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10/07/2024 | FRANCE | N°488539

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 10 juillet 2024, 488539


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 septembre et 22 décembre 2023 et 11 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société C8 demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2023-678 du 26 juillet 2023 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a mise en demeure de se conformer à l'avenir, d'une part, aux stipulations de l'article

2-3-8 de la convention du 29 mai 2019 entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) e...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 septembre et 22 décembre 2023 et 11 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société C8 demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2023-678 du 26 juillet 2023 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a mise en demeure de se conformer à l'avenir, d'une part, aux stipulations de l'article 2-3-8 de la convention du 29 mai 2019 entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et la société C8 concernant le service de télévision C8 ainsi qu'aux dispositions de l'article 1er de la délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 du CSA relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent et, d'autre part, aux stipulations de l'article 2-2-1 de la convention ;

2°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

- le décret n° 2022-469 du 1er avril 2022 ;

- la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel n° 2018-11 du 18 avril 2018 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Carole Hentzgen, auditrice,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société C8 demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2023-678 du 26 juillet 2023 par laquelle l'Arcom l'a mise en demeure de se conformer à l'avenir, d'une part, aux stipulations de l'article 2-3-8 de la convention qu'elle a conclue le 29 mai 2019 avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) concernant le service de télévision C8 ainsi qu'aux dispositions de l'article 1er de la délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 du CSA relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent et, d'autre part, aux stipulations de l'article 2-2-1 de sa convention, à la suite d'une séquence diffusée le 9 mars 2023 dans l'émission " Touche pas à mon poste " dans laquelle un invité a nommément accusé plusieurs personnalités publiques de consommation d'adrénochrome, substance présentée à l'antenne comme un psychotrope issu du sang d'enfants enlevés et mis à mort à l'effet de la recueillir.

Sur la légalité externe :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le collège de l'Arcom a été convoqué, après que le rapporteur indépendant mentionné à l'article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication a préconisé l'infliction d'une sanction pécuniaire à la société C8 à raison de manquements aux articles 2-3-4 et 2-2-1 de sa convention du 29 mai 2019, pour examiner, aux termes de la convocation adressée à ses membres, la " suite à donner à la diffusion de l'émission "Touche pas à mon poste" sur C8 le 9 mars 2023 ". Lors de cette séance, il était loisible au collège de l'Arcom, dès lors qu'il le jugeait fondé, non seulement de délibérer sur la sanction pécuniaire qu'il a infligée à la société C8 par sa décision n° 2023-677 du 26 juillet 2023, mais également de lui adresser, par la décision attaquée sous le présent numéro, une mise en demeure à raison de la méconnaissance d'autres stipulations de la convention ainsi que de la délibération du CSA du 18 avril 2018 mentionnée au point précédent.

3. En deuxième lieu, la mise en demeure attaquée mentionne les textes dont elle fait application et indique de façon suffisamment précise les faits et les obligations qui ont été méconnues. Le moyen tiré de ce qu'elle serait insuffisamment motivée doit, par suite, être écarté.

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne l'obligation d'honnêteté et de rigueur dans le traitement de l'information :

4. Aux termes de l'article 2-3-8 de la convention du 29 mai 2019 : " L'exigence d'honnêteté s'applique à l'ensemble des programmes. / L'éditeur respecte la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent. "

5. Aux termes l'article 1er de la délibération du 18 avril 2018 : " L'éditeur d'un service de communication audiovisuelle doit assurer l'honnêteté de l'information et des programmes qui y concourent. / Il veille à éviter toute confusion entre information et divertissement. (...) L'éditeur garantit le bien-fondé et les sources de chaque information. Dans la mesure du possible, l'origine de celle-ci doit être indiquée. L'information incertaine est présentée au conditionnel. / Il fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information. / Il veille au respect d'une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l'expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d'antenne. " Ces dispositions ne font pas obstacle à la définition par l'éditeur d'un service conventionné d'une ligne éditoriale déterminant son traitement de l'information. Elles lui imposent cependant, y compris dans les programmes qui, sans avoir pour seul objet la présentation de l'information, concourent à son traitement, même sous l'angle de la polémique, de n'aborder les questions prêtant à controverse qu'en veillant à une distinction entre la présentation des faits et leur commentaire et, dans la mesure requise par l'exigence légale d'honnêteté de l'information, à l'expression de points de vue différents. Cette dernière nécessité s'apprécie notamment au regard du sujet traité, de l'auteur et de la teneur des propos exprimés ainsi que de la nature de l'émission et de son public et du contexte de sa diffusion.

6. Il ressort des pièces du dossier que, lors de l'émission " Touche pas à mon poste " diffusée sur la chaîne C8 le 9 mars 2023, un invité, présenté comme " l'ancien-dealer du Tout Paris ", s'est livré à des développements sur l'implication alléguée de certaines personnalités dans la consommation d'adrénochrome, substance qualifiée sans aucune base scientifique de " psychotrope " et à l'effet prétendument " rajeunissant ", dont il a affirmé qu'elle était extraite " du sang d'enfants, qu'on prend sur des enfants de trois ans " enlevés et sacrifiés à cet effet. L'exigence d'honnêteté de l'information s'opposait à la diffusion de tels propos, manifestement dénués de fondement, relevant d'une théorie du complot et ne répondant à aucune nécessité tenant, notamment, au débat d'actualité. Si ces déclarations ont été présentées à plusieurs reprises par l'animateur de l'émission comme relevant de l'opinion personnelle de l'invité et ont suscité la contestation de certains chroniqueurs, plusieurs participants sur le plateau, dont l'animateur, ont néanmoins accrédité les propos tenus et ont encouragé avec complaisance l'invité à les développer. Par suite, eu égard au contenu manifestement dépourvu de tout fondement des propos diffusés, aux accusations graves proférées à l'encontre de personnalités nommément désignées à l'antenne, ainsi qu'à la répétition de ces propos, au demeurant prévisibles eu égard aux prises de positions passées de l'invité, l'Arcom a pu légalement, compte tenu des pouvoirs qui lui sont dévolus par la loi, mettre en demeure l'éditeur de se conformer à l'avenir à son obligation de veiller à l'honnêteté et à la rigueur dans le traitement de l'information, résultant de l'article 1er de la délibération n° 2018-11 ainsi que de l'article 2-3-8 de la convention du 29 mai 2019, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression protégée par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne l'obligation de maîtrise de l'antenne :

7. Aux termes de l'article 2-2-1 de la convention du 29 mai 2019 : " L'éditeur est responsable du contenu des émissions qu'il diffuse. Il conserve en toutes circonstances la maîtrise de son antenne. "

8. Il ressort des pièces du dossier que les propos déjà mentionnés n'ont pas fait l'objet d'une contradiction ferme et dépourvue d'ambiguïté par l'animateur et les chroniqueurs. Si certaines affirmations ont été ponctuellement mises en doute, la contradiction apportée à ces propos est restée dans l'ensemble gravement insuffisante, alors que ceux-ci étaient prévisibles, comme en témoigne l'avertissement de l'animateur, dès le début de la séquence, quant à la personnalité de l'invité, qui avait exprimé en ligne, quelques jours auparavant, des accusations de même nature. Au lieu de mettre un terme rapidement à une accumulation de contre-vérités qui attentaient gravement à l'honneur et à la considération des personnes qu'elles visaient, l'animateur et les chroniqueurs ont, à plusieurs reprises, encouragé et relancé l'invité dans ses déclarations, y compris par les contradictions sans conviction qui lui étaient apportées. Sur l'adrénochrome, en particulier, deux chroniqueuses ont accrédité le mythe à caractère complotiste entourant cette substance, et apporté une forme de validation aux propos tenus par l'invité, en déclarant : " C'est effectivement quelque chose qui n'est pas totalement démenti " et " ça existe, ça existe... ". En dépit des déclarations de l'animateur selon lesquelles les propos de l'invité n'engageaient que lui ainsi que du bandeau affiché à plusieurs reprises à l'écran reprenant cet avertissement, la contradiction apportée à l'antenne n'a pas été suffisamment nette au regard de la gravité des propos de l'intéressé. En outre, eu égard à la diffusion en direct de l'émission à un horaire de forte audience, la condamnation ultérieurement apportée par la chaîne C8 sur les réseaux sociaux présente un caractère insuffisant, de même que la clarification apportée ultérieurement, lors de l'émission du 13 mars 2023. Par suite, l'Arcom a pu légalement mettre en demeure l'éditeur du service de veiller au respect de ses obligations de maîtrise de l'antenne figurant à l'article 2-2-1 de sa convention cité au point 8.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Arcom qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société C8 est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société C8 et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

Copie en sera adressée à la ministre de la culture.

Délibéré à l'issue de la séance du 24 juin 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat ; M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, M. Alain Seban, conseillers d'Etat et Mme Carole Hentzgen, auditrice-rapporteure.

Rendu le 10 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Carole Hentzgen

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 488539
Date de la décision : 10/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 jui. 2024, n° 488539
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Carole Hentzgen
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:488539.20240710
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