobre 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides c/ SW (C-294/22), la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur ces questions préjudicielles.
Sur le cadre juridique :
2. D'une part, aux termes de l'article 1er, section A, paragraphe 2, premier alinéa, de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, le terme " réfugié " s'applique à toute personne qui, " craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle (...) ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ". L'article 1er, section D, de cette convention stipule toutefois que : " Cette convention ne sera pas applicable aux personnes qui bénéficient actuellement d'une protection ou d'une assistance de la part d'un organisme ou d'une institution des Nations Unies autre que le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. / Lorsque cette protection ou cette assistance aura cessé pour une raison quelconque, sans que le sort de ces personnes ait été définitivement réglé, conformément aux résolutions y relatives adoptées par l'Assemblée générale des Nations Unies, ces personnes bénéficieront de plein droit du régime de cette Convention ".
3. L'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) a été créé par la résolution n° 302 (IV) de l'Assemblée générale des Nations Unies en date du 8 décembre 1949 afin d'apporter un secours direct aux " réfugiés de Palestine " se trouvant sur l'un des Etats ou des territoires relevant de son champ d'intervention géographique, à savoir le Liban, la Syrie, la Jordanie, la Cisjordanie et la bande de Gaza. Selon les termes de la résolution n° 74/83 de l'Assemblée générale des Nations-Unies du 13 décembre 2019 relative à l'UNRWA, qui a prolongé son mandat jusqu'au 30 juin 2023, puis prolongé jusqu'au 30 juin 2026 par la résolution n° 77/123 de l'Assemblée générale des Nations-Unies du 12 décembre 2022, les opérations de l'Office se font " au regard du bien-être, de la protection et du développement humain des réfugiés de Palestine " et visent à " subvenir à leurs besoins essentiels en matière de santé, d'éducation et de subsistance ". Il résulte des instructions d'éligibilité et d'enregistrement consolidées adoptées par cet organisme en 2009 que ces prestations sont délivrées, d'une part, aux personnes, enregistrées auprès de lui, qui résidaient habituellement en Palestine entre le 1er juin 1946 et le 15 mai 1948 et qui ont perdu leur logement et leurs moyens de subsistance en raison du conflit de 1948, ainsi qu'à leurs descendants et, d'autre part, aux autres personnes éligibles mentionnées au point B. du III de ces instructions qui en font la demande sans faire l'objet d'un enregistrement par l'UNRWA. Eu égard à la mission qui lui est assignée, l'UNRWA doit être regardé comme un organisme des Nations Unies, autre que le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, offrant une assistance à ces personnes, au sens des stipulations mentionnées au point 2.
4. Il résulte des stipulations citées au point 2 qu'en raison du statut spécifique dont ils disposent, la convention de Genève du 28 juillet 1951 n'est pas applicable aux réfugiés palestiniens tant qu'ils bénéficient effectivement de l'assistance ou de la protection de l'UNRWA telle qu'elle est définie au point précédent.
5. D'autre part, aux termes de l'article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection : " Tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride est exclu du statut de réfugié lorsqu'il relève du champ d'application de l'article 1er, section D, de la convention de Genève, concernant la protection ou l'assistance de la part d'un organisme ou d'une institution des Nations unies autre que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Si cette protection ou cette assistance cesse pour quelque raison que ce soit, sans que le sort de ces personnes ait été définitivement réglé conformément aux résolutions pertinentes de l'assemblée générale des Nations unies, ces personnes pourront ipso facto se prévaloir de la présente directive ".
6. Dans son arrêt du 19 décembre 2012, Abed El Karem El Kott e. a (C 364/11), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que l'article 12, paragraphe 1, a), seconde phrase, de la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004, repris à l'identique par les dispositions précitées de la directive 2011/95/UE, " doit être interprété en ce sens que la cessation de la protection ou de l'assistance de la part d'un organisme ou d'une institution des Nations unies autre que l'UNHCR " pour quelque raison que ce soit " vise également la situation d'une personne qui, après avoir eu effectivement recours à cette protection ou à cette assistance, cesse d'en bénéficier pour une raison échappant à son propre contrôle et indépendante de sa volonté " et qu'il " appartient aux autorités nationales compétentes de l'État membre responsable de l'examen de la demande d'asile présentée par une telle personne de vérifier, sur la base d'une évaluation individuelle de la demande, que cette personne a été contrainte de quitter la zone d'opération de cet organisme ou de cette institution, ce qui est le cas lorsqu'elle se trouvait dans un état personnel d'insécurité grave et que l'organisme ou l'institution concerné était dans l'impossibilité de lui assurer, dans cette zone, des conditions de vie conformes à la mission incombant audit organisme ou à ladite institution ". La Cour a ajouté que " lorsque les autorités compétentes de l'État membre responsable de l'examen de la demande d'asile ont établi que la condition relative à la cessation de la protection ou de l'assistance de l'UNRWA est remplie en ce qui concerne le demandeur, le fait de pouvoir ipso facto " se prévaloir de [cette] directive " implique la reconnaissance, par cet État membre, de la qualité de réfugié (...) et l'octroi de plein droit du statut de réfugié à ce demandeur ", pour autant toutefois que ce dernier ne relève pas de l'une ou l'autre des causes d'exclusion énoncées aux paragraphes 1, b), ou 2 et 3, de ce même article 12.
Sur le pourvoi :
7. A l'appui de son pourvoi, l'OFPRA soutient qu'en jugeant que M. B... pouvait se réclamer de plein droit de la qualité de réfugié faute pour l'UNRWA de pouvoir lui prodiguer un accès suffisant aux soins tertiaires et au médicament nécessaire à sa survie jusqu'à le placer dans un état personnel de grave insécurité de nature à le contraindre à quitter le Liban, la Cour nationale du droit d'asile a entaché sa décision d'erreurs de droit en ne recherchant pas si l'intéressé avait été contraint de quitter la zone d'opération de l'UNRWA par des menaces pesant sur sa sécurité, en jugeant que l'impossibilité pour l'UNRWA de financer les soins de santé tertiaires adaptés à l'état de santé d'un réfugié palestinien constitue un motif de fin de protection effective de cet organisme qui permet de revendiquer le bénéfice de la convention de Genève et en retenant que l'UNRWA devait être regardé comme ne pouvant assumer sa mission d'assistance alors que la prise en charge des soins tertiaires n'en fait pas partie.
8. En réponse à la question préjudicielle posée par le Conseil d'Etat, la Cour de justice de l'Union européenne a retenu, dans son arrêt du 5 octobre 2023 (C-294/22), que, pour déterminer si la protection ou l'assistance de l'UNRWA a cessé, au sens de l'article 12, paragraphe 1, sous a), seconde phrase, de la directive 2011/95, en raison de la circonstance qu'une personne ayant demandé à bénéficier d'une protection internationale a été contrainte de quitter la zone d'opération de cet organisme, il n'est pas nécessaire d'établir que l'UNRWA ou l'État sur le territoire duquel il opère a eu l'intention d'infliger un dommage à cette personne ou de la priver d'assistance, par action ou par omission, et qu'il suffit d'établir que l'assistance ou la protection de l'UNRWA a effectivement cessé pour quelque raison que ce soit, de sorte que cet organisme n'est plus en mesure, pour des raisons objectives ou liées à la situation individuelle de ladite personne, d'assurer à celle-ci les conditions de vie conformes à la mission dont il est chargé. Elle a ajouté que la mission de l'UNRWA en matière sanitaire consiste à fournir des soins et des médicaments répondant aux besoins essentiels des personnes réclamant l'assistance de l'UNRWA, quelle que soit la qualité des soins ou des médicaments nécessaires à ces fins, et que cette mission ne saurait dépendre de sa capacité opérationnelle de fournir de tels soins et médicaments. Elle a toutefois précisé que l'impossibilité de fournir des soins ou des traitements spécifiques ne saurait, à elle seule, justifier la conclusion selon laquelle la protection ou l'assistance de l'UNRWA a cessé et que le fait que les prestations de santé assurées par cet organisme se situent à un niveau inférieur à celles dont la personne pourrait bénéficier si le statut de réfugié lui était octroyé dans un État membre ne saurait suffire pour estimer qu'elle a été contrainte de quitter la zone d'opération de l'UNRWA. Elle a alors dit pour droit que l'article 12, paragraphe 1, sous a), seconde phrase, de la directive 2011/95/UE doit être interprété en ce sens que la protection ou l'assistance de l'UNRWA doit être regardée comme ayant cessé lorsque cet organisme n'est pas en mesure d'assurer à un apatride d'origine palestinienne relevant de cette protection ou de cette assistance l'accès aux soins et aux traitements médicaux sans lesquels ce dernier court un risque réel de décès imminent ou un risque réel d'être exposé à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé ou à une réduction significative de son espérance de vie, la vérification de l'existence d'un tel risque incombant au juge national.
9. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant, après avoir estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que l'UNRWA se trouvait dans l'incapacité de prodiguer à M. B... un accès suffisant aux soins de santé et au médicament dont il dépend pour sa survie, que cet organisme ne pouvait assurer à l'intéressé des conditions de vie conformes à sa mission d'assistance, jusqu'à placer celui-ci dans un état personnel d'insécurité grave de nature à le contraindre à quitter le Liban, et en en déduisant que la protection ou l'assistance de l'UNRWA au sens de l'article 12, paragraphe 1, sous a), seconde phrase, de la directive 2011/95/UE devait être regardée comme ayant cessé, la Cour nationale du droit d'asile, qui a suffisamment motivé sa décision, n'a pas commis d'erreur de droit. La circonstance que le départ de l'intéressé de la zone d'opération de l'UNRWA n'était pas motivé par des menaces pesant sur sa sécurité et que les traitements requis excèdent les simples soins de base est sans incidence à cet égard.
10. Il résulte de tout ce qui précède que l'OFPRA n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque.
11. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que la SCP Spinosi, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'OFPRA la somme de 3 000 euros à verser à cette société.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de l'OFPRA est rejeté.
Article 2 : L'OFPRA versera à la SCP Spinosi, avocat de M. B..., une somme de 3 000 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à M. A... B....
Délibéré à l'issue de la séance du 12 juin 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 11 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie-Caroline de Margerie
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard